Derrière le succès d’un village écologique, les tensions entre anciens et nouveaux habitants

Le village de Saint-Pierre-de-Frugie en Dordogne attire une population de néoruraux, séduits par son engagement écologique. Pourtant, si la création d'une école Montessori, d'un éco-hameau et d'un restaurant bio revitalise le village en déclin, c'est au prix d'une cohabitation parfois difficile entre anciens et nouveaux habitants.

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Un article initialement publié le 1er décembre 2024.

C'est un village hors du commun, où l'écologie est le maître mot, autour d'infrastructures exceptionnelles : école et collège à la pédagogie Montessori, épicerie bio, restaurant et tiers-lieu ou encore espace de coworking.

Des arguments qui amènent de nombreux citadins à venir s'installer en son cœur. Depuis les profonds changements instaurés par son maire en 2008, le village de Saint-Pierre-de-Frugie en Dordogne, a ainsi conquis de nouveaux habitants. De 360 habitants, il est passé à 520 en quinze ans. Le pari de l'ancien maire est réussi, mais à quel prix ?

Histoire d’une mutation verte

En prenant la mairie en 2008, Gilbert Chabaud constate que son village se vide. "Les rues étaient désertes, l’école et le restaurant avaient fermé, il n'y avait plus aucune boutique, les jeunes étaient partis". Il décide alors de faire le pari de tout changer. Après avoir rénové le patrimoine de la commune, dont une chapelle du XVIe siècle et créé des sentiers de randonnée, il s’attaque à une large cause : reverdir le village. 

En 2009, avant-gardiste, il interdit les produits phytosanitaires sur l'ensemble de la commune, la loi générale sur les phytosanitaires ne sera en effet promulguée qu’en 2017. Le maire crée par la suite un potager partagé en permaculture, puis aide à la création d'une épicerie bio.

En parallèle, sur les hauteurs du village se montent des initiatives individuelles. Tout d'abord un éco-centre dont la vocation est de partager les savoirs sur l'écoconstruction, puis, un éco-hameau à proximité afin d'accueillir une population préoccupée par l'écologie et désireuse de vivre un projet commun. 

Les enfants reviennent

L’école fermée, faute d’effectifs suffisants, fait partie des priorités du maire. Après de nombreuses requêtes auprès du rectorat, l'édile fait le choix d’une école privée, installée par la commune en 2015 dans un bâtiment en plein cœur de village. Le succès est au rendez-vous : l'école passe de 6 à 34 élèves aujourd'hui. Les préceptes Montessori dispensés intéressent de nombreux parents, qui s’installent dans le coin pour que leurs enfants en profitent, à tel point que la mairie vient d'agrandir le bâtiment. 

Le succès est tel qu'un collège vient de se monter pour continuer d'accompagner les élèves dans cette pédagogie alternative. Marylou est mère de quatre enfants, elle leur a assuré l'éducation à la maison pendant plusieurs années. Cela fait quelques semaines qu'elle a posé ses valises à Saint-Pierre-de-Frugie. Les établissements scolaires, adaptés pour ses enfants, ont attiré la jeune femme, l'accueil qui lui a été réservé à l'éco-hameau a achevé de la convaincre.

Xavier, lui, est le nouvel enseignant d'histoire-géo du collège. À entendre son cursus, rien ne le prédestinait à prendre ces fonctions. Le professeur a quitté la région parisienne et le CNRS, où il était ingénieur en aérospatial, pour cette campagne qui semble désormais mieux convenir à ses choix de vie. Quand il a réalisé à quel point les satellites qu'il envoyait dans l'espace à des fins de surveillance écologique détruisaient cet équilibre écologique qu'il souhaitait défendre, il décide de tout quitter et de miser sur la décroissance.

Je me sens beaucoup plus à ma place et opérant ici qu’au CNRS, qui pourtant est un haut lieu de la recherche.  

Xavier

professeur d'histoire géo au collège Les Ricochets

Depuis, son planning a quelque peu changé. "Je donne des cours de théâtre, je déplace des serres avec des maraîchers, je fais de l’électricité dans une cabane, je tiens le bar d'un nouveau restaurant, je vendange des parcelles de vigne chez des amis et je donne des cours ici", liste le professeur, aux multiples activités.

