A Baule, les enfants veulent devenir musiciens. Dans leur village, depuis 1883, une harmonie rassemble toutes les générations. En janvier, leur grand spectacle met en effervescence tout le voisinage.
"L'harmonie, on dit toujours que c'est la plus vieille association de Baule, de mémoire ça doit être 1883, la création. Heureusement, ça s'est renouvelé, depuis, on n'est pas tous aussi âgés" rit Caroline Quatrehomme.Il est tôt ce matin, encore, mais ils sont une grosse dizaine à s'affairer, déjà. Nous sommes à la veille du spectacle annuel de l'harmonie, 700 personnes en moyenne chaque année. Pas mal, pour la représentation de fin d'année d'une association musicale dans un bourg du Loiret de 2000 habitants. Mais pour qui connaît, l'harmonie c'est une mystique, qu'on nous déroulera sous les effluves du boeuf bourguignon maison.
En fond sonore en cette aube de janvier, un conte récité par Edouard Baer entrecoupé de morceaux de jazz. Des camionnettes ont jailli les cymbales, grosses caisses, xylophones et carillons. "Là, il y a des retraités, c'est facile, détaille Caroline Quatrehomme, chargée de communication et flûtiste. Chacun a son rôle mais tout le monde est important : le musicien qui aura pas pu venir, mais qui sera là juste assurer sa partie ; ceux qui auront été là non stop du jeudi matin au dimanche soir ; ceux qui travailleront plus la semaine prochaine pour être là aujourd'hui ; les parents qui nous rejoignent une fois le travail terminé..."
Baule, une Histoire en musique
A Baule, on sait que l'harmonie a accompagné toute l'histoire de la commune. "On a retrouvé des vieux programmes, on sait que ça se déroulait déjà pendant l'entre deux guerres. C'était un peu la période creuse de l'année, parce que c'était un village de viticulteurs et paysans, donc pendant l'hiver, c'était la période où ils se consacraient le plus à leurs loisirs. Ils venaient répéter à l'harmonie et ils montaient des spectacles d'hiver" raconte Julien Bernard, le chef d'orchestre.
Il y eût aussi cette époque des "deux harmonies", républicains contre royalistes. Deux marseillaises pour les cérémonies, deux salles de répétition, et à l'occasion quelques coups de piquets de vigne, ça vivifie. Pour ces deux jours, Baule retrouve l'effervescence des fêtes de village d'antan, où chacun suspend ses autres préoccupations. Les "gars" viennent faire le gros oeuvre, les "filles" font des gâteaux. "On est un peu caricaturaux pour ces deux jours-là, c'est vrai", s'amusent Caroline et Julien.
Le spectacle, lui, a pris soin d'évoluer avec son temps. Cette année, au milieu des classiques comme Désenchantée ou Comme ils disent, des sketch inspirés de Bloqués, l'émission des deux rappeurs Gringe et Orelsan, sur Canal +. Une volonté de contenter les différentes générations qui composent l'harmonie, de 12 à 76 ans. "La force de l'association, c'est quand même la cohésion qu'il y a entre les générations, c'est vraiment quelque chose", s'émeut Nadège Degrigny, présidente et joueuse d'euphonium. Elle-même a appris la musique à Baule, avant de partir, à 20. Elle revient des années plus tard. Première chose faite : réintégrer l'harmonie.
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Elle est loin d'être la seule. Parce qu'on peut partir de Baule 30 ans, et retrouver l'harmonie telle qu'on l'a quittée, avec les piliers de toujours et les jeunes fraîchement débarqués des écoles de musique.
Et si le spectacle de janvier est le point culminant de l'année, on ne passe pas le reste du temps à polir les cuivres. "Dans les grands événements de l'année, on commence en Novembre, avec la Sainte-Cécile. C'est la fête des musiciens, donc dans les harmonies amateures c'est encore assez au goût du jour. Parce que c'est une occasion de faire la fête, et nous on aime bien", rit Caroline.
Il y aura ensuite encore le CarnaBaule, en mars et le festival Baule d'Air, 5000 participants chaque année. "L'harmonie a été cofondatrice du festival, avec Belle Image, une compagnie professionnelle en résidence ici."
Rêves d'enfants
En France, le ministère de la Culture dépense 139 euros par habitant et par an en Ile-de-France. 15 euros partout ailleurs. Mais ici, dire qu'on ressent le grand écart serait mentir. "On le voit dans le nombre de festivals qui peuvent mettre la clé sous la porte, parce qu'ils ne peuvent pas continuer à programmer des artistes. Ici, à Baule, on a un peu l'impression d'être dans une bulle, mais on en a conscience", plaide gravement Julien.
Fait rare, le festival fonctionne majoritairement sur ses fonds propres, et un peu d'argent public. Niveau deniers de l'Etat, "l'harmonie, c'est zéro". Mais la mairie entretient tout de même la coûteuse école de musique, a détaché le poste de Julien, seul non-bénévole de l'harmonie, et met à disposition la salle de répétition. "C'est sûr que, si d'un coup la mairie décide de créer une équipe de pro A basket, ce sera plus compliqué pour nous !", reconnaît Caroline de bonne grâce.
Le choix de la musique, à Baule, est un choix de vie. Autour du boeuf bourguignon, ceux qui sont venus préparer la salle pour le festival devisent musique et pain frais, attablés dans l'aura des cuivres et des percussions, qui bientôt feront retentir leurs notes. "Nous, les enfants, ici, ils rêvent pas d'être pompiers, ils rêvent d'être musiciens à la Belle Image", commente Caroline. On les comprend.