À Châteauroux, certains détenus sont accompagnés par l'association "Solidarité accueil" avant leur sortie de détention. Une manière de se réadapter à la société après, parfois, de longues condamnations.
"Un jour en prison, c'est comme trois ou quatre jours dehors." Fabienne Nuyttens directrice du service pénitentiaire d'insertion et de probation de l'Indre annonce la couleur. François a passé 6 022 journées derrière les barreaux. 16 ans et demi pendant lesquels il a changé d'établissements, mais toujours en détention. Avant de sortir définitivement, il a obtenu un aménagement : le placement en structure extérieure.
S'adapter à une époque presque inconnue
Il est accompagné par l'association "Solidarité accueil" à Châteauroux, qui gère un centre d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS). Incarcéré en 2006, sa plongée en 2023 est parfois étrange. Les déclarations en ligne, l'usage permanent du smartphone... pendant sa détention, le monde a changé.
Tout le monde me demande pourquoi je note toujours mes rendez-vous sur un carnet.
François, détenu bénéficiant d'un aménagement de peine
Le placement en structure extérieur évite les "sorties sèches" : "Aujourd'hui, s'ils ne savent pas se servir d'internet, ils ne peuvent rien faire", explique Fabienne Nuyttens. Pour certains, même l'euro est inconnu. Sortir d'une longue peine de prison, c'est un peu comme tenter de rattraper un train parti des années plus tôt. Pourtant il faudra bien redevenir un citoyen comme les autres, après avoir payé sa dette à la société.
La réinsertion démarre dans la prison
Pendant la détention, les services d'insertion et de probation (SPIP) interviennent déjà, pour construire des projets de sortie. C'est le travail de Sylvie Penot : "Je vois avec eux leurs envies professionnelles, et puis j'évalue d'éventuelles dettes, les besoins de santé..." Il s'agit de connaître la situation de chaque détenu en détail pour l'accompagner au mieux.
En prison, tout est rythmé selon le temps carcéral.
François, accompagné par Solidarité Accueil
Tous les matins, le réveil est à la même heure, avec les mêmes phrases. Les repas sont pris dans une routine qui ne se brise jamais. Alors dehors, tout paraît soudainement nouveau. "Le soleil le matin par exemple, ou le bruit des voitures", note François, hébergé par "Solidarité accueil" depuis janvier 2023, pour une année.
L'angoisse des grands espaces
Les logements sont collectifs ou individuels. "Au début, ils sont heureux d'avoir un grand espace pour eux", explique Aurélia André, coordinatrice du centre d'hébergement. Les studios font environ 30m2. Puis l'exaltation laisse parfois suite à l'angoisse :
Certains nous appellent dès le lendemain, en nous disant qu'ils n'ont pas dormi, que l'espace est trop grand.
Aurélia André, coordinatrice du centre d'hébergement pour Solidarité Accueil
Pour qui a vécu dans 9 m2 pendant plusieurs années, se réadapter à des pièces plus larges n'est pas chose aisée. Quelques-uns trouvent des subterfuges, se calfeutrent de nouveau avec des draps autour de leur lit. Des allures de cabanes d'enfants. Une construction avec un objectif : se sentir de nouveau en sécurité.
Reprendre une place dans la société au plus vite
L'accompagnement peut se faire de manières différentes, soit dans un logement en colocation, individuel, ou même en dortoir. La vie en communauté est souvent une première étape pour recevoir un encadrement plus poussé avant l'autonomie.
Dès sa sortie en janvier 2023, François a voulu reprendre sa vie en main, comme il le dit lui-même. Avec une certaine impatience :
Il fallait le canaliser, parce qu'il voulait tout faire en même temps, et que tout soit fait tout de suite.
Aurélia André, coordinatrice du centre d'hébergement pour Solidarité Accueil
Papiers d'identité, démarches administratives, permis... François a tenu à tout faire. "La sortie, c'est d'abord une grande joie, puis une certaine tristesse de ne pas réussir à tout faire soi-même", explique-t-il. Il peut désormais conduire une voiture à boîte automatique et a décroché un CDD qui devrait bientôt devenir pérenne. Il a remis le pied dans une entreprise hors du système carcéral avec l'atelier du centre d'hébergement. Il y revalorisait des palettes. Puis il a pu reprendre un travail dans le bâtiment. "Dans la maçonnerie, précise Sylvie. Pour lui, il fallait que ça bouge."
