Navigatrice et première femme à avoir accompli un tour du monde en 1991, Isabelle Autissier est la présidente des Rendez-vous de l'histoire 2022 à Blois. Le thème de cette 25e édition la touche de près : la mer.
Présidente de la 25e édition des Rendez-vous de l'histoire de Blois, c'est chez elle, à la Rochelle, qu'Isabelle Autissier a accueilli une équipe de France 3 Centre-Val de Loire. Pour son quart de siècle, le festival incontournable des férus d'histoire s'est en effet tourné vers le large, et vers une de ses plus ferventes protectrices.
"La mer m'a construite de A à Z"
Et les Rendez-vous auraient eu du mal à trouver une meilleure ambassadrice, alors que la mer n'a jamais été aussi menacée, entre la pollution, le réchauffement climatique et la montée des tensions internationales. "La mer m'a construite de A à Z", raconte Isabelle Autissier. Elle lui a donné "l'émerveillement", l'a "nourrie", et lui a permis de faire partie d'une grande histoire : celle des navigateurs. "J'adore cette impression, lorsque je suis en mer, de savoir qu'il y a 500 ans, 1000 ans, 2000 ans, d'autres marins ont vu la même mer, sous les mêmes vents."
Alors, que souhaite-t-elle apporter aux Rendez-vous de l'histoire ? "Ce que j'aurais envie de dire, c'est qu'il faut remettre la mer au centre", estime la navigatrice. "On continue pour la plupart d'entre nous à penser la mer comme quelque chose où on va pour les vacances, comme une jolie image de film, on ne la remet pas en centralité." Mais "si on n'avait pas navigué sur la mer, les communautés humaines ne seraient pas ce qu'elles sont aujourd'hui".
Ce qui est caractéristique de la planète Terre, c'est qu'il s'agit d'une planète Mer
Isabelle Autissier, présidente des 25e Rendez-vous de l'histoire de Blois
Contrairement aux ressources des océans, la mer semble en effet être un inépuisable sujet de recherche, de poésies et de débat. Pour Isabelle Autissier, première femme à avoir fait le tour du monde en solitaire en 1991, la mer est un domaine à la fois isolé, et infiniment habité.
"On n'a pas sur terre ce sentiment, cette espèce de plénitude qu'on a lorsqu'on est sur l'eau", confie-t-elle. "On sent d'un seul coup que cette planète est un tout petit caillou dans le cosmos, et qu'on n'est même pas un trait de crayon sur une carte."
Quand je suis dans le Pacifique, l'être humain le plus proche, c'est Thomas Pesquet ! A 400 km, il est beaucoup plus proche que quelqu'un à terre, qui est à 3000 ou 4000 km.
Isabelle Autissier, présidente des 25e Rendez-vous de l'histoire de Blois
La mer, qu'on voit menacée
Pourtant, cette immensité est menacée. Les enjeux de domination, d'exploitation, de préservation du domaine maritime ont pris une place particulière lors de ces Rendez-vous de l'histoire, qui suivent un été particulièrement calamiteux dû au réchauffement climatique.
"Même à notre niveau, on s'aperçoit que des environnements marins ne sont plus les mêmes, on a l'impression qu'il y a moins d'oiseaux", note Isabelle Autissier. Mais ces observations, admet-elle, ne sont justement que des "impressions" : les changements les plus dangereux restent encore invisibles. Par exemple, la pollution par le plastique, en particulier les micro-plastique, "ça ne se voit pas", "les micro-particules les plus dangereuses, on ne les voit pas". Du moins, pas directement.
La Rochelloise a aussi vu la surpêche et l'exploitation des océans mettre à mal son port d'attache : "Avant, à la Rochelle, vous pouviez traverser à pied sec d'un bateau de pêche à l'autre. Maintenant c'est misérable ce qu'il reste : il n'y a plus de poissons, plus de pêcheurs, hélas. Plus d'emploi, plus de fierté."
D'où l'intérêt de trouver des solutions pour s'adapter aux changements de l'environnement, voire les freiner. "On commence seulement à prendre conscience que l'océan n'est pas si grand que ça, et qu'à force de l'attaquer de toute part, il commence à mal se porter", note la navigatrice. Mais "on peut encore réagir".
Moi ce qui m'intéresse, c'est la qualité de vie des humains, et ça risque d'être remis en cause. Tout ce qu'on peut sauver va nous aider, le moindre centième de degré qu'on va empêcher de monter, ça va nous donner un peu de répit. Plus on ira vite, moins on souffrira.
Isabelle Autissier, présidente des 25e Rendez-vous de l'histoire
Ce dérèglement climatique "affecte profondément les océans, de plusieurs manières", poursuit la navigatrice. "On sait qu'à l'horizon 2100, le niveau de la mer peut augmenter de peut-être 1m, voire 2 ou 3m. Je ne sais pas comment ça se passera pour la Rochelle. Il y a des gens qui sont nés aujourd'hui, et qui vont voir ça arriver."
La mer de toutes les batailles
Mais la bataille pour le climat n'est pas la seule qui se joue en mer. Depuis que les êtres humains savent naviguer, elle est devenue l'extension de leurs espoirs, mais aussi de leur rapacité. Avoir la mainmise sur les routes de navigations, et par extension sur les moyens de les cartographier et de s'y diriger, a longtemps été un enjeu majeur pour les empires.
"La mer est aussi un instrument de domination", explique Isabelle Autissier, illustrant son propos par deux exemples, celui de l'Empire britannique "régnant sur les Mers" et celui de la mer Noire, bloquée par la marine russe lors de l'invasion de l'Ukraine.
La France elle-même "reste très attentive à rester positionnée dans tous les océans", rappelle la navigatrice. "Les territoires qu'elle possède lui permettent d'être présente partout." Et de sécuriser des routes commerciales vitales.
Une aventure scientifique
Espace menacé, enjeu de domination, la mer n'en reste pas moins une immense inconnue, qui occupe 70% de la surface de notre planète. "On ne sait quasiment rien sur la mer", admet Isabelle Autissier. "On connaît peut-être 3% des micro-planctons." Quant aux grandes profondeurs, "on n'a quasiment aucune idée de ce qui s'y passe".
C'est ce qui est fascinant. Plus on en connaît, plus on s'émerveille. On a encore des milliers, des millions de choses à découvrir sur la mer.
Isabelle Autissier, présidente des 25e Rendez-vous de l'histoire de Blois
Cette mer dont on ne sait presque rien n'a pourtant pas fini d'alimenter nos imaginaires. Et, comme aux Rendez-vous, elle fera pour toujours partie de nos histoires.
Propos recueillis par Franck Leroy