Inflation, déficit, vétusté... plusieurs hôpitaux du Centre-Val de Loire au bord du gouffre financier

La dette des hôpitaux publics a explosé en 2023, entre baisse d'activité et hausse des dépenses. En Centre-Val de Loire, plusieurs établissements sont dans une impasse financière et doivent se serrer la ceinture dans tous les domaines.

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Le chiffre est tombé à la fin du mois de janvier : en seulement un an, la dette des centres hospitaliers universitaires français a triplé, pour atteindre 1,2 milliard d'euros à la fin de l'année 2023. L'hôpital ferait ainsi face aux difficultés "peut-être les plus graves depuis la création des CHU en 1958", selon un communiqué des présidents des conférences des directeurs généraux de CHU, des doyens de facultés de médecine et des présidents de commission médicale d’établissement.

Selon le communiqué, la crise a de multiples facteurs. L'inflation évidemment, mais aussi une baisse d'activités et donc de recettes des hôpitaux, ainsi qu'un manque de financements destinés aux mesures prévues par le Ségur de la santé (notamment les augmentations de salaire).

Les lits fermés : un manque de service et un boulet financier

En Centre-Val de Loire, la situation n'est pas spécialement réjouissante non plus. Le 15 janvier, France Bleu révélait que le CHU d'Orléans accusait un déficit de 50 millions d'euros. Un record. "On devrait finalement être légèrement en dessous des 40 millions", assure deux mois plus tard le directeur de l'hôpital, Olivier Boyer. C'est moins, mais c'est quand même "un gros déficit".

À Orléans, la situation a été particulièrement mise à mal par la fermeture de nombreux lits, près de 15% en 2023, "essentiellement pour un manque d'effectif paramédical", explique Olivier Boyer. C'est bien au-dessus de la moyenne nationale de 7% de lits fermés, communiquée par la Fédération hospitalière de France (FHF). Or, un lit ouvert, ce sont des recettes supplémentaires pour l'hôpital. Et, au-delà de l'aspect financier, ces fermetures sont la cause directe de la crise qui touche les urgences d'Orléans, où stagnent les patients sur des brancards dans l'attente d'une hospitalisation.

À Tours aussi, la baisse d'activité est inquiétante. Selon un rapport de la chambre régionale des comptes, le nombre de séjours a baissé de 10% au CHU de Tours entre 2019 et 2021. Même phénomène à Bourges. Selon un autre rapport de la chambre régionale des comptes, rendu public le 11 janvier, le centre hospitalier Jacques-Cœur enregistre des déficits cumulés de 14 millions d'euros depuis 2016. Notamment à cause d'un important recours aux emplois intérim.

Encore et toujours un manque de personnels

Car l'hôpital berruyer (et la ville de Bourges de manière générale) fait face à un important manque de médecins. En moyenne, entre 2018 et 2022, un poste médical sur quatre y était vacant. Au service des urgences, fin 2022, la moitié des postes étaient vacants. Et tous, à l'exception de la cheffe de service, étaient occupés par des médecins embauchés en intérim, toujours selon la chambre régionale des comptes. Une information contestée par la direction de l'hôpital de Bourges, qui assure que "les médecins en poste permanent n'étaient pas des intérimaires" fin 2022.

Sauf que l'intérim, ça coûte cher. Plus qu'un médecin embauché à temps plein. Toujours selon la chambre des comptes, l'emploi d'intérimaires a coûté 4,6 millions d'euros à l'hôpital de Bourges en 2019, et 3 millions en 2022. Le rapport pointe quelques cas extrêmes, comme un praticien rémunéré 1 800 euros la journée en janvier 2022 pour assurer le fonctionnement du SMUR, ou encore la prise en charge du rapatriement d'un médecin depuis l'Afrique du Sud. Autant de cas qui "se justifie[nt] par la nécessité d'assurer la continuité de l'activité".

Au CHU d'Orléans aussi, on a recours à l'intérim. "Ça coûte plus cher, mais on le fait quand même pour assurer le service à la population", promet Olivier Boyer, le directeur, également délégué régional de la Fédération hospitalière de France (FHF). Même logique de service avec les services de réanimation, pourtant largement déficitaires. "Sur un lit de réanimation, on estime qu'on perd entre 150 et 200 000 euros par an, estime Mickaël Morisseau, directeur des affaires financières au CHU. Ça fait une douzaine de millions d'euros à l'échelle de l'hôpital."

Réorganisation, fermeture de lits, optimisation...

Face à ces difficultés, la réponse est très souvent la même : des réorganisations dans les services. Une manière euphémique de qualifier une réduction de la masse salariale. Au CHU de Tours, un plan de suppression de 250 lits MCO (médecine, chirurgie, obstétrique) est prévu jusqu'en 2029, ce qui permettrait une baisse de la masse salariale de 12 millions d'euros. Du côté de Bourges, le regroupement des services de chirurgie a débouché sur une suppression de 20 lits, tandis que 14 lits d'hospitalisation complète de cardiologie sont devenus 8 lits d'hospitalisation de semaine.

À Orléans, le déficit a été combattu aussi par des suppressions de postes (moitié soignants, moitié administratifs) au début des années 2010. Mais la donne a changé. "Je l'ai dit, il n'est pas question qu'on supprime des postes de soignants", lance Olivier Boyer. Trivialement, "un poste de soignant coûte moins cher que l'activité qu'on va supprimer si on ne le pourvoyait pas". La direction promet que, dans la mesure de la disponibilité des soignants, les départs en vacances seront donc bien remplacés cet été.

