Ce 8 décembre est baptisé "journée mondiale du climat" par de nombreuses ONG, pour ne pas oublier l'urgence. Il y a une semaine, l'Ademe sortait une liste de quatre scénarios pour que la France atteigne la neutralité carbone dans 30 ans, entre pari technologique et révolution sociétale.
Peut-on encore sauver le climat sans changer de modèle de société ? C'est l'une des questions qui ressort de la lecture d'une note de l'agence de l'environnement (Ademe), publiée le 30 novembre sous le nom de "Transition(s) 2050". Le texte propose quatre scénarios qui pourraient permettre d'atteindre d'ici à trois décennies la neutralité carbone promise par le gouvernement.
La neutralité carbone, c'est parvenir à absorber autant de gaz à effet de serre que l'on en rejette. Et, à en croire la note de l'Ademe, les politiques et habitudes collectives actuelles ne permettront absolument pas d'atteindre cet objectif dès 2050, comme prévu par la loi Énergie-Climat de 2019. Les scénarios de l'agence résonnent donc très fort en ce mercredi 8 décembre, déclaré journée mondiale du climat par diverses ONG, dont le Réseau Action Climat. L'agence le dit clairement : il faut en choisir un "maintenant".
Les quatre futurs désirables dessinés par l'Ademe peuvent être répartis en deux philosophies. D'un côté, un changement de société profond avec limitation de la consommation et un investissement dans des technologies connues. De l'autre, une sorte de pari sur l'avenir et la découverte prochaine de technologies efficaces mais encore hypothétiques, permettant de poursuivre sur la voie tracée par un siècle et demi d'industrialisation. L'agence prend le soin de ne pas donner son avis sur le chemin à emprunter.
En Centre-Val de Loire, les émissions étaient de 17,7 millions de tonnes en équivalent dioxyde de carbone en 2012, soit environ 4% des émissions nationales (similaire à la part de la population du Centre par rapport au pays). L'objectif affiché par le schéma régional d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires était de passer ces émissions à 8,7 millions de tonnes en 2021. Autant dire que la promesse n'est pas respectée.
Premier scénario : "Génération frugale"
Ce premier scénario engage un changement de société profond : sanctuarisation de la nature, réduction drastique de la construction neuve et transformation de résidences secondaires en logements principaux, rénovation énergétique... En somme, stopper à tout prix le grignotage du naturel par l'artificiel.
La rénovation énergétique est d'ailleurs l'un des piliers majeurs du concept de sobriété énergétique, qui prévoit une diminution très importante des besoins. "C'est absolument indispensable", juge Anaël Biger, militante Greepeace à Tours. Car forcément, moins d'énergie à dépenser, c'est moins d'énergie à produire, et des émissions de gaz à effet de serre diminuées. "La sobriété est souvent associée à quelque chose de négatif parce que ça limiterait la croissance, mais c'est parfois simplement faire preuve de bon sens", assure la militante. Elle prend pour exemple "l'interdiction des vols intérieurs lorsque l'alternative du train en moins de quatre heures est disponible". Il faut ainsi miser sur "des alternatives existantes" et "largement acceptables", explique-t-elle.
Durant la campagne pour les régionales, le candidat écologiste Charles Fournier -depuis devenu vice-président du conseil régional délégué au Climat- plaidait pour des rénovations énergétiques de masse. Selon un rapport de 2017 de l'association Negawatt, association qui étudie justement les conditions à remplir pour atteindre la neutralité carbone, il faudrait rénover 21 500 maisons individuelles en Centre-Val de Loire chaque année pour atteindre les objectifs fixés en 2050. Au moment de la rédaction du texte, seules quelques centaines étaient réalisées annuellement. La région a de son côté engagé la rénovation de 62 lycées, pour une enveloppe de 32 millions d'euros.
Le scénario "frugal", toujours dans une optique de sobriété, prévoit une valorisation des circuits courts, la relocalisation de plusieurs activités économiques et donc, que ce soit pour les marchandises et les personnes, une diminution des déplacements en véhicules à moteur thermique.
Deuxième scénario : "Coopérations territoriales"
Assez similaire au premier, ce deuxième axe prévoit lui-aussi une intensification de la rénovation énergétique, condition sine qua non à la diminution de la consommation. Du côté de l'alimentation, il s'oriente en revanche plus sur des comportements individuels que le précédent.
