"Avant la détention je ne votais pas" : quand la conscience politique nait derrière les barreaux

Les détenus du centre pénitentiaire d'Orléans-Saran ont voté pour les élections européennes, en avance. Une urne s'est déplacée dans les différents bâtiments de l'établissement, jeudi 6 juin, pour permettre à 120 personnes d'exprimer leurs voix. Un scrutin pas tout à fait comme les autres.

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"C'est pas parce qu'on est en détention qu'on fait pas notre devoir de citoyen." Jean* fait partie des 120 détenus du centre pénitentiaire d'Orléans-Saran qui ont décidé de voter pour les élections européennes. "On est privés de liberté, mais pas privés de tout", poursuit Steven, lui aussi convaincu par la nécessité de glisser un bulletin dans l'urne. 

On parle beaucoup de l'abstention. Avant, j'en faisais partie. Mais si on veut que ça bouge il faut que chacun fasse ses choix. Je ne sais si ma petite voix, à moi, elle porte quelque part, mais si tout le monde le fait, je pense que c'est important.

Samuel, détenu à la maison d'arrêt d'Orléans-Saran

Sils étaient trente de plus inscrits sur les listes électorales par rapport aux derniers scrutins, certains ont finalement refusé de sortir de leur cellule ou de rentrer de promenade. 

Prendre le temps de s'informer

"On passe 22 heures par jour en prison. On prend le temps, on en discute entre nous", explique Soufiane. Dans un quotidien rythmé par les ouvertures et fermetures de portes, la télévision est souvent le principal canal d'information pour les détenus : "On n'a pas une vue sur le monde, à part via les journaux télévisés", résume Samuel.

 

Steven a profité du temps passé en cellule pour suivre "les différents programmes. On a aussi des contacts avec l'extérieur quand on a accès au téléphone, donc on peut prendre des informations par ce biais-là". Programmes en main, il se dirige vers l'isoloir installé dans une salle d'audience, notamment prévue pour les procès en visioconférence. Seul, il peut ainsi faire son choix, et glisser la liste qu'il souhaite dans l'enveloppe. La porte reste cependant ouverte. Les surveillants, eux, tournent le dos.

 

Samuel est un habitué de la prison, c'est sa 28e peine : "C'est depuis ma dernière incarcération que j'ai commencé à écouter, m'intéresser, me poser des questions. Oui c'est important, j'aurais même dû le faire avant". 

C'est en votant qu'on peut faire changer les choses, pas en cassant tout et en tuant des gens.

Samuel, détenu en maison d'arrêt à Orléans-Saran

Vote par correspondance 

Depuis une loi de 2019, les détenus peuvent voter par correspondance. Jusque-là, la règle était la procuration, ou la permission de sortie. La démarche est désormais simplifiée pour encourager la participation aux scrutins. 

Ceux qui le souhaitent sont inscrits sur les listes électorales, "chaque détenu reçoit ensuite la propagande électorale dans sa cellule", détaille François Marie, directeur du centre pénitentiaire d'Orléans-Saran. 

Les détenus ont ainsi voté avec quelques jours d'avance, jeudi 6 juin (alors que les Français votent dimanche 9). Ce qui permet à l'administration pénitentiaire de s'assurer que chacun ait pu s'exprimer. 

Les bulletins sont ensuite comptés pour être certain que le nombre corresponde aux signatures des détenus, comme dans un bureau de vote classique. L'ensemble est placé dans une grande enveloppe scellée, déposée dimanche 9 juin au petit matin à la mairie d'Orléans. Le tout sera intégré dans l'un des bureaux de vote de la ville, auquel sont inscrits les détenus concernés. 

Une urne itinérante

Voter en prison, c'est presque comme dehors, à quelques détails près. Ici, le bureau est itinérant, les assesseurs aussi. Les électeurs, quant à eux, sont amenés un par un jusqu'à l'urne. 

Le centre pénitentiaire d'Orléans-Saran abrite trois maisons d'arrêt, deux pour hommes, une pour femmes, ainsi qu'un centre de détention pour hommes. Les premiers bâtiments accueillent des courtes peines, et personnes en attente de jugement, le dernier, des peines jusqu'à 10 ans de détention. 

Bonjour monsieur, votre carte de détenu s'il vous plait. Je vous laisse prendre au moins deux programmes, une enveloppe, et vous diriger vers l'isoloir qui se trouve dans la salle d'à côté.

Alban Lagauche, directeur des services pénitentiaire d'insertion et de probation stagiaire

Chacun doit rester dans son unité. C'est donc l'urne qui se déplace tout au long de la journée. Dans un chariot à roulettes, les bulletins se déplacent, les programmes de chaque parti aussi. Et avec eux, les membres des services pénitentiaires d'insertion et de probation. Les professionnels font ainsi office d'assesseurs, et s'assurent que tout le monde puisse voter dans les règles. 

Ici c'est vrai que c'est un peu facile, ça nous fait sortir de notre cellule, puis on vient nous chercher.

Samuel, détenu en maison d'arrêt à Orléans-Saran

Dans les cellules, les détenus attendent qu'un surveillant vienne leur ouvrir, étage par étage."J'en ai fait des conneries, mais ce qu'il se passe dehors, c'est un truc de fou. Ce qui s'est passé avec les surveillants (l'attaque mortelle d’un fourgon dans l’Eure qui a tué deux surveillants pénitentiaires NDLR), moi en étant détenu, ça m'a fait de la peine". Des actualités qui ont poussé Samuel à voter cette fois-ci "pour que ça change".

  

Expliquer pour encourager le vote 

Comme dehors, l’élection européenne ne passionne pourtant pas. Les inscrits sont deux fois moins nombreux que pour l'élection présidentielle. "Il paraît que ce sont les élections les plus importantes de ces dix dernières années", estime quant à lui Soufiane*.

Les détenus sont des citoyens qui ont besoin de se sentir reconnectés à la société. En votant, ils agissent en tant que citoyen.

Marie Cugny-Seguin, présidente du mouvement européen dans le Loiret

Pour tenter de fédérer un maximum, la direction du SPIP, chargé notamment de préparer les détenus à leur sortie de prison, a organisé un temps de sensibilisation à l'Europe. Marie Cugny-Seguin est présidente du mouvement européen dans le Loiret, elle s'est rendue au centre pénitentiaire quelques semaines avant le scrutin : "j'ai été très étonnée de la connaissance qu'ils avaient des enjeux européens".  

À ses yeux, l'Europe peut rassembler, et pour cause, "l'une des détenues qui a participé à un atelier est Roumaine. Parce qu'on lui parlait d'Europe, elle se sentait intégrée. Elle était très fière de retrouver son identité". 

Pour cette élection, tous les citoyens européens pouvaient voter en détention. Sauf ceux qui ont été condamnés à une peine spécifique, leur retirant leurs droits civils et civiques. 

Les prénoms des détenus ont été modifiés*

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