Savoir gérer l'impatience
À l'allure d'une tornade, François a renoué avec le travail dans un grand enthousiasme. Un peu trop parfois. "Il a fallu le recentrer sur l'essentiel", note Fabienne Nuyttens. "Il était très agité", confirme Pascal, qui l'accompagnait à cette étape. "Mais quand il y a de la bonne volonté, la moitié du chemin est déjà faite".
François a dû apprendre à gérer sa frustration, et à faire preuve de patience. "Je ne voulais pas du tout dépendre de ma famille", explique-t-il. C'est pour cette raison qu'il a souhaité demander un aménagement de peine sous cette forme, et non hébergé par l'un ou l'une de ses proches.
Dans cette vie d'après, le travail tient une place primordiale : "C'est pour m'occuper, mais aussi pour indemniser les victimes". Dans la peine qu'il purge, le quinquagénaire a aussi un volet civil, c’est-à-dire une somme à rembourser pour les victimes de ses actes.
Et respecter les conditions du placement
Au-dessus de sa tête, continue de planer le risque d'un retour en détention. Les règles doivent être respectées. Comme les horaires de sorties autorisées. Entre 6h30 et 18h pour lui. Le temps d'aller au travail et d'en revenir. Le dimanche, la matinée lui est autorisée "pour aller à la messe", précise-t-il.
Pudiquement, il explique avoir fait "un petit dérapage" récemment. Ce qui lui vaudra de ne plus vivre en appartement, mais en communauté dans le foyer. C'est aussi cela, la réinsertion. François a donc reçu un rappel à l'ordre : "J'ai eu peur de retourner en prison".
Une menace parfois mise à exécution. "Certains font tout pour que ça arrive", estime Aurélie.
Épée de Damoclès
"Que se serait-il passé si on ne vous avait pas rattrapé au vol ?" demande-t-elle à François. Peu fier, il ne répond pas vraiment. Aurélie, Fabienne et Sylvie sont toutes les trois d'accord : l'important d'une sortie réussie, c'est de ne pas brûler les étapes.
Pendant sa détention, François a suivi une thérapie avec un psychologue afin d'entamer un travail de fond, notamment sur son addiction à l'alcool.
Dans le passé je buvais pour avoir confiance en moi. Mais ça rend fou l'alcool.
François, détenu bénéficiant d'un aménagement de peine
L'aménagement lui a permis de renouer avec une vie sociale. Il a donc fallu s'éloigner de certaines fréquentations, pour ne pas retomber dans de vieux schémas. "J'en ai revu, des amis d'avant, mais ils n'ont pas changé", regrette François.
S'adapter pour éviter de retrouver une vie néfaste
Le risque, au sein du centre d'hébergement, "c'est de se retrouver entre personnes tuméfiées, aux parcours difficiles", explique Aurélie André. Solidarité Accueil héberge principalement des personnes sans abris. Les salariés de la structure sont alors vigilants à ne pas laisser se regrouper des hommes qui font face aux mêmes problématiques, "comme les addictions par exemple".
D'anciens conflits nés en détention peuvent aussi se retrouver au sein du foyer. L'équilibre est parfois fragile. "C'est pour cela que l'évaluation en prison est très importante, nous savons aussi quel public nous accueillons en CHRS", insiste Aurélie.
Retrouver une vie sociale et culturelle
Solidarité Accueil et le SPIP ont aussi comme objectif de faire renouer les détenus avec des activités comme le cinéma, le théâtre ou le sport. "Doucement, il faut se refaire une place, comprendre que j'ai le droit de dire bonjour en entrant dans une pièce par exemple", détaille Fabienne Nuyttens.
Aujourd'hui, François rêve simplement "de quatre murs et un toit à rénover". Une maison à la campagne, voilà ce qui lui faisait passer des journées moins longues en prison. "Je veux faire mon potager, parce que dans les magasins on ne sait pas d'où ça vient" poursuit-il. "Vous allez être un homme libre", lui glisse Fabienne Nuyttens. Après cette année de placement en structure extérieure, le maçon pourra demander une liberté conditionnelle. Une démarche qui devra être validée par la justice.