Une mise en lumière des accidents et des dangers de la Pile, la centrale nucléaire de Saint-Laurent-des-Eaux.
Avec quatre centrales nucléaires en région Centre-Val de Loire : Dampierre-en-Burly (Loiret), Saint-Laurent-des-Eaux (Loir-et-Cher), Belleville-sur-Loire (Cher), Chinon (Indre-et-Loire), nombreux sont ceux qui vivent à proximité de ces monstres de béton.
Aussi, curieusement que cela puisse paraître, elles font partie du paysage. Quand on a vécu toute son enfance dans les villages environnants et que des proches y travaillent, parfois depuis plusieurs générations, l'habitude a fait son chemin. On finit par ne plus voir les imposantes constructions encerclées de multiples rangs de barbelés. La vapeur qui s'échappe des tours fait office de baromètre, quand elle monte tout droit vers le ciel, il fera beau !
Quand des connaissances venues d'ailleurs passent devant la centrale en voiture, elles prennent un air inquiet, surtout quand la vapeur est basse et qu'il faut traverser le nuage. Elles posent quelques questions et si elles trouvent que tout cela est bien laid, on s'offusquerait presque de cette remarque sur notre paysage environnant !
Mais que savons-nous vraiment de cette voisine, peu bavarde et de ses secrets ?
Allumer la pile des souvenirs
Dans son documentaire " La Pile, mon village nucléaire ", Cécile Delarue part en quête de réponses sur l'histoire de celle ; que les siens côtoient depuis l'enfance : La Centrale de Saint-Laurent-des-Eaux, dans le Loir-et-Cher, à quelques kilomètres du célèbre château de Chambord. Ce film est une enquête personnelle et journalistique, un retour aux sources dans le village où elle a grandi.
La Pile à Saint-Laurent, La boule à Chinon, des surnoms, des petits diminutifs donnés par les anciens. Parfois aussi "la centrale à papa, à papi ou à tonton", pour les enfants. Un océan de lumière comme un phare dans la nuit, un repère rassurant pour les voyages nocturnes.
Comme ses petits camarades, la toute jeune Cécile, sait qu'elle lui doit une multitude d'infrastructures pour faire du sport ou s'épanouir culturellement. La population est multipliée par quatre et la taxe professionnelle donne des ailes aux finances, la commune ne se refuse rien.
Une piscine chauffée par l'eau de la centrale, une dizaine de cours de tennis pour 3000 habitants, une école flambant neuve, un collège, deux gymnases, un tennis couvert, un stade de foot, une école de musique, un centre de rencontres pour les activités artistiques, une salle des fêtes géante et une bibliothèque. La liste est longue.
Les retombées économiques, les anciens en ont profité eux aussi.
"C'est en 1961, que tout a changé ". Pour travailler à la centrale, ils sont venus de toute la France. Ils cherchaient un appartement, une location de chambre chez l'habitant ou un terrain pour installer une caravane. L'arrivée de ces nouveaux venus apportait un souffle de vie et arrondissait les fins de mois, souvent difficiles pour la population du village, prioritairement des cultivateurs.
Cette pile atomique, c'est l'un des grands chantiers du Général de Gaulle.
Cécile Delarue
La première centrale d'Europe est lancée à Chinon, deux ans plus tard, la deuxième est mise en route à Saint-Laurent sans susciter une vague d'inquiétude. Le côté positif de l'implantation l'emportait sur les effets, soi-disant, sans conséquences pour la santé.
Une insouciance et une confiance que ne partage pas Cécile Delarue. Le mutisme entourant les deux accidents, d'octobre 1969 et de mars 1980 l'interroge.
La pile ne perd pas la face
Comme un secret de famille bien enfoui, il est tombé dans les oubliettes du silence. À peine évoqué dans les informations de l'époque. La communication se veut concise et rassurante, elle passe pour ainsi dire inaperçue !
Il s'avère que ce sont les accidents nucléaires les plus graves qui ont eu lieu en France (niveau 4). Dans les deux cas, des combustibles ont fusionné dans un des réacteurs de la centrale.
