"Je tape son nom sur internet, il n'y a rien" : l'interminable attente des victimes de l'affaire Le Scouarnec

En 2019, la France découvrait, en même temps que certaines victimes, les actes pédophiles de l'ex-chirurgien, Joël Le Scouarnec. Depuis, le dossier des 300 victimes faites dans plusieurs hôpitaux, dont Loches a peu progressé. Les victimes font face au silence de la Justice, devenu insupportable.

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Depuis presque deux ans, elle sait. Et depuis presque autant de temps, elle attend. Amélie Lévêque a été victime, en 1991, du chirurgien pédophile Joël Le Scouarnec, tristement connu comme le visage de l'une des plus grandes affaire pédophiles de France. Au moins 336 enfants ont été victimes des agissements sordides du chirurgien, au sein même des hôpitaux où il exerçait, dont Loches (Indre-et-Loire).

"C'est comme s'il disait que ça n'a pas existé"

En 2019, ses crimes sont révélés au grand jour lorsqu'il est accusé du viol de sa jeune voisine. Lors d'une perquisition, les forces de l'ordre découvrent des carnets dans lesquels Joël Le Scouarnec consigne des traces de toutes ses agressions, avec le déroulement des faits et le nom des victimes. En décembre 2020, l'ex-praticien est condamné à 15 ans de prison pour viols et agressions sexuelles sur 4 mineurs, dont sa voisine et deux de ses nièces.

Les victimes se disent soulagées, mais Joël Le Scouarnec ne les laissera pas respirer : il fait appel, moins de 10 jours plus tard, refusant de reconnaître le viol de sa petite voisine. Depuis, Le Scouarnec dort en prison, une "maigre consolation". Car au-delà de faire durer cette première procédure judiciaire, l'accusé force en même temps le report d'un second procès : celui qui concerne plus de 300 victimes faites à l'hôpital. "Je ne sais pas ce qu'il espère. 15 ans, pour nous c'est peu, pour lui, c'est certainement énorme. Peut-être veut-il faire durer ? Je ne sais pas. On était tellement écoeurés de cet appel. Il y a eu des preuves, on pense que c'est fini. En fait, pour moi, c'est comme s'il disait que ça n'a pas existé" constate durement Amélie Lévêque.

"On ne sait rien" : les victimes face au silence

Pour Amélie Lévêque le pire, sans aucun doute, c'est l'incertitude. D'autant qu'elle a un goût de déjà-vu. En octobre 2020, les 349 victimes qui se sont manifestées auprès de la Justice n'étaient pas encore toutes fixées sur un point essentiel : la prescription de leurs dossiers. Un revers douloureux pour ceux qui se sont heurtés au temps judiciaire, un nouveau travail à faire pour trouver la paix. 312 d'entre eux pourront finalement voir leur dossier jugé.

Aujourd'hui, c'est l'attente, d'abord d'une date pour le procès en appel de son agresseur. "Je tape son nom sur internet, pour voir s'il y a des trucs. Il n'y a rien. Je ne sais pas qui peut nous renseigner. Je ne peux même pas vous dire qui est le gendarme qui a pris ma plainte, et mon avocate ne m'appelle pas pour le plaisir. On ne sait rien" s'agace la jeune femme, qui affiche un moral d'acier malgré ce morceau de vie en suspend.

Attente, encore, pour la convocation chez le juge d'instruction, afin de donner un témoignager salutaire. "Je devais être convoquée par le juge, mon avocate m'avait prévenu le 7 avril, depuis tous les midis, je suis à ma boîte aux lettres. Et je n'ai toujours rien. C'est silence radio, j'aurais même préféré ne pas le savoir !"

Incertitude également, sur le sort de l'Ordre des médecins, accusé d'avoir couvert, ou tout du moins permis par négligence, les agissements de Joël Le Scouarnec. Au point qu'Amélie Lévêque demande à son avocate : "est-ce que c'est toujours d'actualité ?" Il ne faudrait pas oublier, pourtant, les alertes données d'abord au sein de l'hôpital, et sa condamnation pour détention d'images pédopornographiques en 2005, connue de l'Ordre des Médecins, qui ne l'a pas empêché de continuer à travailler auprès des enfants.

Moral et finances : des plaignants qui s'épuisent

De manière générale, poursuit Amélie Lévêque, "il n'y a pas une grande prise en compte de la parole des victimes, tout au long de cette affaire. On fait des annonces, et ensuite plus rien. Ce sont des montagnes russes. Si je veux vraiment avancer, il faut que je ferme ce livre."

Ces délais ont aussi un autre effet pervers, l'impact sur les finances de ceux qui portent plainte. "Les frais de Justice que cela va engendrer sont énormes, il faut quand même s'organiser, ce côté financier existe. Il faut aussi prendre en compte mes déplacements jusque Lorient [où sera jugé l'affaire, ndlr], mon avocate n'est pas à côté non plus..." énumère la jeune femme, qui estime à 10 000 euros les frais engendrés. Une somme à laquelle il faut ajouter les frais médicaux, notamment de psychologue, nécessaires pour surmonter son traumatisme, et l'amnésie qui a suivi. Un suivi qu'elle ne peut pas arrêter, de peur que l'affaire Le Scouarnec lui retombe dessus d'un jour à l'autre.

Le "temps judiciaire", semblable à aucun autre

Interrogé sur ce silence généralisé, le procureur de Lorient, Stéphane Kellenberger, en charge du dossier Le Scouarnec, rappelle auprès de France 3 que le "temps judiciaire est rarement semblable au temps médiatique".

"S'agissant du fond du dossier et dès lors qu'une information judiciaire est ouverte, entre les mains d'un juge d'instruction du pôle criminel de Lorient, il n'est pas opportun, à ce stade et en application des dispositions de l'article 11 du Code de procédure pénale, de communiquer à ce sujet" précise le magistrat. L'instruction, dans le dossier Le Scouarnec, est en effet encore en cours. Si des éléments cruciaux venaient à être dévoilés à contretemps, cela pourrait compromettre toute la procédure.

"Concernant les réponses aux interrogations légitimes des victimes", le procureur Kellenberger estime qu'elles relèvent avant tout de la compétence du magistrat instructeur.  "Quant à leur accompagnement, il revient naturellement aux avocats de celles-ci, ainsi qu'aux associations d'aide aux victimes, en particulier France-Victimes 56, mandatée à cette fin par notre juridiction."

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