Huit hommes condamnés pour des violences conjugales ont suivi l'un des stages de lutte contre les violences conjugales, en juin 2023, à Blois. Trois jours pour casser les préjugés, mais surtout, pour se confronter à leur propre violence.
"Et vous, quand avez-vous pleuré pour la dernière fois ?" À cette question, les huit hommes ne répondent pas tous de la même manière. "Il y a deux semaines", pour l'un. "C'est pas l'envie qui m'en manque, mais ça ne vient pas", rétorque un autre.
S’ils sont tous assis en arc de cercle dans une salle du service pénitentiaire d'insertion et de probation (SPIP) de Loir-et-Cher, c'est parce qu'ils ont été condamnés pour violences conjugales. Parmi les obligations qu'ils doivent remplir, celle d'assister à ce stage de trois jours.
Lutter contre ses préjugés
Face à eux, un tableau sur lequel ils ont écrit les qualités qu'ils estiment nécessaires pour être un homme, un "vrai". Au feutre s'est dessiné le portrait d'un "super-héros", comme le souligne Élise Curt-Paumier, conseillère pénitentiaire. Être fort, subvenir aux besoins de sa famille, sécuriser, ne pas pleurer. Autant de termes que chacun a déroulé tour à tour.
"Du temps de mon grand-père, c'est ma grand-mère qui tenait les rênes", affirme Ahmed*. Pour le premier jour de cette session, ils ont eu à réfléchir sur les stéréotypes, idées préconçues, mais aussi à se confronter aux inégalités de genre. L'un résume :
La puissance physique, ça ne fait pas un homme.
Un auteur de violences participant au stage
Olivier Carrier et Élise Curt-Paumier sont chargés d'animer ce stage, dans un mélange de bienveillance et de fermeté. Tous installés dans leur chaise rouge, une petite tablette sur la droite, certains prennent des notes.
Jean* a plus de gouaille que les autres. "On a trouvé notre champion du stage, il y en a un à chaque fois", lance même Élise Curt-Paumier au détour de l'une de ses sorties. Il parle beaucoup, tergiverse souvent.
La force du groupe
Débarquer au milieu d'autres hommes violents a d'abord créé une appréhension chez Jacques*. "J'ai vu le stage comme une contrainte au début, confesse-t-il. J'avais un peu peur de voir avec qui j'allais me retrouver... non pas que je me sente meilleur que les autres."
Les jours passant, ce groupe est devenu une force : "L'un d'entre nous a craqué à un moment, on l'a remercié, il s'est livré et ça nous a aidés à faire tomber nos carapaces." Cet homme, c'est François*. Le trentenaire a été condamné pour des violences conjugales en 2020, puis pour harcèlement. Pour les deux hommes, être à plusieurs, c'est avant tout "se sentir moins seul".
"La force du groupe est indéniable" aux yeux d'Olivier Carrier. "Les participants s'autorégulent, et certains font locomotive pour les autres" poursuit-il. "Ils peuvent aussi se faire des remarques les uns aux autres sur leurs situations, que nous ne pouvons pas nous permettre par notre posture" note de son côté Élise Curt-Paumier.
Faire face à sa propre violence
Quelques mois ou plusieurs années après les faits qui les ont amenés devant un tribunal, il est donc temps pour eux de comprendre, et d'essayer d'évoluer. "Je ne voyais pas ce que je faisais, reconnaît François. J'en ai pris conscience trop tard et aujourd'hui j'en porte la culpabilité."
Au cours des trois jours, plusieurs exercices ont permis de réaliser les marques indélébiles que portent les victimes. Celui de la boulette de papier par exemple. Chacun a pu prendre une feuille neuve pour la froisser, avant de tenter de l'aplanir. Impossible de revenir à la feuille d'origine, malgré les efforts. "Je demande pardon à toutes les femmes victimes de violences conjugales, elles ont peut-être plus de chemin à faire pour se reconstruire", lance François.
Ce stage a aussi permis aux auteurs de se confronter à leur violence. À travers, par exemple, l'écoute de la chanson N'insiste pas de Camille Lellouche. "Ça m'a beaucoup remué", explique Jacques. François l'a même réécoutée en rentrant chez lui. "Ça m'a fait penser à tout ce que j'ai détruit", admet-il.
Des "monstres" qui cherchent à évoluer
Les médias parlent des violences conjugales, Jacques et François le savent. "Ça peut faire percuter certains", estime François. Cette médiatisation, il la comprend donc, bien qu'elle mette son image à rude épreuve : "On voit surtout le côté monstre."
Souvent enfermés dans une forme de victimisation, certains ont l'impression que la société n'écoute que les victimes de violences. "Il y a des auteurs qui cherchent à avancer et ne plus refaire les mêmes choses", insiste François, témoignant d'une volonté de s'extraire d'une vision manichéenne. Jacques en est, lui, convaincu : "Il y a des bonnes personnes qui font des choses pénibles et condamnables."
