Témoignages. Présidentielle, pourquoi la désertification médicale est l'un des principaux enjeux de cette élection ?

À cinq mois de l'élection présidentielle, la santé reste l'une des préoccupations majeures des habitants du Berry, dont certains l'ont fait savoir sur la plateforme en ligne "Ma France 2022". Ils nous font part de leur expérience, et de leurs propositions.

Quitte à enfoncer des portes ouvertes, allons-y franco : le Centre-Val de Loire est un désert médical en puissance. Et au sein même de la région, le Berry concentre les difficultés. C'est pour cette raison que, cette semaine, France 3 est parti en immersion dans l'Indre et le Cher, dans le cadre de l'opération "Ma France 2022".

Sur la plateforme du même nom, en partenariat avec France Bleu, les internautes discutent des grandes thématiques de notre société, à cinq mois de l'élection présidentielle. Et c'est la santé qui a fait les débats la semaine dernière. "Il faut repeupler les territoires ruraux de médecins généralistes afin de garantir l’accès aux soins au plus grand nombre", assénait Julien, 28 ans, sur le site.

15 ans sans médecin traitant

Et il faut bien dire que, à travers tout le Berry, chaque personne rencontrée s'inquiète de la situation, et à raison. Selon l'Insee, les deux départements ont parmi les plus faibles densités de médecins généralistes de France, avec 109 médecins pour 100 000 habitants dans le Cher et 123 dans l'Indre (respectivement 5e et 20e plus faibles du pays). La moyenne nationale s'établit, elle, à 153.

Résultat, 25 000 personnes manquent d'un médecin traitant dans les seuls alentours de Bourges. C'est par exemple le cas de Yannick Bouchet. Jeune père, il patiente pendant que ses enfants s'amusent à la fête foraine ambulante, installée sur la place de Buzançais dans l'Indre. Habitant la ville depuis une quinzaine d'années, il se débrouille à "trouver des rendez-vous à Vendœuvres", avec parfois "des délais de 15 jours". Conséquences : "J'attends, et je ne suis plus malade au bout de 15 jours.

"Du coup, on n'a rien fait"

Nombreux sont ceux à utiliser la même méthode, celle de l'attente, face à une absence de place.

Sortant d'une pharmacie du centre-ville de Vierzon, dans le Cher, Françoise Raynal se souvient avoir eu "une petite grippe" avec son mari. Impossible d'avoir une réponse rapide de son médecin traitant. "Même SOS Médecins aurait mis deux jours, et tous les autres étaient complets, donc on s'est tournés vers le Loir-et-Cher mais c'était une semaine d'attente." Du coup, "on n'a rien fait", rapporte-t-elle.

Dans la pharmacie dont Françoise Raynal sortait, Maguy Paul-Hazard -une des deux patronnes- nous accueille. D'après elle, de nombreux malades se tournent vers les pharmaciennes de l'officine, faute de rendez-vous médical. "Il y a quelques jours, un monsieur avait un problème mal placé et nous l'a montré, se souvient-elle. Mais ce n'est pas de notre ressort."

On peut le conseiller, mais le problème ne peut être résolu que par un médecin.

Maguy Paul-Hazard

Et forcément, le manque de prise en charge médicale se répercute sur la santé des patients.

L'automédication, solution ou sujétion ?

Retour à Buzançais, où Cécile Molinier, opticienne du centre-ville, nous reçoit dans la boutique. Elle-même est adepte de l'automédication, face à ces fois où elle "appelle le jeudi et on propose un rendez-vous le mercredi d'après". Elle se souvient ainsi d'avoir contacté son médecin traitant pour une gastro-entérite de son garçon de 18 mois. "Pour les enfants en bas âge, il faut être réactif. Il ne pouvait pas être pris par notre médecin traitant avant deux jours, et il a fini par se faire hospitaliser" après une aggravation de la maladie.

Pourtant, on pourrait s'attendre à ce que la situation soit meilleure qu'ailleurs à Buzançais. Il y a moins de deux ans, une maison de santé pluridisciplinaire (MSP) toute neuve a ouvert ses portes dans la ville. Y officient une orthophoniste, une diététicienne, une ostéopathe ainsi que trois généralistes, dont un tout nouveau sur le territoire. De quoi élargir l'offre de soins... "Il était déjà complet et ne prenait plus de nouveau patient au bout de 15 jours" se désole Yannick Bouchet.

Lui-aussi a déjà dû emmener un de ses enfants à l'hôpital pour des gastros, "alors qu'on nous dit de ne pas surcharger les urgences". Et justement, juste derrière l'entrée des urgences de l'hôpital de Châteauroux, Manu* et Lisa* sortent prendre une pause, après avoir été insultées par un homme, énervé face aux délais d'attente. "On a des gens de 80 ans qui sont sur des brancards depuis plus de 4 heures, témoigne Manu. Et encore, on n'a plus de brancards donc ils sont juste sur des fauteuils.

La faute, selon elles, à des "manques d'effectifs" flagrants, résultats d'un "manque de moyens général un peu partout en France" investis dans l'hôpital public.

