RÉCIT. "On nous traite comme des animaux" : pourquoi aucune solution n'a été trouvée pour héberger dignement les familles à la rue ?

27 enfants et 16 adultes : c'est la première fois que le collectif "Pas d'enfant à la rue" prend en charge autant de familles. Après une première nuit au Centre municipal des sports, les familles refusent le lieu proposé par la mairie de Tours. La situation s'enlise alors que la Préfecture d'Indre-et-Loire, responsable de l'hébergement d'urgence, brille par son silence.

"Les familles ont voté à l'unanimité hier soir. Elles vont rester au Palais des sports avec ou sans nous en attendant qu'on leur propose un lieu d'accueil digne". Eusébio de Sousa, parent d'élève et membre du collectif "Pas d'enfant à la rue" de Tours vient de passer une deuxième nuit avec les familles qui se sont retrouvées à la rue ce mardi 2 avril. 

"On a eu des témoignages bouleversants d'une femme qui disait qu'ils étaient traités comme des animaux et une autre qui était prête à aller faire la grève de la faim devant la préfecture", raconte le membre du collectif, à bout de forces. 

Pour le collectif "Pas d'enfant à la rue" de Tours constitué de parents d'élèves et d'enseignants, les dernières 24 heures ont été marquées par une série de promesses et de désillusions. 

"Une situation prévisible" 

Le mardi 2 avril, le CTRO, Centre Technique Régional Omnisports (CTRO), le siège du Tours Football Club fermait ses portes. Il avait été transformé en centre d'hébergement d'urgence début février pour accueillir 80 personnes, des parents avec enfants. 168 000 euros avaient ainsi été débloqués par l'État dans le cadre de la trêve hivernale.

"Le CTRO a fermé et aucune solution n'a été proposée pour anticiper cette fermeture" déplore Laurence Fillon, directrice de l'école Michelet à Tours.

Ce mardi 2 avril, le collectif "Pas d'enfant à la rue" de Tours décide donc d'investir le Dojo du Palais des sports de Tours sans autorisation pour mettre à l'abri 27 enfants et 16 adultes sans solution d'hébergement. 

Parmi les personnes sans solution d'hébergement, une femme enceinte de 7 mois et une enfant de 9 ans plâtrée.

En fin de journée, le Département a trouvé une solution d'accueil pour la femme enceinte puis que c'est la prérogative du Conseil départemental. Cette dame s'est retrouvée à la rue. Elle a été recueillie par les bénévoles une maraude de la Croix rouge qui l'a amenée ici,

raconte Eusebio De Sousa.

L'enfant de 9 ans, elle, va rester avec le collectif toujours sans solution.

En début d'après-midi ce mercredi 3 avril une solution de mise à l'abri proposée par la mairie se profile. "Les familles iraient au logis du Gouverneur mais il n'y a pas de douche et personne n'a été nommé pour accompagner les familles", explique Eusebio De Sousa. 

Plus tard dans l'après-midi, une famille et des membres du collectif se rendent dans le lieu d'accueil proposé par la mairie. Ils découvrent un site avec un seul cabinet de toilette pour 50 personnes. " C'est une très mauvaise solution et il est certain que ça va mal se passer. On a des gens avec des nationalités complètement différentes, des enfants en bas âge, des adolescents. Sur une ou deux semaines ça ne tiendra pas. C'est nous envoyer au casse-pipe. " Et d'ajouter : "Je comprends cette dame qui dit qu'on les traite comme des animaux. En trois mois, on pouvait anticiper l'ouverture d'un gymnase ou la poursuite au CTRO."

Les membres du collectif dénoncent le silence de la préfecture et ont le sentiment d'être pris au piège dans un jeu politique cynique. "La mairie veut mettre la pression sur la Préfecture sans se fâcher. On nous propose quelque chose qu'on ne peut pas refuser parce qu'on ne peut pas laisser les gens à la rue. Et en même temps c'est tellement indigne que c'est impossible que ça se passe bien. C'est de la petite politique", souffle Eusebio de Sousa.  

Résultat, en début de soirée, les familles ont décidé de rester au Palais des sports jusqu'à ce que la mairie ou la préfecture propose une solution "humaine" et "digne".

"Il s'est passé quelque chose de très fort hier soir. Les familles ont repris le pouvoir en votant collectivement d'occuper le Palais des sports. Nous allons rester avec elles parce que des liens forts se sont créés", témoigne le parent d'élève investi depuis un an dans le collectif.