Depuis les faits de violences, ce père de famille est suivi à la fois par un psychologue et un psychiatre. Plusieurs séjours en hôpital psychiatrique auront été nécessaires avant de trouver un traitement qui lui corresponde. Petit, il n'a connu que la violence. Celle tournée contre lui, mais aussi les violences conjugales auxquelles il a assisté. Lors de sa garde à vue après la plainte de son ex-femme, c'est à sa mère qu'il écrit un SMS lourd de sens :
Je suis en garde à vue, j'ai fait comme papa.
François, dans un message à sa mère
Son fils aussi a été témoin. "Sur le moment, je ne l'ai même pas entendu pleurer." Pourtant, dans les vidéos diffusées pendant le stage, ce sont les pleurs d'enfants qui le font craquer. Un boomerang en pleine tête d'un vécu difficile, mais aussi d'agissements qu'il faut regarder en face. "C'est une petite personne qui aura du mal à se construire", dit-il à propos de son fils de 7 ans. Il garde des droits de visite et son autorité parentale. Mais le lien n'est pas simple. "Je sens qu'il est sur la retenue".
Violences ou harcèlement, les agissements de chacun trouvent des origines, des mécanismes sur lesquels il faut travailler parfois des années. "Je suis loin d'avoir fini", estime François.
Pour Jacques, l'un des problèmes, c'est l'alcool. Quand il repense à toutes ces fois où il a débarqué chez son ex, aux messages, aux appels harcelants. "Je me déteste", lance-t-il. Suivi pour son addiction, il estime aujourd'hui ne plus être le même homme qu'à cette époque. Il voit régulièrement son conseiller de probation, ainsi qu'une infirmière "qui joue un peu le rôle de psychologue, elle m'écoute beaucoup".
Peut-on changer en trois jours ?
Ce stage, "ce n'est pas une baguette magique", assument Élise Curt-Paumier et Olivier Carrier. Les conseillers pénitentiaires sont conscients que trois jours ne suffisent pas à changer durablement. Mais une prise de conscience, des "graines" peuvent être plantées dans l'espoir de voir pousser quelque chose.
Jacques et François se disent en tout cas pleins de bonnes volontés. "Il faut que j'apprenne à la fermer un peu", admet le premier, dans un sourire.
Pouvoir désamorcer un conflit, sortir prendre l'air en cas de colère; autant de clés qui sont désormais entre les mains des hommes accompagnés. Jacques en est conscient : "C'est facile quand on est tranquille dans une salle climatisée, mais ça le sera moins face à une situation réelle".
"On a des réponses appropriées parce qu'on est dans un cadre approprié", poursuit Olivier Carrier "parfois on nous sert la soupe et on le sait".
On a des réponses appropriées parce qu'on est dans un cadre approprié. Parfois on nous sert la soupe et on le sait.
Olivier Carrier, conseiller pénitentiaire d'insertion et de probation
"Je voudrais lui dire pardon. Pardon et merci."
À la fin de ce stage, une note est rédigée pour le conseiller qui suit chaque homme dans le cadre de sa condamnation. L'attitude du stagiaire et ce qu'il reste à travailler y sont détaillés. "Leur posture change, ça permet de parler de sujets qui n'étaient pas abordables avant" remarque Élise Curt-Paumier.
Lorsqu'on leur demande leur regard sur la plainte de leur ex, les deux hommes se souviennent d'abord de la colère ressentie, une forme d'incompréhension. Plusieurs années plus tard, Jacques a les idées claires. À la mère de sa fille, il n'a désormais qu'un message à transmettre : "Je voudrais lui dire pardon. Pardon et merci."
Le risque de récidive omniprésent
Cependant, tous ne réagissent pas de la même manière. "On voit que le risque de récidive est omniprésent" reconnaît Olivier Carrier. Même parmi les participants, certains commettront de nouveaux faits. "Si les graines ne fleurissent que dans deux, trois, quatre ans, ça aura été mieux que de ne rien faire" souligne Élise Curt-Paumier.
"Si on veut régler le problème des victimes, il faut régler les problèmes des auteurs" pense fermement la conseillère d'insertion et de probation. Le binôme travaille depuis une quinzaine d'années sur la prise en charge des auteurs.
"Ça ne sert à rien de juste les mettre à l'écart de la société, sinon c'est pisser dans un violon, pour le dire vulgairement"
Élise Curt-Paumier, conseillère pénitentiaire d'insertion et de probation
À l'automne, un projet "d'action-recherche" verra le jour au SPIP 41. Quatre mois de stage pour un groupe d'hommes qui présentent des risques modérés à très fort de récidive. Une fois par semaine, ils travailleront avec des agents formés. Un chercheur sera quant à lui chargé d'évaluer les conséquences des actions, en surveillant les actes de récidive sur les cinq prochaines années.
*Les prénoms ont été modifiés.