Jean-Luc et Aline Braud, éleveurs bio dans l'Indre : "C'est important, le contact avec l'animal"

A Lignac, à la ferme des Crouzettes, Jean-Luc et Aline Braud s'occupent ensemble d'un élevage de 500 brebis et 46 vaches, certifié bio. Mais au fait, qu'est-ce que ça change ? 
 

"On a quand même un avantage : c'est travailler au milieu de la nature, au contact des animaux. Il y a un prix à payer pour tout ça, c'est d'être disponible" sourit Jean-Luc Braud. Son épouse, Aline, et lui s'occupent de 500 brebis, et 46 vaches dans leur élevage bio de Lignac, dans l'Indre. 

Ils se sont fait certifier il y a trois ans, même si leurs méthodes en étaient déjà proches. "On cale le cycle des animaux sur le cycle naturel, ce qui se faisait depuis fort longtemps", juge Jean-Luc Braud, l'oeil sur quelques vaches rousses qui s'occupent de leurs jeunes veaux, dans un enclos à quelques mètres de la maison principale. 
 
 

Elevage bio, la revanche des "marginaux"


"De plus en plus, on cherche des produits bio, on s'était dit que ça pourrait être l'opportunité de mieux valoriser nos produits, ou tout du moins de continuer à les vendre dans un contexte où les marchés de la viande sont de plus en plus difficiles." 

Le label, les Braud auraient sans doute pu l'avoir il y a plus longtemps. Mais pour les éleveurs, malgré l'argument de vente, passer au bio n'est pas si facile. "Il y a dix ou quinze ans, les gens qui faisaient du bio étaient hors du système, des marginaux. Ils avaient cette image-là, raconte Jean-Luc. Dans le monde agricole, les gens aiment bien se rassurer en faisant comme tout le monde", glisse-t-il, presque penaud. 

Si dans toute profession, la remise en question est un processus difficile, en agriculture, cela recouvre encore d'autres réalités. "Quand les gens investissent dans des bâtiments, dans des terres, dans du matériel, ce sont souvent des investissements à long terme, on signe pour 20 ans alors que c'est un monde qui d'un jour ou l'autre peut changer, et ça c'est très difficile à appréhender." 
 

"C'est comme à la cantine !"


Ce matin, Jean-Luc fait le tour du domaine en "mule", sorte de petit tracteur. Il apporte le complément en céréale à ses moutons. Il n'y a pas assez d'herbe pour satisfaire les ovins, pourtant moins difficiles que leurs confrères bovins. 

Un tour de pré, et tout le troupeau galope après la mule. Il accélère, pour avoir le temps de remplir la mangeoire avant le branle-bas de combat. "C'est comme à la cantine, dit -il joyeusement, il vaut mieux pas arriver dernier !" 
 

Autant que possible, les animaux sont nourris à l'herbe, puis au foin, et enfin aux céréales. Avec cet hiver très sec, impossible de dire s'il y aura suffisamment d'herbe au printemps. Cette année, les deux éleveurs ont aussi planté un mélange de tritical, d'avoine et de pois, pour un peu plus d'autosuffisance. "Quand on achète des céréales en agriculture bio, ça coûte très cher", explique Jean-Luc. 

Et l'animal est difficile. "Il y a des bêtes, celles qui vont être vendues, qu'on garde à l'intérieur et au foin. Si elles voient de l'herbe, elles ne voudront plus rien d'autre. On se dit : si il n'y a plus d'herbe, l'animal va manger du foin parce qu'il aura faim. Eh bien pas du tout ! On doit les forcer, petit à petit" soupire Aline en riant. "C'est comme les enfants, si vous leur donnez des frites ou des épinards, en général, c'est les frites qui vont partir en premier !" rajoute son mari. 

