La crise de confiance envers le monde politique se confirme en France. Face à cela, des élus tentent d'inverser la vapeur en se rapprochant de leur électorat. En Centre-Val de Loire, plusieurs d'entre eux sortent des carcans habituels, pour rentrer dans la vie quotidienne des "vrais gens".
Il est de ces scènes auxquelles on n'assiste pas à chaque coin de rue. Comme celle qu'ont pu observer les gamins du quartier Saint-Symphorien de Tours vendredi 18 novembre, à la tombée de la nuit. Sur le terrain, des bénévoles du club local se font des passes, et calent quelques ballons dans la lucarne d'une cage de but miniature. Le gardien : Charles Fournier, député écologiste de Tours, crampons aux pieds.
Élu pour la première fois à l'Assemblée nationale lors des dernières législatives, après plus de 10 ans sur les bancs du conseil régional, le député a décidé d'entamer une "tournée citoyenne". Autrement dit, une journée entière (8h-22h en gros) dans un quartier de Tours, à la rencontre des habitants. Commencée fin septembre, la tournée faisait escale dans les quartiers Paul-Bert et Tourettes le 18 novembre.
Message personnel
Cette journée-là, Charles Fournier est passé par une station de captation d'eau, une école élémentaire et un Ehpad, pour atterrir au FASS, le club de foot de Saint-Symphorien. "J'ai appris plein de choses aujourd'hui, je ressors avec plein de réflexions", se réjouit-il. À l'Ehpad, le député a commencé par une petite visite des lieux, avant un déjeuner dans la cantine avec les infirmières. Puis ce fut la rencontre avec des résidents, et avec des familles. "Les gens ont tellement le sentiment que les élus sont loin, qu'ils gagnent de l'argent pour rien... Alors quand je vais taper dans le ballon, que je mange avec les infirmières, ça me rend proche, et c'est génial, j'ai l'impression d'être là où je dois être."
Une initiative qui contente Jérôme Petit, aide-soignant. "Qu'un député s'intéresse un peu à nous, c'est très bien", assure-t-il, lui qui dit avoir "beaucoup de messages à lui faire passer, que ce soit sur les rémunérations, les difficultés de recrutement, l'accès aux soins pour les personnes âgées". Des revendications que l'aide-soignant espère voir "remontées à l'Assemblée".
Désacraliser la fonction
Car cette série de visites, en plus d'être de la nourriture pour le cerveau de l'élu, c'est aussi un moyen d'écouter la colère, les doléances, la vie des habitants du quartier. De l'écoute, mais pas de fausses promesses. Car le député a bien compris, depuis son élection, que sa "capacité à peser directement sur la loi était plus faible que ce que je pouvais m'imaginer". Lui mise avant tout sur le changement culturel, sa "capacité à être un porte-voix, celle-là est très grande".
Et rien que l'écoute, se sentir considéré, peut représenter beaucoup. Au club de foot de Saint-Symphorien, le député écologiste est venu parler d'intégration, de handisport, mais aussi d'écologie. Des questions sur lesquelles le FASS est très actif. "Pour les bénévoles, que le député vienne voir le fruit de leur engagement, c'est déjà une marque de considération", estime Jacques Blanchet, le président du club.
Peu après son arrivée au club, Charles Fournier entame la conversation avec Guillaume Lardon, jeune service civique en mission écologie, sur la gestion des déchets, de l'eau, ou encore des mégots au bord du terrain. "Il faut qu'on se revoie, que tu m'expliques ce que tu fais, que je te donne des contacts", s'emballe l'élu. Avant de promettre de programmer un rendez-vous. "On va trouver ce temps."
Moments de vie
Autour d'un apéro à base de Vouvray et de petits biscuits, le député parle coupe du monde au Qatar, Droits de l'Homme, et redistribution des richesses avec les dirigeants du FASS. "C'est rare un député qui passe autant de temps dans les quartiers", se félicite Charles Fournier. Du moins, autant de temps de cette façon-là :
C'est pas pareil de venir à une inauguration, dans une forme d'entre-soi, et de venir dans la vie des gens, dans le club de foot, dans un Ehpad. Je partage des moments de vie quotidienne.
