Depuis six jours, le service de l'hôpital d'Orléans n'accueille plus que les urgences vitales, comme lors de la crise du printemps. Un protocole censé être exceptionnel, mais devenu la norme cet été.
On ne peut pas dire que la crise est de retour au centre hospitalier régional d'Orléans (CHRO), car elle n'était jamais vraiment partie. Depuis six jours, le service des urgences est en "protocole fermeture". Autrement dit : ne sont acceptées à l'accueil que les urgences vitales pour cause de saturation totale des couloirs. Les autres malades sont invités à se référer au Samu, et à privilégier la médecine de ville.
Ce protocole date du printemps, lorsque les urgences avaient déjà dû fermer de manière similaire. À l'époque, la majorité des soignants et aides-soignants étaient partis en arrêt maladie, pour cause d'épuisement chronique et de souffrance professionnelle. En cause : un sous-effectif dans les allées des étages de l'hôpital et des fermetures de lits, qui empêchaient les patients pris en charge par les urgences d'être hospitalisés. Résultat, les malades restaient sur des brancards aux urgences, et les soignants avaient l'impression de bâcler leur tâche, à ne plus savoir où donner de la tête.
308 lits fermés
Depuis quelques mois, on aurait pu penser que la situation s'était arrangée, mais visiblement, pas tant que ça. Sur un été normal, "on est sur 100 à 150 lits fermés", estime Grégory Quinet, du syndicat Sud Santé. Hors, cet été, il y a un record de "308 lits de fermés dans l'hôpital", fustige la docteure Nesrine Nabli, médecin urgentiste et cheffe du service depuis le 1er juillet. Juste avant de prendre sa garde ce mardi 16 août au soir, elle explique que "les malades affluent aux urgences mais y restent, et s'y dégradent".
Ce mardi, les membres syndiqués Sud du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) du CHRO ont envoyé un mail, à destination de la direction. Ils y alertent sur une "aggravation de la situation aux urgences", et font un recensement des patients qui stagnent dans les couloirs des urgences : "3 présents depuis 4 jours, 5 présents depuis 3 jours, 7 présents depuis 2 jours et 18 présents depuis plus de 24h", assure Sud.
Aux urgences d'Orléans, il y a trois secteurs de 12 places chacun, plus les urgences vitales. Dès qu'il y a 36 patients, les nouveaux arrivants se retrouvent dans le couloir. Une situation qui, cet été, arrive quotidiennement. Dans ces conditions, "on ne peut pas gérer les nouvelles personnes, raconte le docteur Christophe Devin, chef adjoint du service. Je suis aux urgences pour faire de la médecine d'urgence, et je passe mon temps à voir des gens qui sont là depuis deux jours, c'est 40% de mon temps. Et il y a encore 40% que je passe au téléphone pour trouver des places dans l'hôpital, à faire du secrétariat." Si on ajoute le fait de "devoir gérer la famille, les annonces de maladies graves, parfois la fin de vie d'un patient qu'on ne connait pas, et le standard"...
"Abandonnés par l'État"
Les deux médecins ne s'en cachent pas : ils sont au bord de l'épuisement. "La semaine dernière, j'ai passé une très mauvaise nuit, et je n'arrive pas à récupérer depuis, parce que c'est du rush constant au travail et qu'on ne peut pas se reposer", regrette le docteur Devin. Cette fatigue, les infirmières la connaissent aussi. Mais, après leurs arrêts de travail au printemps dernier, "elles ne peuvent plus se permettre de s'arrêter, à cause des retenues de salaires (des primes horaires, ndlr) alors que la vie est de plus en plus chère", explique Nesrine Nabli.
Face aux difficultés chroniques des urgences, la direction a signé en avril un protocole avec les médecins du conseil d'administration. "Pas une baguette magique", mais "un amoncèlement de petites solutions", défendait alors le directeur Olivier Boyer auprès de France 3. Près de quatre mois plus tard, les effets du protocole sont toujours attendus par les urgentistes. "Il faut ouvrir des lits, trouver du personnel, c'est à la direction, aux ARS, aux ministères, à l'État d'assurer une prise en charge correcte des patients", charge la cheffe du service.
Les deux urgentistes décrivent un cercle vicieux , qui a conduit aux fermetures de lits :
On ferme des lits par manque de personnels dans les étages. Donc tout le monde arrive et reste aux urgences, donc les étages prennent des patients multi-pathologiques pour soulager les urgences, donc ils perdent leurs spécialités, donc les médecins sont frustrés et s'en vont, les infirmières aussi, donc on ferme des lits.
Dr Christophe Devin, chef de service adjoint aux urgences du CHRO
Horizons perdus
Dans un tel contexte, le médecin explique que "les urgences restent une variable d'ajustement, c'est à nous qu'on demande de tirer sur la corde et de prendre du monde encore et encore". Les docteurs Nabli et Devin voient toute résolution de la crise s'éloigner de plus en plus. Pour eux, même avec l'arrivée de nouvelles infirmières dans les hôpitaux, "il n'y a rien à attendre de la rentrée".
Moins catégorique, le directeur général adjoint Jean-Robert Chevallier espère "une amélioration de la situation au fil des recrutements". Il attend ainsi de nouvelles arrivées de médecins et d'infirmières cet automne. En attendant, face à la situation des plus critiques des urgences, il estime qu'une première phase de décompression arrivera "avec la fin des premiers congés la semaine prochaine".
Le directeur adjoint concède malgré tout que les "difficultés de recrutement" auquel fait face l'établissement bouchent l'horizon d'une sortie de crise prochaine. "Aujourd'hui, c'est quasiment impossible de trouver des remplaçants." Le CHRO a notamment "mis en œuvre l'ensemble des dispositions du rapport Borne", à savoir la mission flash du début d'été qui recommandait notamment le retour de médecins retraités. Des solutions qui ont aidé l'hôpital orléanais, mais n'ont "pas révolutionné" l'organisation des services.
Mise à jour du 17 août à 15h52 : ajout des précisions de Jean-Robert Chevallier.