Et l'alimentation des bêtes est le critère le plus strictement contrôlé. Cette après-midi, Aline et Jean-Luc reçoivent la visite surprise d'une contrôleuse Ecocert, l'organisme qui leur attribue leur label bio. Elle passe voir les agneaux qui sont nourris au biberon. Le lait bio n'existant pas, ils devront être nourris aux céréales bio au moins six mois avant l'abattage pour être vendus comme tels. 
 
 

"On n'aime pas savoir que nos animaux sont maltraités"


Dans l'élevage de Jean-Luc et Aline, une partie du bétail est vendu pour la reproduction, ou pour être engraissé. Mais la finalité principale, c'est la viande. Une perspective pas toujours évidente pour les éleveurs. 

"Des fois, quand on sait qu'on va les envoyer à l'abattoir, c'est pas facile" souffle Jean-Luc, ému, face à huit jeunes vaches rousses qui jugent avec attention sa nouvelle combinaison de travail. "Les gens pensent que, parce que nos bêtes sont tuées à la fin, on peut leur faire subir n'importe quoi avant. Ce n'est pas vrai..." 
 

L'étape de l'abattoir, il semble y avoir souvent réfléchi. Des scandales comme Boischaut sont douloureux. "Nous non plus, on n'aime pas savoir que nos animaux sont maltraités... Maintenant, attention, la mort d'un animal, nous on sait ce que c'est. Même de mort naturelle, il y a par exemple des contractions. La mort n'a jamais été belle. Nous, ce qu'on veut, c'est que nos animaux soient dans les meilleures conditions possibles, et qu'on sache pourquoi ils sont morts. Que ça serve à nourrir des personnes" disserte-t-il gravement. 

Il regrette la disparition des petits abattoirs, qui les obligent, lui et ses confrères, à trimballer des animaux sur des kilomètres et des kilomètres. "C'est plus dur de les envoyer maintenant. La rentabilité a primé sur le bien-être animal. ça ne profite à personne. Des animaux qui sont stressés, qui ont eu des longueurs de transports, c'est pas la même viande non plus. C'est un non-sens." 
 

Le bio, une filière loin d'être établie


D'autant qu'au moment d'abattre les bêtes, la certification bio lui complique la tâche. "Les abatteurs, quand on leur dit qu'on est en bio, ça les ennuie plus qu'autre chose, pour parler poliment", entame l'éleveur. "Du coup, on emmène des agneaux se faire abattre dans l'Allier", termine Aline.

D'une certaine façon, l'éleveuse est déçue du bio. "En aval, il n'y a pas vraiment de volonté d'organisation de filière. Une fois qu'on arrive là avec nos animaux bio, qu'est ce qu'on fait ?"

Deux options pour les professionnels : "Soit on développe un circuit court et on se démerde, soit on se retrouve face à des filières qui nous disent "Oh, là tu sais, j'ai pas trop besoin" ou "Oh, là c'est un peu difficile". Une fois, Jean-Luc a appelé Rungis, carrément, pour avoir l'opinion d'un grossiste. Les consommateurs sont en attente, nous producteurs on est prêts, et entre deux, y'a une absence de volonté" constate Aline, frustrée. 
 

Un blocage d'autant plus dur à digérer que les précautions prises par les agriculteurs - alimentation, bien-être animal, médicamentation - ne leur rapportent pas toujours. "En bio aujourd'hui, il faut se demander où sont faites les marges, ironise doucement Jean-Luc. Nous, on le vend un peu plus cher qu'en circuit conventionnel, et même pas toujours. Mais le prix pour les consommateurs est très élevé."

Tailler les haies, arranger les clôtures, faire les semis, surveiller les bêtes, aider à mettre bas, affourager, donner le biberon, faire les litières... Une somme de travail qui incombe bien aux travailleurs de l'agriculture, et non aux industriels.

Mais pour Jean-Luc et Aline, pas question de mécaniser davantage. "Sinon, on limite le contact entre l'homme et l'animal. C'est très important, pour le bien-être animal, c'est l'éleveur qui le ressent."
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