Le dernier rapport du GIEC prédit un avenir sombre, et très chaud. Avec le réchauffement climatique et la multiplication des canicules, les habitations fraîches deviennent précieuses, même dans les régions autrefois tempérées.
Avec le réchauffement climatique, les canicules fréquentes deviennent la norme pendant les étés français, comme la vague de chaleur qui a frappé entre juin et août 2022. Après un hiver à son tour exceptionnellement chaud, certains redoutent que l'été 2023 soit encore plus éprouvant. Durant ces périodes, nombre de Français fuient leurs habitations pour des endroits frais, ombragés, ou climatisés.
Mais depuis le 1er janvier 2022, les habitations tendent vers une meilleure adaptation. Les normes d'isolation thermique des bâtiments ont changé : les entreprises de rénovation doivent désormais autant prendre en compte le confort d'hiver que le confort d'été. Autrement dit, l'objectif est d'avoir un logement frais l'été, et non plus seulement chaud l'hiver. "Depuis les années 90, on a mal isolé, on est probablement l'un des pays les plus en retard sur les sujet, dans des climats équivalents", juge Jacques Boulnois.
Climat français en mutation
Président de la Maison d'architecture du Centre-Val de Loire (MA), basée à Orléans, il y a proposé comme thème de recherche : "Paysage, architecture et supra-chaleur". Un terme dont l'architecte revendique la paternité, et qui décrit une réalité de plus en plus prégnante avec le réchauffement climatique :
Pendant les épisodes caniculaires, la chaleur est continue, jour et nuit. Ce sont des conditions qu’on ne connait pas. Même au Moyen-Orient, les nuits sont froides. Et même en Provence, les nuits étaient froides.
Jacques Boulnois, président MA Centre-Val de Loire
Car la technique habituelle pour se protéger de la chaleur est bien simple : tout fermer le jour et tout ouvrir la nuit. Le problème, c'est quand la nuit aussi est chaude, portant préjudice aux habitations dont l'isolation thermique ne permet que partiellement de se protéger du chaud.
10 degrés de différence
De façon générale, les entreprises d'isolation défendent leur savoir-faire, même avant les nouvelles normes de 2022. Entre extérieur et intérieur d'une maison isolée, "on peut avoir 10 degrés de différence pendant une vague de chaleur", explique Jérôme Boury Govi. Responsable technique et développement chez EBS Isolation -une boîte dont l'activité est dans le nom- l'explique bien :
Tout est une question d'échanges thermiques entre l'air et le mur. Quand les déperditions sont limitées, il y a un gain de non-perte de chaleur l’hiver vers l’extérieur, et de non-rentrée de l’extérieur vers l’intérieur l’été.
Jérôme Boury Govi, EBS Isolation
Reste que toutes les isolations ne se valent pas, notamment à cause du principe d'inertie des matériaux composant les murs de votre maison. Plus un matériau a d'inertie, plus il sera capable de stocker en son sein de la chaleur, ou d'en capter quand il est frais.
"Pour l'expliquer à mes étudiants, je prends l'exemple de la tente, qui n'a aucune inertie. La température monte dedans quand elle monte dehors, même à l'ombre. Alors que dans votre cave, même s'il fait chaud dehors, la température varie beaucoup plus doucement parce que les parois continuent d'emmagasiner de la chaleur." Voilà comment Suzel Balez, maîtresse de conférence à l'école nationale supérieure d'architecture de Paris La Villette résume le principe. Ce n'est pas de l'isolation, puisque cette dernière limite les transferts thermiques. L'inertie, c'est le maintien de l'intérieur à une température moyenne pendant que le thermomètre fait le yoyo à l'extérieur.
Équilibre précaire
S'engage alors une sorte de bataille au sein même des principes architecturaux : pour ou contre l'inertie thermique en période de canicule ? Pour Suzel Balez, le débat est tranché. "Il faut augmenter le plus possible l'inertie", plaide-t-elle, prenant l'exemple des maisons de la campagne espagnole, dans lesquelles "on a un peu froid même en mai, alors qu'il fait très chaud dehors".