Charles Fournier, député EELV d'Indre-et-Loire
Ce constat, Charles Fournier le partage avec plusieurs parlementaires du Centre-Val de Loire. Comme Caroline Janvier, députée Renaissance du Loiret, pour qui "il faut innover sur la forme pour retourner à la rencontre des citoyens". Lors de son précédent mandat, l'élue de la majorité avait enchaîné tournée des marché et tournée des bars-tabacs. "Là au moins vous touchez tout le monde."
Citoyens professionnels
Car, comme Charles Fournier, elle estime que les visites de représentation occultent une bonne partie de la population :
En général, on ne voit que les 500 citoyens professionnels de notre circonscription, ceux qui viennent aux évènements officiels. Et il a pu y avoir des députés qui préféraient garder ça, c'est plus facile à contrôler, à subventionner.
Caroline Janvier, députée Renaissance du Loiret
Pour les deux élus, l'idée, c'est d'aller chercher les "vrais gens", ceux qui ne s'intéressent que de loin à la politique politicarde, voire la rejettent. Dans la même veine, l'élue Rassemblement national du Loiret Mathilde Paris s'installe chaque semaine pendant quelques heures dans une commune de sa circonscription, devant un camping car floqué.
"C'est hyper visible, et donc des gens viennent me voir alors qu'ils n'auraient pas eu l'initiative de prendre un rendez-vous pour venir voir leur députée", note-t-elle. Pour ne pas effrayer ses concitoyens, elle a évité de faire figurer le logo du RN sur le camping car. "Je veux être la députée de tout le monde, il ne faut pas que l'étiquette repousse", assure l'élue d'extrême-droite.
Démocratie ouverte
D'autres députés de la région ont entamé des tournées similaires. En Eure-et-Loir, Guillaume Kasbarian (Renaissance) avait fait le tour de sa circo en vélo, et organise désormais des apéros à droite et à gauche. Toutes ces opérations ont pour objectif diffus de renforcer la légitimité des élus. Parce que, avec l'abstention qui augmente à chaque élection, "on est élus avec de moins en moins d'électeurs, donc notre parole a moins de poids parce qu'on représente moins de citoyens", note Caroline Janvier.
Et puis, à plus long terme, l'enjeu serait même de sauver la démocratie, à en croire la députée. Selon elle, "le jour où les citoyens se désintéressent de la politique, la politique se désintéresse d'eux, et ne gouverne que pour un petit nombre". Pour éviter cela, elle souhaite développer les formes de démocratie participative. Début 2023, la députée organisera un tirage au sort d'habitants de sa circonscription, pour former un comité. "Je leur proposerai de participer à l'écriture d'un amendement que je porterai par exemple", souffle Caroline Janvier.
Charles Fournier, lui, envisage la création d'un parlement de circonscription, avec des militants Nupes et des représentants de la société civile. Selon lui, "si je décide tout seul depuis mon bureau, j'ai beaucoup plus de chance de viser à côté, alors qu'en concertation, la loi vivra toute seule parce qu'elle sera défendue par la population".
Toutes ces idées (et bien d'autres), l'élu écologiste les a défendues lors d'une journée organisée par le collectif "Démocratie ouverte" à l'Assemblée nationale le 27 octobre. Une journée dont il était le parrain, et dont la marraine était… Caroline Janvier.
Charles Fournier finit sa tournée citoyenne dans un bar, donnant vue sur la Loire. Une quinzaine de personnes l'écoutent, lui posent des questions, parfois débattent entre eux. Le co-gérant, lui, observe de côté. "C'est une bonne initiative, mais je ne suis pas surpris qu'il soit venu. Ça devrait être comme ça pour tous, non ?" Que reste-t-il à faire pour réenchanter la politique ?