Affaire Alstom : la page Wikipédia du député Olivier Marleix théâtre d'une guerre de la communication

La page Wikipédia d'Olivier Marleix, député d'Eure-et-Loir, a été plusieurs fois altérée au cours des dernières années, notamment depuis l'Assemblée Nationale. La bataille tourne autour de l'affaire Alstom, dans laquelle l'élu Les Républicains accuse Emmanuel Macron de corruption. 

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Un député, un président, une vente industrielle, des pages wikipédia modifiées, des adresses IP canadiennes... Commencé en 2014, le feuilleton de l'affaire Alstom n'en est pas encore à son épisode final. Le dernier en date est même un rebond d'un autre dossier politique : l'affaire Avia. 

Aux origines : l'affaire Laetita Avia

Le 12 mai, le média d'investigation indépendant Mediapart publie une nouvelle enquête. Cinq ex-collaborateurs de la députée LREM Laetitia Avia l'accusent, sous couvert d'anonymat, d'humiliations répétées à caractère raciste, sexiste et homophobe. Le 18 mai, l'Agence France Presse annonce que les collaborateurs cités dans cette enquête déposent plainte contre l'élue pour "harcèlement moral". 

Entre autres éléments, Médiapart dévoile cette citation, appuyée d'un enregistrement : "Nathalie*, maintenant, c’est vraiment une de tes priorités de ta rentrée, c’est ma e-réputation. […] Le site internet, je veux qu’on avance. Et Wikipédia (...), il faut prendre le contrôle sur cette page. Il ne suffit pas juste de supprimer le paragraphe sur Le Canard enchaîné, il faut le réécrire de toute façon et le sourcer quand on le réécrit."

"L'Assemblée sur Wikipédia" : quand internet s'en mêle

A la suite de ces révélations, un anonyme crée un compte Twitter visant à recenser toutes les fois où les pages Wikipédia des députés ont été modifiés depuis l'adresse IP de l'Assemblée Nationale. "Cette censure porte parfois sur des affaires judiciaires, de fraude fiscale, de corruption et de votes de lois."

La fiche, la date, les paragraphes modifiés... Pendant quelques jours, le créateur/trice du compte publie une série de pages concernées. Contacté par France 3, il/elle avait dans un premier temps accepté une interview, avant de se rétracter. Il/elle a annoncé l'arrêt de son projet, et nous a confié craindre pour sa sécurité. 

C'est que la modification des pages Wikipédia n'est pas anodine, en terme d'information publique. Le site, dont la version française a été créée en 2001, compte 2 224 838 millions d'articles. Le nombre de pages visitées sur le site français en mai dépasse le milliard. C'est même l'un des pays qui visite le plus le site, selon les statistiques fournies par Wikipédia. 

Modifier la plus grande encyclopédie en ligne relève donc d'un réel enjeu de communication et d'image. Pourtant, le projet est porté par une équipe de modération et de vérification dont la rigueur a gagné en qualité au fil des années. "C’est une forte incitation à se comporter de manière vertueuse puisque si vous dites quelque chose d’odieux, quelqu’un le supprimera tout simplement" pour Jimmy Wales, le fondateur. Pourtant, noyées dans le flux, certaines modifications peuvent rester en ligne même si elles ne sont pas justifiées. 

L'adresse IP qui modifie plusieurs de ces pages est renseignée dans l'historique des modifications de Wikipédia : 37.71.15.126. Elle est bien enregistrée à l'Assemblée Nationale selon nos informations, confirmées par le moteur de recherche WhoIs Gateway. Cette adresse a effectué quelques dizaines de modifications depuis 2017, ajouts comme suppressions. "Cette page recense les contributions des utilisateurs identifiés par cette adresse IP. Certaines adresses IP sont dynamiques et peuvent être attribuées à plusieurs personnes", précise le site internet. 

Pas moyen de savoir qui se cache derrière l'ordinateur. A l'Assemblée Nationale, plusieurs corps politiques ont accès au matériel informatique. Chaque député dispose, dans son bureau, de deux ordinateurs. Des crédits sont également alloués aux groupes politiques pour leur équipement informatique et peuvent sur demande disposer d'un accès internet "en utilisant les infrastructures de l’Assemblée nationale"

Le spectre d'Alstom refait surface 

Parmi les pages modifiées depuis cette adresse, celle du député Les Républicains d'Eure-et-Loir, Olivier Marleix. Cette modification, qui date du 27 juin 2018, est un peu particulière. En effet, les modifications apportées ne concernent pas directement l'élu, mais l'Affaire Alstom. 

"Modifié par qui ?" interroge Olivier Marleix en réponse à ce tweet. Probablement pas par lui-même, bien que la possibilité existe. L'élu de droite, du côté de l'accusation dans le dossier Alstom, et non des accusés, n'a aucun intérêt à modifier ou à retirer plusieurs paragraphes, dont celui qui rappelle les soupçons pesant sur le patron de l'opérateur ferroviaire, Patrick Kron.

