La biodiversité, déjà à la peine, n'aura pas été épargnée par l'été caniculaire. Les sécheresses répétées ont enclenché des cycles infernaux. Arbres, végétation, insectes, oiseaux, poissons et autres animaux... comment ont-ils supporté cet été ? Retour sur les chocs sur la biodiversité en Centre-Val de Loire. Le deuxième épisode de notre série de 3 articles.
Sous la chaleur cuisante, faune et flore puisent dans toutes les ressources disponibles. Les températures records de cet été en Centre-Val de Loire ont pesé sur notre environnement, déjà lessivé par des années marquées par le changement climatique et des modifications de milieu bouleversantes. Comment la biodiversité de la région a-t-elle résisté aux sécheresses répétées et au manque d'eau ? Spoiler : c'est tout sauf réjouissant.
Outre les impressionnants feux de forêts, un autre fléau plane sur les arbres de nos régions : le dépérissement. Un phénomène observé par Alexis Feinard, chef de service de l’Office National des Forêts pour l’Eure-et-Loir, le Loir-et-Cher, l’Indre-et-Loire et le Loiret. " Les arbres peinent à résister à la hausse des températures qui amplifie l'évaporation, d'autant que les sols sont très sec car il n'y a pas eu assez de précipitations efficaces." Toujours debout mais sans eau, nos arbres meurent sur place à cause du stress hydrique, notamment.
Nos arbres sont en train de mourir, et nous n'en avons même pas conscience. C'est une catastrophe dont nous n'avons pas fini de voir les conséquences.
Guy Janvrot, secrétaire France Nature Environnement Centre-Val de Loire
Une forêt qui meurt ce sont effectivement des conséquences en cascade, sur la biodiversité, mais aussi sur les émissions de carbone. La forêt a deux rôles clés : celui de puit de carbone (absorption des émissions), mais aussi celui d'effets de substitution (via l'utilisation de bois).
Pas tous logés à la même enseigne
La concurrence pour la ressource en eau est rude et toutes les espèces ne sont pas égales face aux événements extrêmes. Le pin sylvestre, dont les racines sont moins profondes, est particulièrement sensible à la hausse des températures et en paie le prix. " Plusieurs hectares sont morts dans la forêt domaniale d'Orléans, explique Alexis Feinard. Même si ce n'est pas d'une ampleur aussi importante que dans l'Est de la France, cela reste inquiétant."
Jean-Michel Feuillet responsable, Ligue pour la Protection des Oiseaux (LPO) en Centre-Val de Loire, partage le tourment. " Voir que des espèces comme le prunellier, qui a des capacités de résistance importantes, peuvent mourir face à ces situations est préoccupant." Il constate que si certains luttent efficacement, les jeunes pousses réagissent moins bien.
Même constat sur les bords de Loire. " Les arbres exposés au Sud et qui sont censés avoir les pieds dans l'eau ont subi une température caniculaire quasiment tout l'été et leurs racines n'étaient plus immergées", relate Jean-Michel Feuillet de la LPO. Pour garder le plus d'eau possible, les arbres perdent leurs feuilles (pour limiter l'évaporation), mais ainsi l'ombre disponible est réduite et l'écosystème qui en avait besoin complètement perturbé.
Ce cumul de problèmes aggrave la situation des oiseaux
Les habitats des espèces se réduisent à peau de chagrin à mesure que s'amplifie le changement climatique. S'ajoutent à ça l'artificialisation des sols qui grignote du terrain sur les espaces naturels et l'utilisation de produits mortels comme les pesticides.
Si les fleurs crament, les insectes n'ont plus de ressources alimentaires. Si les insectes disparaissent, les oiseaux - dont 80% sont insectivores en été en Centre-Val de Loire explique la LPO - ne peuvent plus se nourrir. Et ainsi de suite. Le cercle du vicieux de la chaîne alimentaire prend tout de suite des proportions désastreuses.
Serge Gressette, responsable scientifique et technique au Conservatoire d'espaces naturels (CEN) Centre-Val de Loire, note la dégradation du milieu des tourbières acides, des zones humides fortes en matière organique présentes dans la région. "Cet espace qui doit avoir de l'eau en surface toute l'année subit fortement la sécheresse." Conséquence : des plantes, comme la carnivore droséra, périclitent. Et par ricochet, les insectes pâtissent. Trois espèces de libellules sont par exemple menacées de disparition dans la région.
