Dans la nuit du 1er au 2 mai, la France insoumise et Europe Écologie-Les Verts ont signé un accord "historique", préfigurant une union de la gauche. Dans le Centre-Val de Loire, où domine la majorité LREM, les tensions commencent à apparaître autour des quelques circonscriptions que les partis de gauche ont une chance de faire tomber.
"C'est le prix à payer pour l'union", reconnaît Charles Fournier, le vice-président EELV du conseil régional. Investi par la "Nouvelle union populaire, écologique et sociale" dans la première circonscription d'Indre-et-Loire, il sera l'un des quatre seuls candidats EELV en région Centre-Val de Loire pour les élections législatives. Il s'agit du résultat de l'accord conclu dans la nuit du 1er au 2 mai entre Europe Écologie-Les Verts et la France insoumise autour de 100 circonscriptions, dont 78 devraient revenir au parti écologiste. Alors que Les Républicains hésitent entre rester indépendants et s'allier à LREM, une union de la gauche pourrait ravir la majorité des sièges au parti présidentiel. C'est en tout cas le plan avancé par Jean-Luc Mélenchon, qui a appelé les Français à "l'élire Premier ministre".
Des circonscriptions "gagnables" pour EELV
Seul candidat écologiste d'Indre-et-Loire, Charles Fournier ne cache pourtant pas sa "satisfaction" d'avoir vu les deux partis arriver à un accord. Aux prises avec le député LREM sortant Philippe Chalumeau, l'écologiste n'arrive pas sur un terrain tout à fait hostile. Tours, ville à laquelle correspond la majeure partie de la circonscription, fait partie des grandes villes remportées par EELV lors de la "vague verte" des municipales.
Au premier tour, cette même circonscription avait été la seule de la région Centre-Val de Loire à placer Jean-Luc Mélenchon en tête (30,88%), à quelques dixièmes de points devant le président réélu (30,28%). "C'est un terreau favorable à l'union" de la gauche, commente Charles Fournier, déjà artisan de l'alliance qui a permis aux socialistes, écologistes, insoumis et communistes de conserver la Région. "Et elle l'emportera pour peu qu'il y ait une mobilisation et une participation la plus haute possible."
"Si nous savons le faire dans nos villes, nous devons le faire dans notre pays !"
Mais cette union se fait encore attendre du côté des autres partis de gauche, notamment le Parti Socialiste, qui malgré un second revers présidentiel demeure une force à prendre en compte. Des ténors du parti, comme l'ancien premier secrétaire Jean-Christophe Cambadélis dans une lettre ouverte, ont vertement critiqué les velléités de LFI de "sortir des traités européens" ainsi que des réformes sociales, comme la retraite à 60 ans, sources de "dépenses vertigineuses impraticables". Le rejet de l'Otan par LFI, et sa complaisance suspectée avec la Russie et la Chine, pèsent aussi dans la balance.
Localement, entre 70 et 80 d'élus ont signé "un appel solennel à nos formations politiques en faveur d’un large et solide accord d’union pour les élections législatives", sous l'impulsion du maire socialiste d'Issoudun, André Laignel. Parmi eux, les maires (pas forcément socialistes) de plusieurs grandes villes, comme Bordeaux, Sarcelles, Rennes, mais aussi le premier vice-président de la Région et maire de Blois Marc Gricourt ou le maire de Langeais Pierre-Alain Roiron.
"Les citoyens de gauche sont aujourd’hui fatigués par les divisions et les querelles d’ego", écrit le maire d'Issoudun. Assoiffés de justice et d'écologie, les électeurs s'épuisent selon lui devant "l'émiettement des candidatures concurrentes".
A la faveur des dernières élections municipales, départementales et régionales, nous avons su faire primer ce qui nous unit sur ce qui nous divise pour construire des majorités fortes Nous avons nos désaccords, nos nuances, qui font le sel de la démocratie, mais nous nous sommes unis pour battre la droite et LREM dans nos territoires.
André LaignelAppel des élus locaux pour l'union de la gauche
"Si nous savons le faire dans nos villes, dans nos départements, dans nos régions, nous devons savoir le faire pour notre pays !" lance encore le maire socialiste, convaincu "depuis Mitterand" par l'idée de l'union des gauches. Joint par France 3, il balaie le risque d'un échec des négociations, qui commencent à prendre du retard : "une alliance entre quatre grands partis, et une multitude de petits, ça ne se négocie pas comme ça."
Il l'imagine d'ailleurs volontiers être conclue le 3 mai, date anniversaire du Front populaire de 1936. "Hors d'une union, il n'y a pas d'avenir, pour aucun parti de gauche", assène en tout cas André Laignel. "Ou bien il y a une union, et des perspectives pour les années à venir, ou bien nous abandonnons le terrain à la droite."
Les communistes pas encore dans la partie
Du côté du PCF, c'est moins sur les valeurs que sur les circonscriptions que les négociations achoppent. "La France insoumise a des exigences, elle voudrait se faire plus grosse qu'elle n'est", regrette le maire communiste de Vierzon, Nicolas Sansu. La 2e circonscription du Cher, dont il fut député de 2012 à 2017, fait partie de celles demandées par le PCF, en plus des 11 où le parti possède déjà un député sortant.
Au total, le PCF veut négocier 25 circonscriptions "gagnables" où les autres partis de gauche se retireraient en sa faveur. Un nombre suffisant pour atteindre, in fine, le seuil limite de 15 députés, qui permet de former un groupe parlementaire.
Cependant, après une campagne présidentielle marquée par des tensions entre insoumis et communistes, certains voient encore dans la candidature de Fabien Roussel (2,28%) une dispersion des voix qui a contribué à priver Jean-Luc Mélenchon de second tour. "Là-dessus, j'étais en désaccord avec mon propre parti", note Nicolas Sansu, "il fallait se rallier à Mélenchon". Résultat, certains cadres insoumis voudraient "nous le faire payer".
Mais au-delà des chiffres, les législatives sont aussi une question de personnes, et de territoires. Maire depuis quinze ans, ancien conseiller général, Nicolas Sansu connaît bien le sien. "C'est une circonscription pas facile, qui ne correspond pas à la population de Jean-Luc Mélenchon" estime l'élu. De fait, elle a placé Marine le Pen en tête lors du premier tour de l'élection présidentielle (27,97%), même si Fabien Roussel y a nettement sur-performé (4,71%). Faute d'accord, le maire de Vierzon n'exclut d'ailleurs pas "d'y aller" tout seul, quitte à faire la nique à sa propre direction nationale.
Pour l'instant, "on attend la fumée blanche", comme tout le monde, lâche Nicolas Sansu. Jean-Luc Mélenchon avait promis un accord pour le 1er mai, mais les négociations pourraient encore durer quelques jours, voire quelques nuits.