Une soixantaine de détenus ont participé pour la première fois à la journée "sentez-vous sport" à la maison d'arrêt de Blois. Au programme, cinq disciplines, pour sortir les prisonniers de leur quotidien.
"J'ai un cardio éclaté ! ", Stéphane a encore l'énergie de plaisanter, mais son souffle le rappelle rapidement à l'ordre. Après un round de boxe, il ressort du ring le front luisant. "Je ne suis pas un grand sportif" affirme-t-il "mais en cellule si on fait rien, le corps s'atrophie".
La cour de la maison d'arrêt de Blois a pris des airs de terrain olympique ce vendredi 21 octobre. Certains donnent quelques coups dans le coin boxe, d'autres font fonctionner les rameurs à plein régime, forment une équipe de basket, ou encore tentent de battre leur record sur 30m de course.
Retour en enfance
Au milieu de tout ça, deux petits trampolines inclinés, pour un sport au nom qui interpelle : le tchoukball. Lucien sort d'un match, les mains sur les hanches : "Alors en fait, il n'y a pas de camp, le principe c'est de jeter la balle sur le trampoline, si l'autre équipe l'attrape, c'est à eux. C'est quand la balle tombe au sol qu'il y a un point".
Beaucoup ne connaissent pas cette discipline, et c'est tout le but de l'Ufolep (Union française des œuvres laïques d'éducation physique), qui intervient sur cette journée. "Ils perdent leurs repères habituels" explique Kévin Marchadier, directeur technique départemental pour l'organisation. "Ca les met tous sur un pied d'égalité, ceux qui sont très sportifs, comme ceux qui ne le sont pas".
Ouvrir les horizons
Autre avantage, sortir du triptyque habituel : football, boxe et musculation. "Ils reviennent presque en enfance, avec un jeu au sens de l'amusement" remarque Kévin Marchadier, insistant sur les sourires qu'il aperçoit sur les visages des participants.
Avec sa devise "le sport autrement" l'Ufolep vient tout au long de l'année à la prison de Blois, avec trois cycles de douze séances sur différents sports. L'initiative de vendredi 21 octobre porte un nom : "Sentez-vous sport". Une démarche nationale du Comité Régional Olympique et Sportif, qui permet d'apporter le sport dans des milieux qui en sont éloignés.
Le sport vital pour les détenus
Ici plus qu'ailleurs, il tient une place centrale, si ce n'est vitale pour certains.
Repas, famille, sport, ce sont les trois piliers pendant une détention
Emmanuel Léonard, directeur de l'établissement
Dans les 9m² d'une cellule, souvent partagés avec un codétenu, tout devient outil de musculation. "Moi, je fais 500 pompes par jour" assure même Pascal, 61 ans. Crâne rasé, muscles saillants, le sexagénaire tient à garder ses 73 kilos pour 1m73. Ici, c'est "l'ancien", le "grand-frère" pour ceux qui ont vingt ou trente ans de moins que lui. En attente de son jugement, il est en détention provisoire depuis 3 ans.
Se muscler, s'entretenir deviennent les seuls moyens de se vider la tête, dans un quotidien rythmé par la télévision et 22h/24 à l'intérieur. En attente de jugement, ou condamnés à des peines inférieures à 2 ans, ils sont près de 180 à la maison d'arrêt de Blois en ce moment, (152 en janvier selon l'observatoire international des prisons) c'est bien au-dessus de sa capacité de 105 places. Alors rapidement, les tensions sont exacerbées : "ça fait du bien d'extérioriser sans se battre" assure Sébastien.
67 détenus inscrits
D'habitude, il y a bien la salle de musculation, mais elle est actuellement fermée pour travaux, indique la direction.
Pour cette journée, les 67 volontaires ont été répartis en quatre groupes. Deux le matin, deux l'après-midi, pour environ 1h30 d'activités. Pendant qu'ils s'affrontent dans un match de basket, les joueurs ont même un public : les autres détenus restés dans leurs cellules, qui crient à travers les grilles de leurs fenêtres.
La direction affirme déjà qu'elle reconduira l'expérience l'an prochain, et attend à cette occasion davantage de participants, notant les regrets de ceux qui n'ont pas voulu s'inscrire. "Si tous venaient à vouloir faire cette journée, on s'adapterait en conséquences" affirme Emmanuel Léonard.
La réinsertion est exigeante, il faut s'y préparer
Si l'activité décrasse le corps, elle libère aussi l'esprit. "Ça permet de prendre soin de soi, et d'évacuer les pensées négatives" poursuit Sébastien. Quand il sortira en mars, il pense s'inscrire dans un club de foot, sport qu'il pratiquait avant d'être incarcéré. C'est tout le challenge pour le service d'insertion et de probation du Loir-et-Cher. "Il faut que l'on voie au-delà des murs, qu'est ce qu'il se passe après ?" se questionne Olivier Trémine, directeur du SPIP 41, "parce qu'à un moment, ils vont sortir".
Dehors, la réinsertion est exigeante, et il faut s'y préparer : "Les employeurs sont de plus en plus attentifs à recruter des personnes qui savent s'intégrer dans une équipe," explique Olivier Trémine.
À travers l'activité physique, il faut à la fois respecter les règles, les intervenants extérieurs, et les autres détenus. "C'est aussi quelque part une manière pour eux d'intégrer la loi, après les dérives qu'ils ont pu commettre" remarque Dominique Berthelaud, cheffe de détention à la maison d'arrêt.
Ne pas être abandonnés
"Monsieur, c'est bien, mille points ? " Certaines questions des participants sont parfois révélatrices d'un besoin de considération. "Est-ce que tu penses pouvoir battre ce score ? " lui demande alors Julien Sucheodolski, du club d'aviron. "Le but, c'est pas forcément de faire mieux que les autres, mais mieux que toi ! " Face à lui, le jeune homme écoute presque religieusement les conseils, et termine par un "ouais c'est vrai". Pour initier à l'aviron, quatre rameurs ont été installés dans la cour, avec des mini jeux, comme celui du poisson, sur lequel il faut marquer le plus de points.
Pendant cette journée, l'aviron club Blésois, le club pugilistique de Blois (pour la boxe), l'Ufolep, la ligue du centre d'athlétisme et le club de basket de la Chaussée-Saint-Victor se sont déplacés. La présence de ces intervenants extérieurs paraît précieuse. Pour la direction, qui organise, mais aussi pour les détenus. "Ça fait du bien de voir qu'on ne nous laisse pas tomber, de voir des gens qui n'ont pas de préjugés" vient confier spontanément Sébastien, 37 ans.
Se confronter au monde carcéral
Julien Sucheodolski met un pied en prison pour la première fois. "J'avais des a priori" reconnaît-il "mais en fait ici, c'est très ... normal". Si les conditions de détention restent parfois compliquées, tous sont là pour purger une peine, ou attendre un procès : "Je ne veux pas savoir pourquoi ils sont détenus, je considère que ça ne me regarde pas" estime le moniteur d'aviron.