Crise de la betterave : malgré une dérogation sur le pesticide Movento, l'année s'annonce "difficile" pour les agriculteurs

Le gouvernement a annoncé ce 5 avril une dérogation pour utiliser davantage un insecticide sur les betteraves à sucre, jugée "indispensable" par les cultivateurs mais "insuffisante" face au risque élevé cette année de développement d'une maladie pouvant décimer les productions.

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Près de deux mois après le début du mouvement de colère des agriculteurs, le gouvernement continue à marcher sur des œufs. Après avoir suspendu le plan Écophyto, qui prévoyait la fin de l'utilisation de certains pesticides, le ministère de l'Agriculture, en la personne de la ministre déléguée Agnès Pannier-Runacher, a annoncé ce 5 avril une dérogation pour les betteraviers.

Hiver doux et pluies printanières

Ces derniers pourront effectuer jusqu'à cinq passages de Movento, un insecticide utilisé pour lutter contre les pucerons. Il s'agit, comme le rappelle Alexandre Pelé, président de la Confédération des planteurs de betteraves (CGB) joint par France 3, de la cinquième année où cette dérogation leur est accordée.

En effet, la douceur de l'hiver et les pluies fréquentes de ces derniers mois ont retardé les semis tout en favorisant le développement des pucerons verts, vecteurs de la jaunisse de la betterave. En 2020, une épidémie de cette maladie avait amputé le secteur betteravier de 60% de sa récolte. Le Centre-Val de Loire regroupe à lui seul 15 000 hectares sur les quelque 380 000 hectares français consacrés à la betterave.

L'usage du Movento (spirotétramate), commercialisé par le géant de l'industrie chimique Bayer, pourra se faire en plus de l'épandage d'un autre insecticide, le Teppeki (flonicamide). 

Pour l'heure, une première dérogation de 120 jours permettra d'effectuer un troisième traitement de Movento. Et si la pression des pucerons est trop forte, d'autres dérogations seront prises pour permettre les deux autres passages de l'insecticide, selon le cabinet de la ministre.

"Tueurs d'abeilles"

L'association Générations futures a regretté "que le gouvernement cède systématiquement aux demandes du monde agricole en matière de pesticides au mépris du principe de précaution". De fait, entre les conséquences du réchauffement climatique, la disparition des zones humides et les usages de pesticides, les populations d'insectes se sont effondrées.

"On a déjà des pucerons sur des betteraves à peine levées", se défend Alexandre Pelé, qui s'attend déjà à "une campagne difficile" cette année. "Plus la betterave est jeune, plus le risque est important." Or, le retard pris dans les semis cette année, conjugué à l'arrivée précoce des pucerons, fait peser un risque sur la récolte. Alors que l'essentiel des betteraves est planté à la mi-mars, aujourd'hui seuls 25% des semis ont été réalisés.

Le président du syndicat betteravier regrette également que la dérogation ne concerne pas certains produits autorisés en Europe, mais toujours interdits en France. En utilisant toujours le même produit, les pucerons risqueraient, selon lui, de lui devenir résistants. 

Le Movento "est un produit cher et sa multi-utilisation pèsera sur les coûts de production des exploitations de façon certaine, avec une efficacité incertaine en cas de forte pression", a renchéri la CGB dans un communiqué publié le 5 avril.

Depuis des mois, la CGB réclame une dérogation pour l'acétamipride, un insecticide interdit en France depuis une loi de 2016, membre de la famille des néonicotinoïdes qualifiés de "tueur d'abeilles" par les défenseurs de l'environnement. Estimant cette option irréaliste pour 2024, la ministre a indiqué à nos confrères de l'AFP que le gouvernement préparait "2025 en regardant ce qui va sortir des analyses européennes".

Actuellement autorisé jusqu'en 2035 par l'UE, l'acétamipride fait l'objet d'une réévaluation par l'Efsa, l'agence sanitaire européenne. Le ministère de l'Agriculture a souligné à de multiples reprises qu'il n'envisageait pas de "revenir en arrière" sur les néonicotinoïdes, et travaillait sur des traitements alternatifs dans le cadre d'un plan de recherche national.

Concurrence étrangère

"Le prix du marché impose aux agriculteurs de produire un très gros volume pour pouvoir vivre", regrette pour sa part Laurent Beaubois, porte-parole de la Confédération paysanne en Centre-Val de Loire. Mis en concurrence avec les producteurs étrangers, les agriculteurs français n'ont donc pas forcément d'autres alternatives que les produits phytosanitaires.

Si la tonne de sucre était payée plus cher, un producteur pourrait se permettre d'avoir un rendement moindre.

Laurent Beaubois, porte-parole de la Confédération paysanne en Centre-Val de Loire

"Ce qu'il nous faut, c'est une protection sociale et environnementale harmonisée. Au niveau de l'Union européenne, ce serait déjà un début !"

"Il faut sortir des pesticides, mais c'est aussi irresponsable de supprimer les pesticides dans le système économique dans lequel on est", a souligné pour sa part François Théry, de la Confédération paysanne, lors d'un échange avec la ministre à Lorgies.

Après l'année désastreuse de 2020, les betteraviers avaient bénéficié de dérogations en France pour l'utilisation de semences enrobées de néonicotinoïdes. Ils ont vécu comme un "coup de massue" leur interdiction totale fin 2022 après une décision de la Cour de justice de l'UE.

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