Un changement de vie radicale que Florent a effectué lui aussi. Professeur des écoles en région parisienne, il s'est reconverti en enseignant à la maternelle Montessori de la Tour Rose, par conviction. Voilà trois ans qu'il a quitté la ville avec femme et enfants."C’est un sacré saut et on est encore en train de s’adapter alors que ça fait plus de quatre maintenant qu’on est ici", avoue-t-il.

Ils ne se sont présentés à personne 

Insérés dans leur communauté, ces nouveaux arrivants ne le seraient pourtant pas vraiment, au sein du village et du secteur. Ce constat, amer, c'est celui que dresse Irène, ancienne première adjointe au maire. "Tous les jeunes qui sont arrivés, ne se sont présentés à personne", reproche-t-elle à ces nouveaux habitants, qui ont pris tant de place aux commandes, qu'elle se sent mise au ban de la commune.

Une commune dans laquelle, pourtant, son mari a une maison depuis quatre générations et dans laquelle ses enfants ne viendront pas s'installer. Elle en est sûre. En ironisant, Irène regrette avant tout la publicité et la médiatisation qui a été faite autour de son village.

C'était merveilleux, c'était l'eldorado. Aujourd'hui, l'eldorado, il est tombé à zéro.

Irène

Habitante historique du village

Arnaud ce matin-là est en train de jouer au football avec son fils dans le centre du village. Il a toujours connu Saint-Pierre-de-Frugie. Même s'il habite en ville aujourd'hui, il a toujours à cœur de revenir très régulièrement prendre l'air chez sa mère, qui a sa maison jouxtant la mairie.

Depuis cette petite quinzaine d'années, il a pu observer les mutations opérées et comprend les réflexes protectionnistes des anciens, même s'il les déplore. "Je trouve que le mélange entre les anciennes personnes et les nouvelles ne se fait pas", regrette Arnaud.

Et cela se vérifie juste devant chez lui. L'ancienne école municipale a été louée à une association qui a transformé le bâtiment en tiers-lieu. Ici, plus de club du troisième âge, mais un espace de coworking, doté de la fibre pour répondre aux attentes des néoruraux. Une installation indispensable pour Clémentine, en télétravail pour une entreprise parisienne. Si l e lieu est censé accueillir tout le monde, on n'y trouve cependant aucun ancien, même pour venir prendre un café. 

"Les gens ne sont pas restés"

L'attrait de la campagne pour les populations urbaines et le succès des éco-lieux, Jocelyne Guillout-Combuzat, co-créatrice de l'éco-hameau, le mesure quotidiennement. Elle est constamment sollicitée pour participer à cette SCI.

Ce village dans le village, créé en 2010, regroupe aujourd'hui neuf familles dans une promiscuité certaine.  "Il y a eu du passage, il y a des gens qui ne sont pas restés", dit-elle, déplorant les choix emportés de certains.

Face à ce phénomène, l'éco-hameau a dû mettre en place des règles plus strictes et sélectives dans l'accueil de nouveaux sociétaires. Dans cet espace de vie communautaire, il était essentiel de se prémunir contre les velléités de certaines personnes de bonne volonté, mais inadaptées à cette manière de vivre.  "Maintenant, les gens viennent en location quelque temps, entre six mois, un an, et ensuite, on  décide collectivement s’ils intègrent complètement le lieu et ils rentrent à ce moment-là dans la SCI", détaille Jocelyne Guillout-Combuzat.

Rassembler de nouveau

Stéphane Fayol vient d'être élu pour succéder à l'ancien maire Gilbert Chabaud, aujourd'hui décédé. Il connaît bien l'enjeu de son mandat : rassembler à nouveau. À observer les derniers résultats des élections législatives, il sait que le mécontentement de certains les a poussés à voter RN pour la première fois dans le village. "Il y a des messages qui sont passés au travers de ces différents scrutins, eh bien, on va les entendre", reconnaît-il.

Pour l'instant, il poursuit les chantiers initiés : bientôt les parkings bitumés de la commune seront changés pour un revêtement poreux et écologiquement responsable. 

En sortie de village, la mairie a acquis les derniers terrains constructibles de la commune pour les revendre à des apporteurs de projets écologiques. "Ça aurait été dommage d'avoir des maisons bardées de béton", avance-t-il, s'extasiant sur le panorama qu'offrent ces terrains.

Six maisons basse consommation seront ainsi construites avec vue sur l'église. L'un des projets retenus souhaite même organiser une résidence intergénérationnelle. La commune continue ainsi de vivre à l'heure verte, et peut-être réussira-t-elle, un jour, à y aller d'un seul pas. 

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