Sa thèse est simple : il faut trouver un équilibre entre les habitudes quotidiennes et le long-terme. Par soucis d'économie d'énergie, l'inertie doit être maximisée pour emmagasiner de la chaleur tout au long de l'été et garder sa maison au chaud l'hiver, même en aérant. Le risque étant que les murs stockent de la chaleur lors d'un épisode caniculaire en juin, et passent le reste de l'été à la rendre et donc à chauffer naturellement l'habitation de l'intérieur, même si elle est bien isolée de la chaleur extérieure. Surtout quand les nuits restent chaude et qu'on ne peut pas rafraîchir la nuit.
Pour elle, "c'est seulement à ce moment là qu'on allume sa clim." Car son but ultime n'est pas de garder une maison fraîche sans rien faire, mais de consommer le moins possible d'énergie sur une année. Ce qui passe, forcément, par la nécessité de moins chauffer l'hiver. Sur la balance énergétique annuelle, quelques soirées de clim valent mieux qu'une saison entière de chauffage à fond.
S'inspirer des architecture méridionales
Mais si l'isolation ne peut pas être une solution miracle à elle-seule, des changements de pratiques architecturales peuvent faire avancer le schmilblick dans le bon sens. Suzel Bazel estime ainsi qu'il faut s'inspirer des architectures de pays qui connaissent la chaleur écrasante, comme "les formes de fenêtres du Maroc". À la Maison de l'architecture d'Orléans, Jacques Boulnois milite pour "une approche combinatoire" :
Beaucoup d'architectes et d'urbanistes disent avoir la meilleure des solutions. Mais l'urgence est trop grande, il faut prendre toutes les bonnes idées et les mettre en place en même temps, plutôt que de débattre de laquelle est la plus efficace.
Jacques Boulnois, président MA Centre-Val de Loire
Pour des habitations plus fraîches, il cite ainsi la création de "patios protégés du soleil avec un tirage thermique". Trivialement : l'air chaud remonte et s'évacue tout seul hors du patio. Il plaide aussi pour des "doubles-façades, avec une première qui emmagasine la chaleur et une deuxième plus fraîche 10 centimètres derrière". L'architecte défend ardemment le triple-vitrage, "plus efficace que le double".
Mais le plus important, c'est de "se protéger du soleil", avec des volets, des brise-soleil et autres. "Avoir des immenses baies vitrées sans protection solaire à notre époque, ce n'est plus possible", confirme Suzel Bazel. Car, "dès qu'un rayon passe par une fenêtre, par effet de serre il se transforme en chaleur". Peu importe que le vitrage soit double ou triple.
Mon royaume pour de l'ombre
Et quoi de mieux, pour se protéger du soleil, que faire de l'ombre avec "n'importe quoi", lance Jacques Boulnois. Pour lui, plus que l'architecture individuelle, c'est l'urbanisme même qu'il faut revoir, "avec des villes paysagées, des arbres qui font de l'ombre, des rues plus serrées qui font de l'ombre". Il estime ainsi que "Orléans n'est pas du tout adapté à la canicule". Ce n'est pas qu'une réflexion sur l'îlot de fraîcheur rendant plus vivable l'espace public matraqué par la chaleur, mais de protéger les habitations via l'urbanisme.
Mais, selon lui, "on n'ose plus toucher à la ville aujourd'hui", alors que, jusque dans les années 70, "elle était en pleine mutation, pour le tout-voiture notamment". Ces questionnements ambitieux risquent, donc, de traîner dans le temps, à l'image des normes d'isolation thermique jusqu'à cette année. Malgré la multiplication des épisodes caniculaires dans le futur, la prise en compte des nouveaux enjeux de chaleur dans la construction reste un domaine assez confidentiel. "Dès qu’il va recommencer à faire froid, on va oublier la chaleur et on va se plaindre du prix du carburant", prédit Suzel Bazel.
Jérôme Boury Govi d'EBS Isolation confirme : selon lui, la priorité de 98% de ses clients, c'est de s'isoler du froid.
Article publié initialement le 22 août 2022, remis à jour ce 21 mars 2023