Dans son film "Broken", la native de Tours Olivia N'Ganga utilise la danse comme un moyen, pour une femme battue, de transmettre sa douleur. Depuis sa sortie en 2020, le court-métrage vit une double vie, entre de la sensibilisation dans des salles de classe et une razzia de récompenses dans les festivals.
Des prix, d'autres prix, encore des prix... Le dossier de presse du court-métrage Broken affiche une liste de récompenses, longue comme un jour sans pain. Et encore, "il n'est pas à jour". En octobre, Olivia N'Ganga a reçu le prix de la meilleure actrice dans un court-métrage au festival des cinéastes indépendants de Nashville, aux États-Unis.
Et elle aurait pu en obtenir plus : Broken ("cassée" en anglais), elle l'a chorégraphié, coécrit et coréalisé avec son comparse Mikaël Dinic. Tous deux sont issus du monde de la danse, et ont fait du cinéma pendant leurs études. Le résultat : une collaboration à l'origine de multiples courts, tous parlant de société à travers la danse, ou de la danse à travers des sujets de société. Olivia N'Ganga s'occupe de l'histoire et de la chorégraphie, Mikaël Dinic de la technique. "Il sait parfaitement filmer la danse."
La danse comme vecteur de parole
Broken est sorti en 2020, et continue en 2023 sa tournée des festivals. C'est "un film expérimental", assume la réalisatrice. Une fiction inspirée de faits réels, qui dénonce les violences faites aux femmes, et où l'histoire est guidée par la danse. "Les victimes, souvent, n'arrivent pas à parler, n'ont pas la possibilité de s'exprimer avec des mots, explique Olivia N'Ganga. C'est donc difficile à retranscrire avec un cinéma classique."
Mais, grâce à la danse, son personnage "peut s'exprimer à travers des gestes et son corps". De manière plus générale, elle voit la danse comme un médium que devrait plus utiliser le cinéma pour véhiculer des messages forts. "Il y a eu Billy Elliott, Black Swan, En Corps, mais on les compte sur les doigts d'une main", regrette-t-elle, manifestant aussi toute son admiration à Damien Chazelle pour ses séquences dansées dans La La Land et Babylon.
Olivia N'Ganga est née à Tours, a longtemps vécu à Tours, y a étudié la danse, le théâtre, la musique et le chant au Conservatoire. Après son bac, elle entreprend des études de cinéma, puis de journalisme, avec une petite parenthèse en école de commerce. "Je me cherchais un peu", rit-elle. Pendant plusieurs années, elle est journaliste (rédactrice et présentatrice) à travers le réseau France 3, et notamment en Centre-Val de Loire.
"J'ai adoré faire du journalisme, c'est très riche", assure celle qui dit ne pas avoir complètement lâché la profession. "Je tire toujours mes films d'histoires vraies, je fais une sorte d'enquête en allant à la rencontre des gens, c'est pas loin du journalisme."
Faire bouger les lignes
Depuis son premier court-métrage documentaire, sorti en 2014, Olivia N'Ganga enchaîne les films qui mêlent danse et "grands thèmes de société". Les discriminations dans le monde de la danse, visant les hommes dans Son rêve à lui, les personnes obèses dans Itinéraire etc., la danse comme échappatoire face au burn-out dans Électron libre...
"Je veux interpeller, faire bouger les lignes", ajoute la réalisatrice. Mais, promet-elle, "pas de manière frontale" :
L'art, c'est ma matière première. En venant voir des films comme les miens, les gens ne se rendent pas forcément compte que des thèmes forts vont être abordés, et ils vont être responsabilisés.
Olivia N'Ganga, co-réalisatrice de "Broken"
En gardant cet état d'esprit, elle intervient auprès de scolaires. Il y a deux semaines, elle s'est rendue au collège Jean-Philippe Rameau de Tours, et y a projeté Broken devant cinq classes de 3e. "C'était incroyable, ils étaient très touchés, m'ont posé énormément de questions, ils s'étaient informés avant, avaient étudié le film avec leur prof", se souvient Olivia N'Ganga. Selon elle, "on sous-estime trop souvent les jeunes, en se disant que c'est trop tôt pour leur parler de sujets comme les violences faites aux femmes, mais ce n'est pas le cas, on a eu des échanges très constructifs".
La tournée des festivals
Le destin de Broken relève presque du miracle. Alors qu'il doit sortir en mars 2020, son exploitation en salles est compromise par le premier confinement lié à la pandémie de Covid-19. Pour rattraper le coup, les équipes le diffusent dans des festivals en Europe et aux États-Unis. "On a commencé à remporter un très gros succès dans les festivals, à Houston, à Dallas, à New York", se souvient-elle.
À l'époque, "je me disais que ça durerait un an, et trois ans plus tard, on est encore sélectionné dans des festivals", se réjouit Olivia N'Ganga. Ces programmations lui permettent de rencontrer "un public professionnel", qui, cerise sur le gâteau, lui décerne des prix. Mais aussi de "faire des rencontres, de recueillir des témoignages sur les violences faites aux femmes, de créer des opportunités humaines au-delà du cinéma, dans la vie réelle".
Un futur animé
Olivia N'Ganga apparaît régulièrement en tant qu'actrice dans des productions à la télévision, en attendant de concrétiser d'autres projets derrière la caméra, toujours autour de la danse. Qui est pour elle "un travail et une passion". "Je fais toujours ma barre le matin, et je découvre encore des nouvelles choses... J'ai commencé les claquettes il y a deux jours !"
Son prochain film, avec Mikaël Dinic, est en cours d'écriture. Cette fois, les deux compères souhaitent aborder la thématique des discriminations liées aux origines dans le monde de la danse, à partir de "l'histoire d'une petite fille qui a vécu en région Centre". Le personnage pourrait ensuite rencontrer "des personnalités réelles qui ont évolué dans la danse, un peu partout dans le monde".
Olivia N'Ganga espère tenir là son premier long-métrage, et ambitionne un 90 minutes, en animation s’il vous plaît. "On est en train de construire un teaser et un story-board pour déterminer le style." Elle décrit "un dessin assez réaliste", et cite volontiers Les Hirondelles de Kaboul et J'ai perdu mon corps comme influences.