C’est l’histoire d’une rencontre entre Fabrice, un boucher-charcutier de Touraine et un client, Aurélien, amateur de bonne chère. Boucher farceur et client innovateur ont créé ensemble une entreprise de charcuterie artisanale au CBD.
Fabrice est un boucher-charcutier installé depuis une dizaine d’années à Larçay. Il y a quelques mois, le débat en France autour du CBD thérapeutique -cette molécule contenue dans le cannabis- s’est invité dans sa boucherie. À l'époque, il se souvient avoir entendu : "Oh le CBD, ça va être une nouvelle drogue, les jeunes vont se droguer etc…" Donc je trouvais ça rigolo de répondre à ces avis tranchés par une petite provocation."
La provocation en question : sortir "une charcuterie parfumée au CBD". Car, loin des avis parfois tranchés un peu trop rapidement, il s’avère que la fleur de cannabis, vendue fin 2021 légalement, ne contient que très peu de THC (molécule aux effets psychotropes) : c’est moins de 0,2%.
Le boucher farceur et le client testeur
Leur première inspiration : le saucisson sec. "Avec mon apprenti, on a fait un essai, se souvient le boucher-charcutier. On y a goûté évidemment avant de le mettre en vente et il s’est avéré que c’était hyper bon, ça a vraiment été une claque au niveau gustatif." Les deux produisent une première salve d'une quarantaine de saucissons, tous écoulés en une journée.
Alors forcément, "on a eu envie de recommencer 2 ou 3 fois et parmi les clients, Aurélien en a acheté plusieurs fois et il m’a dit : "Il faudrait qu’on fasse quelque chose, c’est un produit qui est bon, qui est nouveau et l’idée mérite d’être creusée". Fabrice finit par accepter d’en discuter un peu plus avec son client, et puis la machine s'est lancée. Associés, ils montent alors leur entreprise.
"Tout est bon dans le cochon, et dans le chanvre aussi"
Une blague qui se poursuit avec le nom du saucisson : "le Sauchichon", leur produit phare. Les deux compères avouent en riant l’avoir tout de suite déposé auprès de l’INPI, Institut National de la Propriété Intellectuelle. La marque de leur gamme de "charcuteries pour adultes" s'appelle quant à elle "Au Cochon Vert". Car, "dans le chanvre, les feuilles, les fleurs, pour l’aspect thérapeutique, les tiges pour l'isolation et la construction... tout est bon comme dans le cochon !", avance Aurélien.
Les deux associés estiment avoir trouvé leur "recette optimale". Herbe aromatique très forte, le chanvre peut ainsi "devenir écœurant si on en met trop", avance le néo-artisan : "On est à 0,3%, c’est 1g de CBD pour un saucisson de 200 grammes. L’idée, c’est vraiment d’utiliser ce chanvre comme une herbe aromatique et uniquement comme une herbe aromatique." Ca ne plane donc pas pour soi si on mange du Sauchichon.
Le seul effet, c’est un goût de reviens-y, parce que c’est vachement bon !
Fabrice Chaveau, cofondateur "Au Cochon Vert"
Car "si effectivement il peut y avoir des effets thérapeutiques dans le CBD, ce n’est pas ce qui nous intéresse, affirme Aurélien. Nous ne sommes ni médecins ni pharmaciens et de toute façon, vu la quantité utilisée, on ne pourrait pas ressentir des effets relaxants en mangeant du saucisson."
Le goût frais et herbacé du chanvre
Il renchérit : "Notre but, c’est que les gens reviennent pour le goût car les premiers clients qu’on a et qu’on aura dans le futur sont des gens qui vont être curieux de goûter et qui vont sûrement comme moi, revenir parce que c’est intéressant et le goût se marie bien avec la charcuterie."
Car le Sauchichon n'est qu'un début. Fabrice met au point une gamme de charcuteries artisanales parfumées au CBD. Des rillettes, façon rillettes de Tours, et des terrines de pâté... Il espère développer une ou deux nouveautés par an et, pourquoi pas, faire de "Au Cochon Vert" la première marque de charcuteries artisanales au CBD en France.
