En 1932, sortait "Vampyr", de Carl Theodor Dreyer, tourné en partie dans un manoir situé à Courtempierre, dans le nord du Loiret. Retour sur les traces d'un des premiers films de vampire de l'histoire du cinéma.
Au bord d'un large fleuve, une silhouette malhabile semble n'arriver de nulle part. Un jeune homme, répondant au nom d'Allan Gray (David Gray en français), entre dans le cadre de l'image, avec ses bagages et une épuisette. Il choisit de s'arrêter dans un petit hôtel, celui du village de Courtempierre.
Voilà résumées les toutes premières secondes du film Vampyr. Sorti en 1932, réalisé par le Danois Carl Theodor Dreyer, le long-métrage de 73 minutes fait partie d'une sainte trinité officieuse des films de vampires, avec Nosferatu (1922) et Dracula (1931). Pour Alain Pelosato, dans son article "Monstres au féminin" de 2008, Vampyr est "un maillon essentiel dans l'histoire du cinéma", "un évènement cinématographique".
Courtempierre, entre Loiret et Indre-et-Loire
Pour son village fictif de Courtempierre, Dreyer utilise des berges à la confluence du Cher et de la Loire, en Indre-et-Loire, une vieille auberge et un cimetière que France 3 n'a pas réussi à retrouver, ainsi qu'un manoir mystérieux, théâtre de la majeure partie de l'action du film.
Ce manoir est une réelle bâtisse, située dans le Loiret, dans le petit village de... Courtempierre, le vrai, à une dizaine de kilomètres au nord-ouest de Montargis. Propriété privée, le manoir était tombé en ruine, abandonné quelques années après le tournage du film. Il a pu être patiemment restauré ces dernières décennies.
Dans Vampyr, le petit château est le lieu d'évènements étranges. Allan Gray y arrive quelque peu par hasard, après avoir suivi des ombres. Il assiste, dès son arrivée, à l'assassinat du châtelain, non sans que ce dernier ne lui ait confié un vieux livre sur les mystères du vampirisme. C'est ce livre qui, dans la suite du film, va guider autant le personnage que le spectateur, dans une narration parfois lourde mais qui délivre, à un public des années 30 pas toujours averti, les codes du genre.
Tout est expliqué dans le livre : les morsures, les sortilèges, les alliés du diable, la façon de vaincre un vampire. Et, comme l'histoire est bien faite, Allan Gray est informé que Léone, la fille du châtelain, est tombée gravement malade, et qu'elle souffre d'une morsure à la gorge.
Atmosphère brumeuse
Le cinéaste ne s'intéresse finalement que très peu au vampire, qui n'est au départ montré que de loin, dans un voile vaporeux. Même l'acte de vampirisme, la morsure à la gorge, n'est qu'esquissé. "La figure du vampire est insaisissable, littéralement brumeuse", écrit Georges-Claude Guilbert dans son article sur Le masculin et le féminin dans les films de vampires en 2010.
Georges-Claude Guilbert note que, dans Vampyr, le prédateur aux longues canines est une femme, âgée qui plus est. Et ce alors que "la majorité des films de vampires sur le marché mettent en scène des vampires mâles aux canines érectiles qui transpercent les gorges offertes d'humaines plus ou moins consentantes". La métaphore du vampirisme est très loin d'être subtile.
Finalement, de tous les codes du film de vampire, un seul semble manquer à Vampyr, selon Patrick Zeyen : "l'amour passion", si important dans le Dracula de Coppola en 1992, dans les deux films Nosferatu, jusqu'à Buffy, Twilight et Only Lovers Left Alive. Autrement, tout y est : l'auberge inquiétante, le voyage de nulle part à nulle part, et (attention au spoiler) la mise à mort du vampire, dormant dans son cercueil, par un pieu dans le cœur.
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De façon générale, Courtempierre est, dans Vampyr, un lieu irréel. "On ne sait pas où on est, on n'a pas à le savoir, on sait juste qu'on entre dans le mystère", note le critique Jean Douchet dans une émission de France Culture consacrée à Dreyer en 2011.
Le manoir, "observatoire du ciel intérieur"
Le manoir loirétain est le pinacle de ces lieux mystérieux. À l'intérieur, Dreyer s'attarde à ne surtout pas orienter le spectateur, pour faire de chaque couloir, chaque pièce et chaque escalier une allée d'un labyrinthe. Dans la même émission de France Culture, l'universitaire Pascale Raynaud explique que, comme dans la pensée des surréalistes, le château de Vampyr devient "un observatoire du ciel intérieur". En des termes plus accessibles, "un lieu propice à l'émergence de l'imagination, l'apparition de phénomènes inconscients".
C'est pour cette raison que le cinéaste s'attarde plus sur les conséquences du vampirisme que sur le vampire lui-même. Sur la transformation progressive de Léone, la fille du châtelain, de malade vulnérable à diabolique. "Plus que l'effroi physique, la peur panique, le film suscite l'angoisse révoltée", explique Jean Sémolué dans son ouvrage consacré à Dreyer en 2005.
Le film est enveloppé d'une photographie floue, au départ une erreur d'exposition de la caméra. Le cinéaste est séduit, et garde ce style pour tout le film, lui conférant une aura mystérieuse. De plus, Dreyer doit tourner chaque scène en trois langues différentes pour la distribution internationale. Avec des acteurs loin d'être trilingues, il choisit de réduire les dialogues. Tous ces éléments confèrent à Vampyr une atmosphère plus qu'inquiétante.
Les lieux choisis pour le film renforcent cette impression. Dreyer n'utilise aucun décor, tout est vrai, du château à l'enseigne de l'auberge, de la barge du passeur aux toiles d'araignées dans les fenêtres. La légende raconte que le cinéaste avait demandé que des araignées soient élevées puis relâchées aux endroits que sa caméra allait filmer.
90 ans après sa sortie, Vampyr reste une référence dans l'histoire du film de vampire, et du cinéma en général. Une fierté méconnue pour le Loiret, à redécouvrir d'urgence.