On en arrive à être dégoutées, on n'a pas l'impression de bien faire notre travail, on prend moins de temps avec les patients qui en ont besoin et on court partout.

Manu

Et le manque de médecins généralistes dans la région a, selon elles, sa part de responsabilité. "On serait assez nombreux s'il y avait plus de médecins traitants, qui prenaient les petits trucs, estime Lisa. Mais c'est de pire en pire depuis 2 ou 3 ans."

"Nos médecins ont presque tous l'âge de la retraite"

Car la densité des médecins dans le Berry n'est pas faible depuis toujours. Entre 2010 et 2020, les deux départements ont chacun perdu environ le quart de leurs généralistes. Si bien que chaque nouvel arrivant ne fait que ralentir la désertification, sans l'enrayer.

"Il y avait trois médecins il y a encore 10 ans, et il n'y en a plus qu'une", explique Romain Duffié. Résident à Lignières, dans le Cher, il y officie comme agent immobilier avec Maxime Heniau et Adeline Lemoine. "Les gens cherchent à ne plus se déplacer en voiture, affirme cette dernière. La première chose que nous demandent les clients, c'est s'il y a un médecin, une boulangerie et une pharmacie." Et "si les gens ne viennent plus s'installer, c'est parce qu'on n'a plus forcément les premières nécessités.

Romain Duffié dresse un constat amère : "À La Châtre, un médecin va prendre sa retraite. Celui de Chatillon aussi, deux à Saint-Amand aussi..." Car la population des généralistes est vieillissante dans le Berry. Avec 54,2 ans, le médecin indrien est, en moyenne, le deuxième plus âgé de France juste derrière le médecin creusois, à en croire les chiffres de l'ordre des médecins. Si bien que tous les Berrichons interrogés témoignent d'une crainte des prochaines années.

"Nos médecins ont presque tous l'âge de la retraite, les 3/4 vont bientôt partir", redoute Cathy Bisson, employée d'un troquet du centre de Vierzon, elle se demande "ce qu'on fera quand ils partiront tous, parce qu'ils sont déjà débordés et qu'il n'y a pas de jeunes qui veulent venir remplacer". "Ça les emmerde de venir dans une ville de province comme Vierzon", constate, défaitiste, Pascal Delhomme, client accoudé au comptoir. 

Obligation ou attraction ?

Pour lui, il n'y a qu'une seule solution : "Les premières années après leur diplôme, on devrait leur dire : "Les gars, vous allez 3-4 ans là, et puis vous avez pas le choix."" Cette proposition est revenue régulièrement dans la bouche des habitants, favorables à l'obligation pour un médecin de s'implanter un temps dans une zone sous-dotée.

C'est d'ailleurs le sens d'un amendement au projet de loi de financement de la sécurité sociale, adopté au Sénat, et qui conditionne le "conventionnement d'un médecin à la réalisation [...] d'un remplacement de médecin ou d'un exercice salarié auprès d'un médecin libéral dans une zone sous-dotée en médecins pendant une durée totale d'au moins six mois".

Pourtant, il arrive des médecins tous neufs ans le Berry, comme le docteur Kamel Benhamadi, installé à la maison de santé de Neuvy-Saint-Sépulchre depuis ce lundi (après trois ans de remplacements dans le Berry). Il se dit assez sceptiques face aux propositions contraignantes, et mise plutôt sur "les forces médicales en présence". Car ce qui l'a motivé à venir, c'est "l'entente avec les confrères, le projet intéressant de MSP, le plateau technique", nous explique-t-il dans son cabinet. Parce que, selon lui, "c'est ce que les médecins recherchent désormais, la pratique individuelle n'existe plus". 

Du mieux avant dix ans ?

Miser sur l'attractivité, c'est aussi ce qui a fait venir le docteur Fawzi Saïd, oncologue à l'hôpital de Châteauroux depuis un mois. "Il faut se recentrer sur les jeunes médecins", affirme-t-il, en "écoutant leurs besoins". Exemple : "L'hôpital prend en charge ma formation en continue, parce que la médecine évolue chaque jour donc ça intéresse un médecin". 

En réalité, en attendant les effets de la suppression du numerus clausus en 2021 et une arrivée de nouveaux médecins d'ici une dizaine d'années, pas sûr que la solution miracle soit trouvée. D'autant que, comme le souligne le docteur Benhamadi, "les médecins qui arrivent ne font plus les mêmes horaires, n'ont pas les mêmes priorités, c'est fini les 8h-minuit et les appels à chaque heure de la nuit". Même pas sûr, donc, qu'un jeune médecin remplaçant un médecin de campagne en retraite soit capable d'encaisser la même charge de travail.

Quoiqu'il en soit, des initiatives plus ou moins locales poussent pour faire venir des forces jeunes. Certains communes ont ainsi sollicité l'agence d'attractivité de l'Indre, d'autres créent des MSP, ou mettent à disposition un logement et accompagnent dans les tâches administratives avec le département, ou encore la région se met à salarier elle-même des médecins. Tous les moyens sont bons pour tenter de stopper une tendance qui ne fait que se confirmer.

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