A l'approche des élections législatives, France 3 sollicite les députés sortants du Centre-Val de Loire pour faire le bilan des cinq années écoulées. Dans l'Indre, Nicolas Forissier incarne la stabilité de la droite et le contact avec le terrain.
Comment incarner une opposition de droite face à un gouvernement et une majorité présidentielle "ni de gauche, ni de droite" qui a malgré tout siphonné une partie de votre programme ? Cette question, les députés Les Républicains ont dû se la poser plus d'une fois depuis 2017, face aux projets de loi émanant de LREM (renommée Renaissance depuis quelques semaines). Un questionnement qui a culminé lorsque, à l'aune de la présentation du programme d'Emmanuel Macron en vue de sa réélection, il s'est vu reprocher par la droite d'avoir pillé les propositions de la candidate LR Valérie Pécresse.
Pour faire face à ce dilemme, une partie des députés LR a choisi la fermeté : s'opposer coûte que coûte, quitte à faire preuve de mauvaise foi. Dans l'Indre, Nicolas Forissier a joué la carte du "constructif" : rester droit dans ses bottes tout en étant d'accord de temps en temps avec LREM, ce qui n'est pas si rare que ça. "On a été un groupe assez constructif, mais moi plus que les autres, c'est ma réputation en tout cas", confie-t-il.
Vieille garde des territoires
Car Nicolas Forissier en a vu d'autres. Chef de file des Républicains au conseil régional, maire de La Châtre pendant plus de 20 ans, il est député depuis 1993. Avec une interruption entre 2004 et 2007 après sa nomination au gouvernement sous la présidence de Jacques Chirac, et une autre entre 2012 et 2017 à cause de sa défaite face à la candidate socialiste... sur laquelle il a pris sa revanche il y a cinq ans. En somme, Nicolas Forissier incarne, a priori, la vieille garde politique que LREM souhaitait mettre au ban.
Mais le député n'en n'a que faire. Lui, son terrain de jeu, c'est... le terrain. "Le député, c'est d'abord quelqu'un qui est sur le territoire, qui vit avec les gens qui l'ont élu", explique celui qui fait partie des 150 députés les moins présents à l'Assemblée (sur 577). Une qualité selon lui, pour qui il n'y a "rien de pire qu'un député hors sol".
Car sa nourriture intellectuelle, c'est l'échange avec ses concitoyens.
Tout ce que j'ai soumis à l'Assemblée, c'était directement issu de ce que je vivais sur le terrain.
Nicolas Forissier, député de la deuxième circonscription de l'Indre
Et, malgré son faible présentiel, Nicolas Forissier n'a pas été avare en textes : il a écrit huit rapports et 16 propositions de lois, ce qui en fait l'un des députés les plus assidus sur ces critères.
Parmi ses grandes batailles, il cite le commerce extérieur et le financement des entreprises. Il est d'ailleurs l'un des deux seuls députés LR à avoir voté la loi Pacte, sur la croissance et la transformation des entreprises, texte issu de la majorité. "Mes amendements n'avaient pas été repris par le gouvernement, mais le débat qu'ils ont créé a fait un peu bouger les lignes."
Tu veux ou tu veux pas
À l'écouter, quand on est député de l'opposition, il faut se contenter de peu. Avec trois amendements adoptés sur les 515 qu'il a rédigés, "on a l'impression de pousser le rocher de Sisyphe", souffle-t-il. Surtout quand "les députés En Marche votent contre mes amendements et les reprennent trois semaines plus tard".
De fait, Nicolas Forissier a ainsi voté plusieurs des lois marquantes du quinquennat, en particulier celles marquées à droite. La loi d'habilitation permettant au gouvernement de modifier le code du travail, la loi anti-casseurs ou encore la loi Sécurité globale par exemple. Il s'est en revanche opposé à la loi sur la Bioéthique (renforçant notamment l'accès à la PMA) et à la loi EGAlim, qu'il juge "insuffisante sur la baisse des charges pour nos agriculteurs". Sur le vote de la loi Asile et Immigration, il était absent. Son dernier cheval de bataille : la revalorisation des salaires des aides à domicile, "nécessaire avec les trous dans la raquette du Ségur de la Santé".
Le député de l'Indre a ainsi préféré s'intéresser à "la vie quotidienne des territoires ruraux". Exemple concret : il s'oppose à l'imposition du 80 km/h par le gouvernement à l'été 2018 "du jour au lendemain". Depuis, la majorité a quelque peu reculé, laissant les mains (un peu plus) libres aux départements de remettre, ou non, certains tronçons de route à 90. "On a réussi à leur faire entendre raison", se satisfait Nicolas Forissier. Pour lui, les 80 km/h représentent "la prééminence de l'administration technocrate parisienne", qui aurait "affaibli le pouvoir du Parlement" depuis les années 2000. D'où son envie permanente de tâter le terrain, de demander l'avis de ceux qui l'ont élu... et celui des autres.
Futur dernier des Mohicans
À l'heure où les défections pourraient se faire nombreuses dans les rangs LR au profit de la majorité présidentielle, Nicolas Forissier fait figure de potentiel futur dernier des Mohicans dans le Berry. Le garant d'une droite proche des territoires, qui parle d'environnement parce qu'il faut bien en parler de temps en temps, et qui rejette l'élitisme parisien dont une bonne partie de son camp fait partie.
Une stabilité mise à mal par le grand chambardement opéré par Emmanuel Macron depuis 2017. "Beaucoup de choses faites par le gouvernement correspondent à ce que l'on aurait pu faire nous-mêmes, concède-t-il. Mais ça ne veut pas dire que nous ne sommes pas dans l'opposition." Il fustige ainsi "une lourde dérive sur les dépenses publique" et, évidemment, "une centralisation plus excessive que jamais dans notre pays". Une critique qui, depuis l'Indre, ne porte pas vraiment jusqu'à Paris.
Nicolas Forissier est candidat à sa réélection dans la 2e circonscription de l'Indre. Après un suspense sur une potentielle entente cordiale avec la majorité présidentielle Ensemble, Renaissance (ex-LREM) a fini par y investir Sophie Guérin, maire de Heugnes entre 2014 et 2020. De l'autre côté de l'échiquier politique, les forces de gauche seront représentées par Aymeric Compain (Nupes -LFI), conseiller régional et chef de file de La France insoumise en Centre-Val de Loire. L'extrême-droite partira dispersée, entre Jean-Michel Peroux (Reconquête) et Fabien Thirion (Rassemblement national). Seront également disponibles des bulletins pour Roland Cash (Parti animaliste), Alexandra Botton (Mouvement de la ruralité) et Damien Mercier (Lutte ouvrière).
Corrections du 3 juin : Il était indiqué que Nicolas Forissier avait signé 201 amendements, et non 515. Il était également marqué "absent" lors du vote de la loi Climat, vote au cours duquel il s'est en réalité abstenu.