La responsabilité de l'État

Pour le collectif, face à l'inaction de la Préfecture qui a pour compétence la mise à l'abri des femmes seules ou avec enfants, une solution existe. "La mairie peut s'engager à déplacer sa compétence en budgétisant une mise à l'abri digne de ces familles et ensuite réclamer justice comme l'ont déjà fait cinq villes en France. Ces villes ont engagé des frais importants, considérant qu'elles ne pouvaient pas laisser des enfants à la rue et ont ensuite entamé une procédure face aux manques de l'État", explique Eusebio de Sousa. 

Les maires de Lyon, Grenoble, Strasbourg, Rennes et Bordeaux ont attaqué en février 2024 l'État en justice par un “recours en carence” pour dénoncer le manque de solution face à la crise de l'hébergement. 

"Vont-ils franchir le rubicond en proposant quelque chose de sérieux avec des travailleurs sociaux et un véritable accompagnement dans un lieu digne ? Où vont-ils continuer à jouer la carte du désordre pour que la Préfecture intervienne si ça se passe mal ?" interroge le membre du collectif "Pas d'enfants à la rue."  

La mairie de Tours interpelle le Préfet

Dans un communiqué, la mairie de Tours a réagi en fin de journée ce jeudi 4 avril. Elle confirme que "l'hypothèse du logis des Gouverneurs a été écartée en raison de son inadéquation aux besoins des familles." 

Dans ce contexte, la municipalité autorise les familles à rester cette nuit au centre municipal des sports mais considère que cette situation ne peut pas durer. "La municipalité examine les solutions alternatives, au regard de la compétence de l'Etat en matière d'hébergement d'urgence et interpelle le Préfet d'Indre-et-Loire sur la situation des familles sans solution de mise à l'abri actuellement accueillies au Centre municipal des Sports."

Un nouveau point doit être fait ce vendredi matin 5 avril sur la situation.

"Une logique du non-accueil "

Eusébio de Sousa craint que la situation n'empire à l'approche des Jeux Olympiques : "Ce n'est malheureusement pas spécifique à Tours. À Blois aussi ils ont la même problématique. C'est une situation générale qui va s'amplifier notamment avec la loi immigration et avec la volonté de rapatrier tous les pauvres de la région parisienne pour faire place nette pour les Jeux olympiques".

Charles Fournier, député EELV de Tours qui avait ouvert sa permanence en novembre 2023 aux familles sans hébergement d'urgence n'est pas surpris par cette situation. "On reste dans une logique du non-accueil et qu'on n'organise pas l'accueil. On a à chaque fois des réponses ponctuelles et pas structurelles. "

Le député écologiste rappelle que début janvier 2024, alors qu'une vague de froid frappait la France, il avait été annoncé 120 millions d'euros pour l'hébergement d'urgence. Le ministre du Logement, Patrice Vergriete avait annoncé le déblocage de 120 millions d'euros pour l'hébergement d'urgence ce qui correspond à la création de 10 000 places. 

Trois mois plus tard, Charles Fournier, député EELV de Tours déplore : "Pas un centime n'est arrivé dans les territoires. Et donc nous sommes toujours dans cette situation où il faut éviter d'apporter des réponses pour décourager toutes celles et ceux qui seraient ici par une sorte de choix alors qu'ils sont souvent là de façon contrainte"

Comme les membres du collectif, Charles fournier craint une aggravation de la situation. "Le desserrement de l'Ile-de-France existait déjà avant les Jeux olympiques. Il y avait déjà une volonté d'éviter la concentration en Île-de-France de toutes celles et ceux qui arrivent dans notre pays", constate le député. "Et là avec les Jeux olympiques, on a vidé les hôtels et supprimer des places d'urgence qui étaient proposées alors forcément ces personnes vont partir d'elles-mêmes ou être évacuées ailleurs. Donc des territoires comme les nôtres proches de Paris risquent de voir arriver des familles avec enfants et des hommes seuls." 

Le collectif s'attend à ce que la solution de l'ouverture d'un gymnase comme cet automne aux Fontaines leur soit proposée. Une solution qui aurait dû être proposée dès la fermeture du CTRO le mardi 2 avril. 

Nous avons sollicité une réaction à la Préfecture ce mercredi 3 avril qui annonce qu'elle répondra à nos questions la semaine prochaine. 

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