Son complice, Aurélien Bonnard, manager de ventes et spécialiste du digital, a quitté la région parisienne avec sa famille pour s’installer, il y a 3 ans à Saint-Avertin près de Tours. Il a connu Fabrice à ce moment-là, recherchant des artisans de qualité près de chez lui. "C’est la première recherche que j’ai faite sur Google et je suis tombé sur Fabrice Chaveau, boucher à Larçay", se souvient-il. Tout de suite, il aime la qualité de ses produits, mais aussi sa convivialité en boutique et sur les réseaux sociaux.
Les deux compères ont dû passer par une campagne de financement participatif sur Ulule pour les précommandes. "L’objectif est de commencer la production dès maintenant pour répondre à ces précommandes dès le mois de mars et nous allons intégrer des locaux agroalimentaires à Athée-sur-Cher pour lancer une production plus importante", se réjouit Aurélien.
Cannabis et piment d'Espelette : même combat
Les deux associés prévoient de vendre leurs produits sur Internet, mais veulent aussi travailler en circuit court, avec des boutiques et des revendeurs de proximité. Une cinquantaine de propositions ont déjà atterri dans leur escarcelle.
Est-ce que cet engouement autour du CBD durera ? Pour Aurélien et Fabrice, c'est sûr, à condition que l'argument reste avant tout le goût. "Pendant les fêtes, j’ai eu beaucoup de demandes par téléphone ou à la boutique pour me demander si j’avais des Sauchichons disponibles."
Malgré le succès, il reste "des réticences" bien que "minoritaires" : "Pour nous c’est un produit alimentaire, donc c’est comme le piment d’Espelette. Tout le monde n’aime pas le piment d’Espelette et tout le monde n’aimera pas le Sauchichon. Il y a un côté cannabis qui peut faire un peu parler mais en matière de marché, il y a beaucoup de personnes qui consomment du CBD en France. On mise sur la curiosité des gens."
Ainsi, une des premières commandes qu'ils ont reçues, "c’est une dame qui faisait un pot de départ à la retraite". Pas spécialement le cœur de cible initial de la petite entreprise. "Il faut juste compter sur la curiosité des gens, après c’est à nous de jouer pour faire un produit qu’on n’achète pas qu’une fois."
C’est une addiction au bon goût et à la convivialité.
Aurélien Bonnard, cofondateur "Au Cochon Vert"
Le cannabis vient de producteurs français, dans le Beaujolais. Les porcs, eux, sont élevés en Loir-et-Cher. L’artisan charcutier utilise les résidus des fleurs passées dans un tamis. Ce sont ces petits morceaux qui sont utilisés dans l’alimentaire.
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Les deux compères ont aussi créé un blog autour de l’univers de l’apéritif. "Notre idée c’est vraiment de proposer aux clients de la convivialité, avec des associations de mets ou de boissons autour de nos charcuteries". Aurélien ajoute : "C’est déjà ce qui se fait beaucoup aux Etats Unis, la cuisine au cannabis. On est là pour faire connaître ce nouveau goût et le marier avec quelque chose qu’on connait déjà".
Fabrice a déjà pris contact avec la microbrasserie de Tours. "Le brasseur, va nous sortir un brassin d’une bière au chanvre (à consommer avec modération) qui pourra accompagner nos charcuteries." Les premiers Sauchichons devraient sortir de l’atelier de production en mars, avant une commercialisation au printemps. Car les faire sécher prendra six semaines, rien que ça.
Le CBD, un marché d'avenir ?
Reste à savoir si l'aventure pourra perdurer. Une question qui ne semble pas affecter beaucoup Fabrice et Aurélien. "On pense que beaucoup de personnes vont en acheter pour la blague, pour faire un cadeau mais au-delà du fun, on veut faire découvrir le côté aromatique du chanvre, qu’on trouve très intéressant". Leur souhait pour l’année 2022 : que leur aventure entrepreneuriale continue comme elle a commencé. Sur les chapeaux de roue !