En 2014, la filière énergie du groupe Alstom, fleuron industriel français notamment impliqué dans la maintenance et l'équipement de nos centrales électriques, passe sous pavillon américain. GE Electrics rachète sa filiale à un groupe financièrement éprouvé, et assailli par les soupçons de corruption dans plusieurs pays. Mais les conditions de cette vente, et le rôle qu'y a joué Emmanuel Macron, sont suffisamment opaques pour justifier l'ouverture d'une commission d'enquête, dont le rapport est rendu en avril 2018.

Le président de cette commission, c'est Olivier Marleix, ennemi politique assumé du président Macron. Il saisit le parquet de Paris en janvier 2019. Selon lui, la vente d'Alstom est le résultat d'un "pacte de corruption", orchestré par un Emmanuel Macron désireux de faire financer sa future campagne électorale. Le camp LREM nie en bloc, mais cela n'empêche par le Parquet national financier (PNF) de se saisir rapidement du dossier. Le signalement du député est suivi, quelques mois plus tard, d'une plainte de l'association Anticor, pour les mêmes motifs. 

L'intervention du PNF est un signal fort. D'autant que l'opération elle-même n'a pas rencontré le succès escompté. En juin 2018, General Electrics annonce qu'il ne tiendra pas sa promesse, actée dans le cadre de la vente, de créer 1000 emplois sur le sol français. Le gouvernement a d'ailleurs annoncé en février 2019 infliger une amende de 50 millions d'euros au géant américain. 

Autre point de tension : les dons perçus par En Marche en 2017 font bien l'objet d'une enquête, ouverte fin 2018. Elle vise à déterminer l'origine de 144 000 euros de dons, dont on ignore encore s'ils ont ou non été versés dans le cadre de la campagne électoral. Au début de l'année, la commission de campagne avait déjà constaté des irrégularités dans les dons récoltés. Plus de 87 000 euros avaient été jugés "non-conformes à la législation"

Les modifications wikipédia, un jeu de cache-cache

Entre 14h51 et 15h21, le 27 juin 2018, la section consacrée à l'affaire Alstom sur la fiche wikipédia d'Olivier Marleix a été modifié par deux fois. La date, quatre ans après les faits, n'est pas sans intérêt. La modification a été opérée dans les dix jours suivant l'annonce de General Electrics de renoncer à la création d'emplois.

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Comme on peut le constater, le paragraphe final concernant Emmanuel Macron n'a pas été restauré dans la version actuelle. Un autre paragraphe a subi une coupe radicale : celui qui évoque Patrick Kron, ex-PDG d'Alstom, et Arnaud Montebourg, ex-ministre de l'économie. 

Dans ce paragraphe, les propos d'Arnaud Montebourg visent à le dédouaner de toute responsabilité dans le cadre de cette vente. Des informations qui ont contribué à diriger les soupçons du député Marleix vers Emmanuel Macron. Cette partie a été restaurée et figure bien dans la version actuelle. Mais, étrangement, ce n'est pas la seule fois où ce passage précis a été ciblé. 

Mai 2020 : une IP canadienne enfonce le clou

Le 19 mai 2020, il a de nouveau été supprimé, par un autre utilisateur cette fois. Annulée en moins de trois minutes, cette intervention est particulièrement étrange. L'adresse IP identifiée dirige vers la société canadienne de télécommunication et fournisseur d'accès, Rogers Communications, ce qui ne permet pas d'identifier l'utilisateur réel.

Cependant, cette IP n'a été utilisée que pour deux interventions sur Wikipédia, le même jour. L'autre modification porte sur la fiche de Thomas Thévenoud, licencié du secrétariat d'Etat au commerce pour des démêlés judiciaires. Il y avait été nommé seulement neuf jours plus tôt, le 26 août 2014, investi en même temps qu'Emmanuel Macron, son ministre de tutelle. Dans cette fiche, l'adresse IP de Roberts Communications a supprimé plus de 26 000 caractères, dont l'immense majorité concerne ses affaires judiciaires. 

Pourtant, voici ce qu'elle rajoute à la fiche : "Le compte Twitter @wiki_assemblee révèle que les lignes "Il est l'objet d'une polémique suite à une photo [...] le montrant jouant au scrabble sur une tablette numérique en pleine séance à l'assemblée nationale." ont été supprimées depuis une IP de l'assemblée nationale française." 

Pourquoi dénoncer les précédentes suppressions, si l'on est soi-même là pour censurer ? La personne en charge de cette altération a en tout cas appliqué la même méthode sur la fiche du député Marleix. Tout le paragraphe mentionnant Patrick Kron et Arnaud Montebourg a été effacé, la mention du travail de "L'Assemblée sur Wikipédia" a été ajoutée.

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Quatre ans après les faits, les enjeux de l'affaire Alstom semblent en tout cas toujours assez cruciaux pour motiver une véritable bataille de la communication, sur la plus grande plateforme d'information libre d'internet. 

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