Peut-on encore faire (et manger) du bon pain ? Rencontre avec un paysan-boulanger tourangeau

Militant pour une alimentation saine et durable, le mouvement Slow Food lance une campagne pour un pain "bon, propre et juste". Rencontre avec un paysan boulanger de Touraine, installé à Dolus-le-Sec, qui assure l'ensemble du cycle de production, de la culture des céréales à la transformation en farine, jusqu'à la production de pain au levain bio.

Le pain, qui est l'un des piliers de notre alimentation, est aussi considéré comme un fleuron de la gastronomie française. En 2022, la baguette de pain a ainsi fait son entrée sur la liste du patrimoine culturel de l'humanité de l'UNESCO.

Et, pourtant, le constat dressé par Slow Food sur la filière pain est assez désespérant : perte de la biodiversité céréalière, appauvrissement des farines et de leurs qualités nutritionnelles, industrialisation des pratiques boulangères, standardisation de la production et du goût...de la terre à l'assiette, rien ne va plus !

L'association (née en 1986 en Italie, en réaction à l'implantation d'un McDo dans le cœur historique de Rome) enfourche donc ce nouveau cheval de bataille et lance une campagne Slow Bread. Le manifeste débute ainsi :

"Le pain doit refléter son lien à la terre. Tous les acteurs de la chaîne alimentaire du pain doivent contribuer à valoriser et préserver la diversité des terroirs, des céréales, et des savoir-faire paysans meuniers et boulangers."

Une lueur d'espoir, dans ce mouvement vers une standardisation du pain et une dégradation de ses qualités gustatives et nutritionnelles : de plus en plus de paysans et d'artisans boulangers se mobilisent pour réhabiliter variétés de blés anciennes et méthodes traditionnelles de panification.

Martin Desplat, paysan boulanger installé dans le Sud Touraine, à Dolus-le-Sec, en est un parfait exemple. Sur une ferme de taille moyenne, 70 hectares, il assure l'ensemble du cycle de production, de la culture des céréales à la transformation en farine, jusqu'à la production de pain au levain bio.

Martin a suivi des études poussées à Tours, un master hydrosystèmes et bassins versants. En 2020, pourtant, il a décidé de reprendre l'exploitation familiale de Dolus-le-Sec :

"Avec le changement climatique, on est de plus en plus nombreux à se poser des questions sur notre place, nos études. Je pensais qu'on pouvait changer les choses avec la recherche, les informations scientifiques, la politique, mais j'en suis revenu ! Être dans le concret, sur le terrain, rencontrer les gens, c'est cela qui m'importe. Là, on a de l'impact, une légitimité à en parler, on montre l'exemple. Il s'agit de redonner du sens à sa vie, trouver ce qu'on est venu faire sur cette terre..."

Une philosophie de vie, alliée à un goût pour les techniques de fermentation, qui l'a mené tout naturellement à la boulangerie :

"J'adore la fermentation. On a plein de bactéries dans notre ventre, un microbiote qui conditionne notre santé, nos humeurs...Il faut l'entretenir, le stimuler avec des aliments fermentés. Je travaille donc au levain naturel, avec des variétés que je sélectionne sur mes parcelles, qui ont un intérêt gustatif et nutritionnel. De la terre à l'assiette, je contrôle tout ce que j'utilise comme ingrédient pour le produit final, qui, à mon sens, correspond vraiment à ce qu'on a besoin de manger pour se sentir bien."

Polyculture et élevage de ruminants, tel est le credo de Martin Desplat. Le paysan tourangeau est à la tête d'un petit troupeau, une dizaine de vaches allaitantes de race Aubrac.

"Je pratique des rotations assez longues, explique Martin. Je cultive des luzernes, des légumineuses qui ramènent de l'azote au sol, puis les récolte en fourrage pour les vaches. Au bout de deux ans, je les enlève et sème du blé, du seigle, de l'épeautre ou du khorasan. Toutes ces céréales ont besoin d'azote. Avec la luzerne, les vaches me donnent du fumier qui retourne dans les champs et entretient la fertilité des sols."

Sur les 70 hectares de l'exploitation, 15 sont laissés en prairie permanente, 35 à 40 hectares sont dédiés aux cultures annuelles, le reste est consacré à la luzerne. Et outre le précieux fumier des vaches ("de l'or, pour moi", rigole Martin), quelques caissettes de viande partent en vente directe à la ferme.

Martin Desplat transforme lui-même les grains des céréales en farine, grâce à un moulin équipé d'une meule en granite. Il est donc en fait paysan-meunier-boulanger, seul maître de la production, en un cycle particulièrement vertueux.

Sur une semaine déjà bien remplie, Martin consacre les mercredis et jeudis à la panification :

"Après 6 à 7 heures de fermentation au levain naturel, les pâtes sont enfournées au fur et à mesure dans le four à bois. Les pains sont commercialisés le jour même ou le lendemain, aucun problème, ils se conservent bien, les clients le savent et font leur stock pour la semaine."

Les pains sont livrés à des biocoops et magasins de vrac, des restaurants, ou vendus sur des marchés. Dont celui de Courçay le jeudi, avec le collectif À travers champs que Martin a constitué avec 7 autres producteurs bio.

24 heures de boulot, rien que sur ces deux journées, Martin Desplat est bien loin de s'en plaindre :

J'ai fait le choix de transformer mes productions, forcément cela demande du temps. Je fais beaucoup d'heures, mais je me sens libre. C'est agréable de savoir pourquoi on se lève le matin. Nourrir les gens avec du pain, c'est ce qui m'anime, qui me plaît, qui donne du sens.

Martin Desplat, paysan-boulanger de Dolus-le-Sec

Mangera-t-on encore du bon pain demain ? Slow Food Val de Loire organise une soirée documentaire/débat vendredi 1er mars à 19h30, à la Villa Rabelais (116, boulevard Béranger à Tours). Des professionnels de la filière pain, dont Martin Desplat, animeront une table ronde, suivie d'une dégustation. L'évènement est ouvert au grand public, et en accès libre.

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