En juin 2023, Bruno Le Maire, ministre de l'Économie, annonçait vouloir lutter contre l'explosion des arrêts maladie. Depuis, en Indre-et-Loire, neuf médecins, jugés gros prescripteurs, ont été convoqués par la Caisse Primaire d'Assurance Maladie du département. Une pilule difficile à avaler pour les professionnels de santé concernés.
Une cheville tordue, impossible de marcher. Le médecin prescrit un arrêt de travail. Une vilaine toux, 39 de fièvre, cloué au lit. Le médecin prescrit un arrêt de travail. Mais le font-il trop volontiers ? Trop généreusement ? L'arrêt maladie est-il toujours justifié ?
"En Centre-Val de Loire, les délais pour obtenir un rendez-vous chez un spécialiste sont très longs, chez les para-médicaux aussi. Et puis les burn out sont en explosion. Donc forcément les arrêts augmentent…" justifie Gabrielle Gallet-Voisin, médecin généraliste à Mont-près-Chambord, dans le Loir-et-Cher.
Quelques jours de repos dans le viseur du gouvernement et des caisses primaires d'assurance maladie. En juin dernier, Gabriel Attal, alors ministre chargé des comptes publics, annonçait une augmentation de 8% entre 2021 et 2022 des indemnités journalières versées par la Sécu lors d'arrêts de travail. La somme s'élevait à 15 milliards d'euros. Il fallait agir ! Solution trouvée : mieux contrôler les médecins trop généreux.
🔴🗣 "Il y a des centaines de millions d'euros à économiser en contrôlant ceux qui abusent"
— Telematin (@telematin) June 20, 2023
Bruno Le Maire réclame une "responsabilisation collective" sur les arrêts maladie. #Les4V @BrunoLeMaire pic.twitter.com/yV7IsuAVYi
Chaque semestre, une moyenne du nombre d'arrêts de travail par patient est établie dans chaque département. "La moyenne en Indre-et-Loire, je ne vous la communiquerai pas", assume Carine Mathat, directrice gestion du risque à la CPAM 37, "parce qu'elle fluctue d'un semestre à l'autre".
Sont alors identifiés les gros prescripteurs, qui prescrivent deux fois plus d'arrêts que la moyenne. Ces médecins, qui ont la main bien plus lourde que leurs confrères sur les arrêts de travail, sont convoqués devant la CPAM.
"Deux médecins m’ont récemment demandé de les accompagner devant la CPAM d'Indre-et-Loire" se souvient le docteur Antoine Soubieux, généraliste à Joué-les-Tours et représentant du syndicat UFML (Union Française pour une Médecine Libre).
Sept autres médecins d'Indre-et-Loire ont été convoqués devant la CPAM, neuf en tout.
Deux dispositifs proposés aux gros prescripteurs
Lors d'une convocation, une "mise sous objectif" est soumise au médecin. La CPAM accompagne le docteur et le somme de diminuer ses prescriptions d'arrêts de travail. "Si le médecin ne la respecte pas, il s’expose à des pénalités financières. Jusqu'à 7000 euros", détaille Antoine Soubieux. La CPAM confirme le chiffre, mais nuance : "On donne un objectif d'arrêts engageant, mais atteignable."
En Indre-et-Loire, parmi les neuf médecins convoqués, un s'est vu sortir du processus, sept ont accepté la "mise sous objectif", le dernier, lui, a décliné cette proposition.
En effet, ce dispositif peut être refusé par le praticien."C'est le cas de l'un des deux médecins que j'ai accompagnés", souligne le représentant syndical. Dans ce cas, une nouvelle procédure s'enclenche, la "mise sous accord préalable". L’intégralité des arrêts de travail prescrits par le médecin sont alors soumis à l’accord du service médical de la CPAM. L'assurance maladie a un droit de regard systématique sur chaque arrêt de travail prescrit. "En cas de doute sur le motif médical ou la durée de l'arrêt, on appelle le patient afin de mieux cerner la situation", détaille Carine Matha, "en matière d'indemnisation, pour le patient, il n’y a pas de délais. On reçoit l’arrêt, on analyse et on confirme au patient dans les 24h."
Cette "mise sous accord préalable" a démarré en décembre pour le médecin concerné en Touraine, elle prendra fin au printemps.
Les médecins réagissent
Plusieurs syndicats et collectifs de médecins contactés évoquent une injustice, un "flicage".
"Nous n'avons aucune raison aujourd’hui, aucun intérêt, à arrêter les patients. On croule sous la demande"
Gabrielle Gallet-Voisin, médecin généraliste à Mont-près-Chambord.
Sans oublier le traumatisme pour ces professionnels de santé pointés du doigt. Leur savoir-faire et leur professionnalisme sont remis en question. "On charge une profession déjà à bout, en laissant supposer que l'on ferait mal notre travail. Or, l’arrêt maladie est un outil fondamental pour nous. Moi, d’un semestre à l’autre, j’ai diminué de moitié. On ne choisit pas quand un patient se démet l’épaule ou déclenche une sciatique... et on fait porter le chapeau aux médecins", regrette Antoine Soubieux.
En France, l’Assurance maladie aurait placé sous surveillance un millier de médecins considérés comme de gros prescripteurs.