Alors que les discussions autour de la loi Rist s’ouvrent ce mardi 14 février, au Sénat, les médecins libéraux ont appelé à la grève pour s’y opposer et réclamer une augmentation des tarifs de consultations.
1,50 euros. Les médecins généralistes libéraux ont manqué de s’étouffer à la découverte de l'augmentation du tarif de consultation que leur a proposé la Caisse primaire d’assurance maladie (CPAM). Après deux mois de discussions, la Sécu a proposé aux syndicats de faire passer le tarif de base de la consultation médicale de 25 à 26,50 euros.
“C’est ridicule, voire méprisant.” Gabrielle Gallet-Voisin, médecin généraliste dans le Loir-et-Cher, n’a pas encore digéré la nouvelle. “Cette première augmentation en sept ans est même en dessous de l’inflation”, note celle qui est devenue porte-parole pour la région Centre du collectif Médecins pour demain qui se veut “asyndical et apolitique” et qui s’est créé sur un groupe Facebook. Ce groupe qui compte 17 000 membres a réitéré des appels à la grève ces derniers mois - suivis par l’ensemble des syndicats de médecine.
Mission : impossible
Pour Gabrielle Gallet-Voisin, faire tourner un cabinet médical avec une consultation à 25 ou 26,50 euros relève presque d’une “mission impossible”. Le président de l'Union régionale des professionnels de santé en Centre-Val de Loire (URPS), Pierre Bidaut, partage cette vision. “Nous n’avons pas de marge suffisante pour embaucher”, explique celui qui voudrait plus de personnels pour s'occuper des tâches administratives.
Ce qui permettrait de se dégager du temps médical pour voir plus de patients, ou prendre plus de temps par consultation, arguent les médecins.
En France, il y a 6 millions de personnes sans médecin traitant. Ce n’est pas acceptable.
Pierre Bidaut, président URPS Centre-Val de Loire
Actuellement, le tarif de consultation est à 25 euros, mais Gabrielle Gallet-Voisin précise qu’une partie de la rémunération supplémentaire dépend de “forfaits” donnés par la CPAM en contrepartie d’objectifs (c’est ce qu’on appelle la Rosp - rémunération sur objectifs de santé publique). En ciblant la Caisse d’assurance maladie, elle dénonce un “assureur qui dicte une façon de faire de la médecine pour répondre à des objectifs de rentabilité”. La médecin généraliste estime que ses comptes sont à rendre à ses patients. “On nous fait privilégier la quantité sur la qualité", dénonce-t-elle.
La menace du déconventionnement
Pour s’émanciper quelque peu de la CPAM et de sa “pression”, Médecins pour demain demande une augmentation spectaculaire à 50 euros, soit le double du tarif d’une consultation aujourd'hui. Un tarif légèrement au-dessus de la moyenne européenne (46 euros) selon le collectif, même si les différences de remboursements entre pays rendent difficile toute comparaison.
Certains s’inquiètent d’une différenciation de l’accès aux soins avec une consultation à 50 euros : les plus démunis risquent de ne pas pouvoir payer le reste à charge, qui pourrait être plus important. Ce tarif est ainsi jugé “peu raisonnable” par France Assos Santé, une organisation de patients, mais Dominique Beauchamp, sa présidente, dit comprendre les difficultés des médecins. “Il faudrait que la rémunération soit plus liée aux actes réalisés. Si certaines consultations valent plus que 25 euros, d’autres le valent sûrement moins.” Pierre Bidaut de l’URPS se dit, lui, en faveur d’une graduation de la rémunération en fonction de la complexité du patient.
Pour dénoncer cet échec des négociations conventionnelles, certains médecins n’ont pas hésité à brandir la menace du déconventionnement : c'est-à-dire fixer ses propres tarifs et ne plus pratiquer les tarifs conventionnés et donc remboursés par la Sécurité sociale. Début février à Chartres, des généralistes d’Eure-et-Loir ont manifesté derrière un cercueil noir symbolisant “la mort de la médecine générale” tandis qu’une cinquantaine d’entre eux ont déposé leur lettre de déconventionnement disant qu’ils l’enverront “si rien ne bouge” d’ici un mois, rapporte L’Echo Républicain.
La méthode causée
Si tous les médecins semblent d’accord sur le constat, le choix des méthodes de contestation -la grève en premier lieu- divise. Patrick Petit, président de l’ordre régional des médecins en Centre-Val de Loire n’approuve pas ce qu’il considère être un “chantage au déconventionnement” qui “prend en otage les patients” : “Dans un désert médical en plus, je trouve cela déontologiquement choquant.”
Et les tensions vont grandissantes. Si les médecins libéraux font grève ce 14 février, la date n’est pas choisie au hasard. C’est le jour où la loi Bergé-Rist (notamment du nom de Stéphanie Rist, députée Renaissance du Loiret) arrive en examen au Sénat. Cette proposition de loi propose de donner un accès direct aux kinésithérapeutes et orthophonistes sans prescription médicale et que les infirmiers en pratique avancée (IPA) puissent réaliser des primo-prescriptions. L’idée est ainsi de faciliter l’accès aux soins en réduisant le nombre de passages obligatoires chez le médecin.
S’il dit ne pas vouloir remettre en question les capacités des IPA, Pierre Bidaut est opposé à cette proposition. “Pour mieux prendre en charge les patients, bien sûr qu’il faut un exercice pluriprofessionnel, mais il s’agit d’actes pour lesquels il faut une expertise médicale.” Pour le président du syndicat médical, cette expertise doit passer par les années d’études de médecine et ne peut s’acquérir en deux ans (temps de formation pour la qualification d’IPA).
Le temps qui court
“On a besoin de déléguer du temps administratif, pas du temps médical", assure Gabrielle Gallet-Voisin :
Considérer que renouveler une ordonnance n’est qu’une signature et un tampon, c’est méconnaître le travail d’un généraliste. Nous avons besoin d’une expertise médicale pour réévaluer le protocole. Si c’est mal fait, on risque des retards de diagnostic.
Gabrielle Gallet-Voisin, généraliste en Loir-et-Cher, porte-parole de "Médecins pour demain"
Le président de l’Ordre régional des médecins, Patrick Petit, lui-même radiologue, estime de son côté qu’il n’y a pas de réticence de principe à avoir. “Ce sont des professionnels de qualité auxquels nous devons faire confiance, estime-t-il. En revanche, il ne faut pas que ce soit l’anarchie, il faut que ce soit coordonné.”
Si les syndicats de médecins affichent toujours leur opposition à cette proposition de loi, la Direction générale de l’offre de soin vient de sélectionner la région Centre-Val de Loire pour faire l’objet d’une expérimentation de primo-prescriptions par les IPA.