Un "casse-tête" pour l'alimentation des mésanges
Les oiseaux y ont aussi laissé des plumes. La canicule a eu un impact direct sur les passereaux, notamment. "Il y a toujours un challenge entre l'oiseau et sa proie, enseigne Jean-Michel Feuillet de la LPO. La canicule bouleverse l'éclosion des chenilles qui se fait plus tôt que d'habitude, donc quand les petits passereaux naissent ils ne trouvent plus leur nourriture." L'ornithologue tient à noter que ces dynamiques sont connues depuis longtemps et s'accélèrent avec le changement climatique. "C'est un casse-tête depuis des années pour les mésanges."
La faune piscicole ne se porte pas spécialement mieux. On se souvient de la catastrophe écologique sur le plan d'eau de Neuvy-Saint-Sépulchre, dans l'Indre, où les poissons, asphyxiés, sont morts par centaines début août. À cause de la sécheresse et l'évaporation qui en découle, il n'y avait plus assez d'oxygène dans l'eau et une cyanobactérie s'est développée, asphyxiant les habitants à nageoires de l'étang.
La migration des saumons a pu être bouleversée
Hervé Brulé, directeur de la Direction Régionale de l'Environnement, de l'Aménagement et du Logement Centre-Val de Loire, confirme l'impact de la sécheresse sur les populations aquatiques. "Nous comptons une plus importante mortalité d'anguilles dans la Loire, mais la sécheresse pourrait aussi avoir handicapé la remontée des saumons, et donc sa reproduction en amont du fleuve", liste-t-il. L'été caniculaire pourrait bien se ressentir sur le long terme. Outre la Loire, cette année, les petits cours d'eau ont été particulièrement impactés : trois fois plus d'assecs que l'an passé ont été observés.
Si une partie des grands mammifères ont l'air d'avoir plutôt supporté le choc, Guy Janvrot, secrétaire régional de France Nature Environnement, s'inquiète pour les chevreuils dont la mortalité infantile serait en hausse. Pour l'observateur naturaliste, il est fort probable que cela soit dû à l'arrivée précoce de la végétation. "Lorsque les jeunes naissent, ils ne trouvent l'herbe fraiche dont ils ont besoin, car elle a poussé trop tôt." Le représentant FNE du Centre-Val de Loire demande une évaluation de l'impact de la sécheresse sur ces animaux, surtout juste avant l'ouverture de la chasse.
Face à ce tableau peu glorieux, Jean-Michel Feuillet membre de la LPO rappelle que la hausse des températures nous amène toutefois quelques nouvelles espèces :à l'image du héron garde-bœufs ou encore le guêpier d'Europe qui sont des espèces qu'on trouvait historiquement présentes sur le continent africain.
Pour autant, certaines espèces venues d'ailleurs ne sont pas forcément une bonne nouvelle pour les indigènes. A l'instar de la jussie, cette plante qui envahit le lit de la Loire, qui profite du réchauffement climatique et des hivers doux pour proliférer. Ces logiques restent très étudiées. Une équipe de chercheurs de l'Institut de Recherche sur la Biologie de l'Insecte (IRBI) ont lancé un projet d'étude de la canopée dans le bois de Grandmont, en Indre-et-Loire, dans le but de favoriser certains insectes et freiner l'avancée d'autres pour protéger l'écosystème forestier.
"Maintenant, l'enjeu c'est maintenir des espèces naturelles en bon état"
Cette résilience des écosystèmes nous mettent face à un constat brut. "Nos espaces changent, il faut en avoir conscience. Nous devons faire le deuil des paysages tels qu'on les connaît, engage Serge Gressette du CEN. Maintenant, l'enjeu c'est maintenir des espèces naturelles en bon état."
Niveau adaptation, soit la nature fait le travail elle-même, soit les humains lui donne des "coups de pouce". Depuis plusieurs années, l'Office National des Forêts a engagé des projets de "migration assistée". Dans plusieurs endroits du Centre-Val de Loire, l'ONF teste des essences exogènes pour déterminer celles qui seront le plus à même de résister aux changements climatiques. Adieu pins sylvestres, bonjour pins maritimes ! Reste à voir quelles essences d'arbres trouveront grâce aux yeux du futur climat de la région, et quelles faunes et flores s'y adapteront.