Aujourd'hui, on sait, mais pourquoi si tardivement ? "Depuis plus de 50 ans, les agents de Saint-Laurent gardaient cela pour eux."
Certains se souviennent précisément, jusqu'à l'heure exacte, d'autres ont oublié, effacé de leurs mémoires les détails de ces événements sans pareils. "Descendre" comme ils disaient, dans cet endroit fermé, sombre, chaud, inquiétant, ce n'était pas rien ! "Il y en a certains qui paniquaient, qui vomissaient dans leur masque."
Le père de Cécile
"Il s'appelait Dominique Delarue, contremaître à la centrale. La fille de Saint-Laurent épouse un agent EDF. Ils s'installent dans un logement de fonction."
Les agents étaient fiers de travailler dans le nucléaire, de participer à cette aventure, "une usine pas comme les autres qu'on filmait avec la caméra familiale. " Il y régnait un bel esprit de camaraderie et des amitiés pour la vie. Tout semblait rouler droit comme dans le meilleur des mondes pour ces pionniers qui travaillaient main dans la main.
Comment imaginer que cette machine si bien huilée n'était finalement pas si infaillible ?
Cécile Delarue
Le père de Cécile, peu bavard, n'a jamais rien raconté. Le nucléaire, il y croyait ! Parti très tôt à la retraite, à 54 ans, il n'a pas eu la chance d'en profiter. Deux ans plus tard, il est atteint de son premier cancer. Pendant 15 ans, il lutte, souffre et ne lâche rien jusqu'à la fin.
Il a cru en la médecine, comme il a cru au nucléaire, à fond.
Cécile Delarue
Lui aussi est "descendu", il pensait que cela n'avait rien à voir. Sa fille n'en est pas si sûre. Elle mène l'enquête, voudrait savoir. En l'absence de documents parlants, elle part à la rencontre de ceux qui détiennent peut-être la clé de cette énigme. Michel Brun, un ancien collègue de son père, mis au placard, a collecté des pages et des pages relatant l'histoire de la centrale et le détail des rejets dans la Loire au fil des années, même après l'interdiction en 1980.
Sur la liste des 400 volontaires ayant travaillé dans les caissons en 1969 et en 1980, elle trouve le nom de son père écrit noir sur blanc. Que sont-ils tous devenus, comment savoir ? "Le problème, c'est qu'il n'y a pas de chiffres, pas d'enquête scientifique, ni sur les conséquences sur la santé des travailleurs de la centrale, ni sur celle des habitants."
Le médecin du village n'avait pas connaissance des accidents et n'a rien constaté d'anormal sur l'état de santé de ses patients, le cancérologue qu'il a contacté non plus.
Les conclusions d'Anne Thébaud-Mony, directrice de recherche INSERM sont quant à elles, alarmantes. Le cancer du rein précoce dont a été atteint Dominique Delarue pourrait être la conséquence d'une exposition aux radiations. Même minime, elle ne la considère pas sans danger.
Les constats et les avis divergent. Cécile Delarue se forgera sa propre opinion, sera-t-elle différente de celle de son père qui n'a jamais remis en cause son environnement de travail ?
Et aujourd'hui ?
Enfants du pays, vivant à proximité d'une centrale nucléaire, combien sommes-nous à être restés dans les communes environnantes ? Combien sont-ils, partis vivre ailleurs pour élever leurs enfants, pour fuir loin du monstre de béton ? Au quotidien, sommes-nous inquiets, la question nous vient-elle seulement à l'esprit ?
Aujourd'hui comme hier, nous vivons dans son sillage, actifs ou à la retraite comme les amis de Dominique Delarue restés à Saint-Laurent. Ce documentaire lève le voile sur un silence qu'il était nécessaire de percer pour en comprendre l'histoire. Il questionne sans juger, donne la parole. Comme les enfants, quand les portes sont fermées, on n'a qu'une envie, découvrir ce qui se cache derrière.
► "La Pile, mon village nucléaire", un documentaire de Cécile Delarue produit par Giraf Prod et France 3 Centre-Val de Loire, à voir ce jeudi 21 mars à 23 h dans la France en Vrai sur France 3 Centre-Val de Loire et sur la plateforme france.tv en avant-première et en replay.