Il prône ainsi la limitation de la consommation de viande, l'élevage représentant entre 5 et 15% des émissions de gaz à effet de serre mondiales selon les calculs. "Entre la déforestation pour planter le soja qui nourrit les vaches, et les émissions très fortes de méthane, l'élevage a une grosse responsabilité", précise Anaël Biger. L'Ademe préconise une réduction de moitié de la consommation de viande dans le pays. Pas une privation complète donc, mais un changement d'habitudes collectif. "On ne peut pas réduire la production sans demander de réduire la consommation."
Le scénario prévoit également une réorganisation complète des transports et de la ville : densifier les centres-villes pour limiter les déplacements, limiter la voiture à son strict minimum... Pour la militante Greenpeace, "il y a toute une organisation urbaine à revoir, et à revoir tous ensemble". Elle en est consciente, la voiture ne disparaîtra pas des routes du Centre-Val de Loire, région très rurale. "Prendre la voiture pour aller chercher le pain à 1 km, ce n'est peut-être plus souhaitable, mais il y a plein de gens qui ne peuvent pas faire autrement". Il s'agit donc, pour Greenpeace, d'une occasion pour "développer les alternatives de transports en milieu rural" et de "redensifier en services les bourgs". Réaliste, le rapport Négawatt espère pouvoir faire diminuer la part modale de la voiture de 70 à 90% d'ici à 2050 en Centre-Val de Loire.
Troisième scénario : "Technologies vertes"
Ce scénario repose sur un principe : la décarbonation de l'industrie, et la transformation complète des sources de production. Ainsi, pas de sobriété, pas vraiment de réduction de la consommation, juste une mutation complète des modes de production de l'énergie. L'Ademe y prédit une augmentation de la surface agricole dédiée à la biomasse, ainsi qu'une utilisation de l'hydrogène quasi généralisée dans l'industrie. Des objectifs en partie embrassés par le plan de relance du gouvernement, dont 7 milliards sont dédiés à la création d'une filière hydrogène en France.
Quatrième scénario : "Le pari réparateur"
"La société place sa confiance dans la capacité à gérer voire à réparer les systèmes sociaux et écologiques", résume l'Ademe dans son texte. En somme, il s'agit d'un scénario fondé sur le pari que, d'ici à 2050, les sciences auront résolu le problème, en terminant le développement de sources d'énergie miracle (comme les EPR, la fusion nucléaire...) et de technologies de puisage de carbone depuis l'atmosphère. Un "pari" donc, puisqu'il s'agit d'injecter de l'argent dans des solutions dont on ne peut qu'hypothétiser la réussite.
Pour Greenpeace, il s'agit là d'un "non-sens absolu" : "Pour limiter le réchauffement climatique, il faut agir avant 2030. Avec une réflexion comme celle-ci, on aura rien fait avant 2030, et on aura investi dans des technologies au développement de toute façon bien trop long, si tant est qu'on les mène au bout", s'insurge Anaël Biger :
L'argent qu'on va y mettre, on ne va pas le mettre dans la sobriété, dans la réorganisation des villes, dans la rénovation des bâtiments, dans l'accompagnement vers une nouvelle mobilité.
Anaël Biger, militante Greenpeace Tours
Lorsque nous l'avions interrogé il y a deux mois sur les petits réacteurs nucléaires (SMR), dans lesquels veut investir le gouvernement, Charles Fournier avait eu une analyse similaire. Pour lui, les SMR sont "une perte de temps, parce qu'on ne les aurait qu'en 2035". Alors que "ce sont les dix prochaines années qui vont être décisives". Il regrettait que le milliard promis par Emmanuel Macron au nucléaire n'aille pas "plutôt sur des projets de transition où on nous dit à chaque fois qu'il n'y a pas assez d'argent pour les réaliser". "On perd du temps", résumait-il.
Le quatrième scénario prévoit aussi, poussée à l'extrême, la compensation des émissions par de la captation de carbone. Une source de désaccord entre ONG et états lors de la COP 26, tant cette compensation "est utilisée pour justifier une croissance industrielle forte". Alors même que "les arbres qu'on va planter pour compenser un vol international vont peut-être brûler l'année d'après", hypothèse d'autant plus pertinente que les feux de forêts massifs vont s'intensifier du fait du réchauffement climatique. L'agence régionale de la biodiversité notait ainsi en 2019 que la surface de forêt vulnérable aux incendie a augmenté de 40% en Centre-Val de Loire depuis 40 ans. Autant dire que la neutralité carbone ne peut plus être seulement regardée comme un idéal lointain.