A la ferme des Crouzettes, dans l'Indre, Jean-Luc et Aline Braud voient déjà les effets très concrets du réchauffement climatique.
Des étés à 55° en 2050, Bordeaux sous l'eau d'ici 2500, blanchiement de la grande barrière de corail... Les possibles effets du réchauffement climatique sont nombreux, mais nul besoin d'attendre si longtemps, ou d'aller voir si loin pour s'en rendre compte.
Pour les éleveurs de l'Indre, le réchauffement est déjà la source de nouvelles difficultés. A Lignac, à la ferme des Crouzettes, Jean-Luc et Aline Braud ont revu leurs ambitions à la baisse, il y a quelques temps déjà. "On a 46 vaches allaitantes, maintenant. On a diminué notre troupeau quand on s'est aperçus des conditions climatiques difficiles. On s'oriente plus vers le mouton, qui encaisse plus facilement le manque de nourriture", explique Jean-Luc.
Car l'hiver a été sec, et la crainte que l'herbe ne suffise pas au printemps est bien présente. Il faudra peut-être pallier au foin, ou même aux céréales, un coût important dans cette exploitation bio. "On fait pousser des méteils, des mélanges de céréales, pour être un peu plus autonomes."
"Si on ne fait rien, l'animal devient aveugle"
L'éleveur surveille du regard les vaches qui viennent de vêler, et qui prennent soin de leurs petits, calmement installées dans l'herbe. Un calme de courte durée, avant l'arrivée de tous nouveaux ennemis.
"Il y a bien des choses qui nous attendent, avec le réchauffement climatique. Sur le mouton, il y a de nouvelles espèces de mouches qui sont arrivées par chez nous, il y a 4 ou 5 ans et qui commencent à se répandre dans toute la région, depuis la Vienne. C'est des mouches qui pondent des gros vers, qui se développent très rapidement sur les animaux, et qui sont très difficiles à détruire", s'inquiète l'éleveur.
Pour les vaches, l'ennemi n'est pas la mouche en elle-même, mais bien le nombre, largement accru. "Régulièrement, l'été, on est obligés de passer nos animaux au répulsif, pour pas qu'ils soient ennuyés. Les mouches viennent sur les yeux des vaches, provoquent des irritations, des kératites... Donc des voiles blancs se mettent en place et, si on ne fait rien, l'animal devient aveugle."
La productivité creuse sa tombe
"Les animaux n'aiment pas les grands froids, mais ils aiment encore moins les fortes chaleurs" commente l'attentif Jean-Luc Braud. Sur son exploitation bio, extensive, il a pu préserver des arbres et des haies, pour mettre à l'abri du soleil ses vaches et ses moutons. Des solutions sur lesquelles il ne faudra pas compter dans les grandes exploitations productivistes, où chaque coin de parcelle est exploitée.
L'agriculteur prend la défense de ses confrères. "Avant, on demandait des fortes productivités. Quand je me suis installé, en 97, à aucun moment on ne nous a parlé du réchauffement climatique. Dans les systèmes, on demandait des animaux à forte croissance, beaucoup de viande, mais ils sont beaucoup plus exigeants. Ça se retourne contre nous. Aujourd'hui, il faut réorienter le système vers des animaux plus rustiques, capables d'encaisser des variations climatiques."
"Face au réchauffement climatique, l’agriculture se trouve confrontée à l'obligation de se restructurer en profondeur, afin de faire face aux nouveaux enjeux de notre époque. Le vieux modèle agricole productiviste est auj. dépassé." #AgricultureBiologique #AgriculturePaysanne pic.twitter.com/kJJL3cb1B8
— Michel Larive (@Michel_Larive) 12 décembre 2018
Ses brebis à lui sont des Charmoises, une race locale, qui a des besoins moindres, avec un unique agnelage dans l'année. "Ici, on voit les choses, soupire tout de même Jean-Luc. Quand on était gosses, y'avait des endroits où y'avait des mares, des points d'eau qui sont en train de s'assécher."
La cerise sur un triste gâteau
Pour Jean-Luc Braud, le réchauffement climatique est un poids supplémentaire sur les épaules de professionnels déjà épuisés. "Je pense que vous avez entendu parler des suicides. Je connais des gens... avance-t-il pudiquement. Le réchauffement, c'est en plus du reste. A ça, vous rajoutez les difficultés de travail, les problèmes financiers, familiaux... Il y a des gens qui peuvent craquer."
Lui-même a déjà eu ses moments d'épuisement. "J'ai continué parce que j'ai une famille, des enfants, une femme qui est là, avec qui je peux parler, qui remonte le moral. Quelqu'un qui est tout seul, pour peu que sa famille le lâche ou ne comprenne pas ses problèmes, ça tourne très mal."
Paradoxe cruel : si l'on estime que notre modèle agricole contribue pour environ 20% des émissions de gaz à effet de serre, les agriculteurs, eux, sont les premiers touchés par le retour du boomerang.