Mais "il est bien plus facile d'agir sur les dépenses que sur les recettes", et seule une hausse de l'activité serait en mesure de venir combler le déficit, sans autre rentrée d'argent. Les hôpitaux sont donc bien contraints de faire des économies. À Orléans, la direction planche sur "une homogénéisation" des moyens. En somme, une répartition des moyens humains "en fonction des besoins dans les services", et selon le volume d'activité projeté. Une optimisation, en quelque sorte.

Ce qui a amené à l'annonce récente d'un plan de réorganisation de la maternité de l'hôpital, avec des réaffectations de postes. "On parle de réorganisation de service plutôt que de plan de retour à l'équilibre, parce que passer CHU avec un déficit, ça fait mauvaise image", ironisait Grégory Quinet, délégué départemental Sud-Santé sociaux dans le Loiret, auprès de France 3 fin février. Dans les faits, il dénonce "une pression mise sur les agents", l'hôpital "leur imposant de travailler autrement avec des compétences qu'ils n'ont pas".

Les investissements renvoyés aux calendes grecques

Dans le médico-social, les difficultés sont aussi nombreuses. La FHF a interrogé les établissements du Centre-Val de Loire (principalement des Ehpad), et la moitié a répondu : "On compte un déficit cumulé de 25 millions d'euros pour eux", affirme Maïwenn Thoër Le Bris, déléguée régionale en charge du médico-social à la FHF. Résultat, "30% des établissements nous disent avoir eu des difficultés à payer les salaires, ou ont dû différer des charges sociales, ou le règlement de fournisseurs, et certains ont dû faire appel aux banques".

Reste un dernier levier d'économies : les investissements. "C'est certain, on va devoir serrer la vis le temps de passer ce cap difficile", concède Olivier Boyer. Heureusement pour Orléans, les locaux sont récents. Mais d'autres n'ont pas cette chance. À Bourges, la chambre des comptes déplore "un mur d'investissements", alors que certains sont attendus depuis une décennie. La reconstruction du bloc opératoire et l'isolation du bâtiment y sont ainsi chiffrées à 25 millions d'euros, et aucun des deux projets n'est engagé. Et, pour cause d'inflation, chaque année de retard fait monter la facture finale.

Et différer des investissements, ça se voit dans les chiffres. Selon la Cour des comptes, le taux de vétusté des bâtiments des hôpitaux publics est passé de 45,5% en 2015 à près de 53% en 2021, et de 76 à 80% entre 2011 et 2021 pour les équipements.

D'où viendra l'argent ?

Les hôpitaux n'ont pas les moyens de combler, seuls, ce retard. À Blois, l'hôpital projette 250 millions d'euros de travaux prioritaires, mais peut compter quesur 90 millions de l'État. "L'investissement, c'est une question de politique publique, souffle Olivier Boyer. C'est, à un moment, la collectivité nationale qui décide de dépenser 20 milliards pour moderniser les hôpitaux."

Dans les Ehpad sous gestion de l'hôpital public, l'investissement se couple d'une nécessité de montée en gamme. "Des établissements ont du mal à se remplir parce que les gens attendent d'avoir des conditions d'hébergement d'un certain niveau, et c'est normal", précise Maïwenn Thoër Le Bris. Mais beaucoup ont encore des chambres doubles par exemple. Différer l'investissement par manque d'autre solution financière revient alors à se tirer une balle dans le pied.

Les Ehpad rentrent dans une spirale. Comme ils ne peuvent pas investir, ils n'arrive pas à remplir les lits. Donc ils ont moins d'activité, donc moins de recettes. Etc.

Mickaël Morisseau, directeur des affaires financières aux CHU d'Orléans

Autant dire qu'il n'y a pas de meilleure solution, seulement des moins mauvaises. "C'est la quadrature du cercle", ajoute Olivier Boyer.

Vers une refonte du modèle de la tarification à l'acte ?

L'espoir vient désormais d'une refonte complète du modèle. Selon Marc Gricourt, maire socialiste de Blois et président de la FHF du Centre-Val de Loire, le mode de financement "ne permet plus à l'hôpital d'assurer son fonctionnement". Son constat : "Il faut de l'argent." Il milite pour un "plan Marshall de la santé", et un coup de pouce au-delà du financement à l'acte. Notamment pour relancer l'investissement. "Investir, c'est garantir de bonnes conditions d'accueil des patients, des soins en sécurité, et de bonnes conditions de travail", plaide-t-il.

Et justement, une diversification des modes de financement est en réflexion dans les ministères. Avec notamment une distinction entre la tarification à l'acte quantifiable, comme une opération chirurgicale, et les activités moins interventionnelles (comme le diagnostic) et difficilement quantifiables. Autre idée : une dotation populationnelle, soit "des enveloppes fixées en fonction de la population, son âge, ses critères de santé public, etc.", explique Olivier Boyer. Autant de pistes que "soutient la FHF".

Ces solutions ne verront pas le jour en 2024, et ne sauveront pas dans l'immédiat les finances des hôpitaux publics. Au CHU d'Orléans, on affirme être "dans une bonne dynamique, on a eu plus d'arrivées que de départs d'infirmières en 2023", et "une croissance d'activité" est constatée depuis le début de l'année. Mais "ce n'est pas encore suffisant".

Sollicitée, l'agence régionale de santé n'a pas encore été en mesure de répondre à France 3. France Bleu informait en février que l'agence avait distribué une enveloppe de 4 millions et demi d'euros à plusieurs établissements du Loiret. En attendant mieux, les hôpitaux vont continuer à devoir se serrer la ceinture.

Mise à jour le 30 mars 2024 : ajout de la réaction de la direction de l'hôpital de Bourges quant à la proportion d'intérimaires au service des urgences.

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