Après l'attaque du centre LGBTI de Touraine à la bouteille explosive le 22 mai, le parquet de Tours a ouvert une enquête pour tentative d'assassinat, avant de requalifier les chefs d'accusation ce vendredi 2 juin en destructions et dégradations. Sur les réseaux sociaux, beaucoup s'interrogent : pourquoi ne parle-t-on pas d'attentat terroriste ?
Depuis les faits, la plupart des médias se sont interdits d'utiliser le terme. Ce qui n'a pas empêché de nombreuses personnes sur les réseaux sociaux de le dire : pour eux, l'attaque contre le centre LGBTI de Tours est un attentat terroriste.
Pour rappel, le 22 mai, un homme jetait dans les locaux de l'association de défense des droits LGBT+ une bouteille de soda, contenant de l'aluminium et de l'acide. Autrement dit : un engin explosif.
Heureusement, toutes les personnes présentes dans le centre ont pu sortir avant la détonation. Il s'agit cependant de la dernière d'une série de dégradations et d'intimidations contre le centre qui avaient lieu depuis plusieurs mois.
Circonstance aggravante
Le parquet de Tours avait décidé d'ouvrir une enquête pour tentative d'assassinat, mais pas d'attentat ou d'acte terroriste. Interrogée alors par France 3, Delphine Amacher, procureure de la République de Tours par intérim, expliquait que "la motivation liée à l'activité de l'association [...] pourrait constituer une circonstance aggravante". Elle estimait cependant qu'"on n'est pas du tout sur une situation de terrorisme, pour moi".
Depuis, un suspect de 17 ans a été arrêté. En garde à vue, reconnaissant les faits, il a contesté "toute intention d'homicide", explique le parquet de Tours dans un communiqué ce vendredi 2 juin. Mis en examen, le jeune homme n'est plus poursuivi que pour "destructions et dégradations", aggravée par la motivation "à raison du sexe, de l'orientation sexuelle ou de l'identitée de genre vraie ou supposée de la victime".
Sur Twitter, nombre d'internautes ont insisté sur le qualificatif d'attentat ou d'acte terroriste (ou les deux) pour parler de l'attaque. "Il serait bien que les médias se souviennent de la terminologie généralement employée pour ce genre d'acte inqualifiable", a par exemple écrit sur le réseau social Karin Fischer, conseillère régionale La France insoumise en Centre-Val de Loire.
Décalage
Contactée par France 3, elle assure "trouve[r] bien que la procureure ou les médias fassent attention". Elle explique aussi :
D'un autre côté, il y a un décalage entre cette prudence dans ce type de cas et l'emploi très habituel dans des cas qui concernent d'avantage des personnes de confession musulmanes notamment.
Karin Fischer, conseillère régionale LFI
Le mis en examen ayant affirmé "être en désaccord avec le centre LGBT" selon le parquet, Karin Fischer estime que "cela donne une conotation idéologique à son acte". Et que, donc, "cet acte avait manifestement le but de terroriser cette communauté pour sa spécificité, son identité, considère-t-elle. Je ne vois pas de différence avec d'autres cas où on a beaucoup moins hésité."
Débat juridique...
Le code pénal donne des définitions très précises de ce que sont un attentat et un acte terroriste. Selon l'article 412-1, un attentat est "le fait de commettre un ou plusieurs actes de violence de nature à mettre en péril les institutions de la République ou à porter atteinte à l'intégrité du territoire". L'article 421-1 statue quant à lui qu'un acte terroriste a "pour but de troubler gravement l'ordre public par l'intimidation ou la terreur", que ce soit des par "atteintes volontaires à la vie" ou des "dégradations".
L'attaque de Tours rentre-t-elle alors dans au moins une de ces catégories ? François-Antoine Cros, avocat pénaliste à Tours, rappelle que la procureure a établi les qualifications de l'enquête avec les éléments dont elles disposaient, "a maxima". C'est à dire "en prenant la plus haute qualification qui semble possible, pour au cas où redescendre ensuite". Pour lui, il s'agit "avant tout d'un débat juridique" :
Je ne suis pas certain que le fait de porter préjudice, ou d'attenter à la vie de quelqu'un en fonction de son orientation sexuelle, puisse être qualifié d'acte de terrorisme. Du point de vue du droit. Car chaque mot est en droit à une définition que le commun des mortels peut donner. Au café du commerce, je pourrais considérer que c'est un acte terroriste.
François-Antoine Cros, avocat pénaliste
...ou emploi populaire ?
Si bien que les termes d'attentat et de terrorisme ont pris une place importante dans le débat public, sans pour autant qu'y soient attachés les définitions précises du code pénal. "Dans les années 90, on parlait d'attentat quand il y avait une attaque, pas contre des personnes mais contre ce qu'elles représentaient, on ne parlait pas des institutions de la République en danger", se souvient Karin Fischer.
Elle dit trouver la définition du code pénal pour le mot attentat "trop restrictive", et trouve "légitime de l'employer dans on acceptation courante". La conseillère régionale "assume" en tout cas l'emploi du mot terrorisme pour parler de l'attaque de Tours, estimant que cette dernière "correspond à la définition qui en est donné" de l'acte terroriste dans le code pénal.
Des termes malmenés jusqu'au sommet de l'État
De la même manière, le gouvernement a lui même rebattu les cartes, et les a peut-être faussé, en galvaudant le terme. Des "éco-terroristes" de Sainte-Soline au "terrorisme intellectuel" de la gauche, dans la bouche du ministre de l'Intérieur, les termes sont de plus en plus associés aux mouvements sociaux ou climatiques et de moins en moins à l'extrême-droite.
Pourtant, sur les dix derniers attentats déjoués en date du 4 avril 2023, "7 étaient liés à l’ultradroite, 2 au complotisme et 1 à l’ultragauche" a observé le député EELV Aurélien Taché après avoir auditionné les services de la DGSE. Même observation à l'échelle européenne : de 2010 à 2020, les projets terroristes "ethno-nationalistes et séparatistes" sont de loin les plus nombreux.
Alors, qui l'emporte : le droit ou la morale, les textes de loi ou la gageure populaire ? Finalement, ce que souhaite Karin Fischer, c'est un rééquilibrage. "Soit on parle de terrorisme dans ce cas, soit on devrait utiliser le terme moins souvent de manière générale."
Mise à jour : par souci de clarté, cet article, initialement titré "Homophobie : doit-on parler d'attentat terroriste contre le centre LGBTI de Touraine" a été retitré ce 5 juin.