Entre perte des vocations et manque d'attractivité, le manque de maîtres-nageurs en France s'accroit un peu plus chaque année. Ce qui met en péril l'enseignement de la natation.
Le constat est implacable : il manque 5 à 6 000 maîtres-nageurs en France. La FFMNS, la Fédération des maîtres-nageurs sauveteurs tire la sonnette d'alarme, après l'avoir déjà tirée l'année dernière, et l'année d'avant. En 2023, la fédération comptait un trou dans la raquette de 5 000 maîtres-nageurs sauveteurs (MNS). La situation serait donc encore en train de s'aggraver.
À première vue, le manque ne se fait pas forcément ressentir partout cet été dans les piscines françaises. Dans le Cher, tous les postes de surveillants de baignade sont remplis. À la piscine de Saint-Amand-Montrond, on s'y est pris en avance.
"Je n'ai pas de mal à faire venir des jeunes", assure la directrice du centre aquatique, Véronique Frizot. Pas de difficulté donc à remplir les 13 postes de surveillants de baignade du site. Deux alternants sont d'ailleurs formés chaque année, histoire d'assurer le renouvellement des postes.
Trop ou pas assez de maîtres-nageurs selon la saison
Car, face au manque de surveillants de baignade l'été, un décret a élargi les compétences des détenteurs du BNSSA, le brevet national de sécurité et de surveillance aquatique. Un diplôme obtenu après une évaluation des capacités de nage du candidat, et de ses connaissances en secourisme. Depuis le 3 juin 2023, ils sont autorisés, au même titre que les maîtres-nageurs, à faire de la surveillance.
Résultat, "les lieux de baignade prennent plutôt des BNSSA parce que ça coûte moins cher", souffle Jean-Pierre Gomez, délégué régional de la fédération des MNS. Le décret aurait donc un peu trop bien fonctionné : d'un manque de maîtres-nageurs, la France est passée à une situation de trop-plein cet été, avec des MNS se retrouvant sans emploi saisonnier.
Pourtant, Jean-Pierre Gomez l'assure : en Centre-Val de Loire, il y a une pénurie de 40% de maîtres-nageurs. Et l'on en forme de moins en moins. Steve Le Nuz, maître-nageur à la piscine municipale de Saint-Doulchard, le confirme : "À mon époque, au centre de formation de Bourges, on était 19 ou 20, et ces dernières années, ils sont 8-10."
Pour Jean-Pierre Gomez, la profession est "sur le déclin", déclin qu'il impute en particulier au décret du 3 juin 2023. Il fustige notamment une "formation [des BNSSA] qui dépend d'associations avec une réglementation moins stricte que les MNS, qui ont une formation d'un an à 7 000 euros".
L'enseignement de la natation en jeu
Et, des BNSSA et des MNS, seuls les maîtres-nageurs ont la compétence d'enseignement de la natation aux scolaires, "la partie noble de notre profession", estime Jean-Pierre Gomez. Ce qui rend les maîtres-nageurs très demandés en dehors des vacances scolaires.
"Comme il manque des MNS, on met le maître-nageur en surveillant de baignade pendant les cours, et c'est le professeur assisté de parents bénévoles qui s'occupe de l'enseignement", explique le représentant régional de la fédération des maîtres-nageurs. "Ce n'est pas comme ça qu'on va améliorer le niveau de natation scolaire, peu importe la bonne volonté des parents !"
Selon une enquête de la direction générale de l'enseignement scolaire (Dgesco), qui dépend du ministère de l'Éducation nationale, 33,7% des enfants entrent en 6e sans savoir nager. Ils ne seraient cependant plus que 17% en fin de 6e, au niveau national. En Centre-Val de Loire, la réussite serait moins franche, avec 18,5% de d'élèves de 6e ne sachant pas nager. Au-delà de la 6e, seul un tiers des établissements scolaires continuent d'enseigner la natation. Pour les autres, ça brasse ou ça casse.
Selon le Baromètre santé de Santé publique France de 2016, près de 84% des Français déclarent savoir nager, mais seulement 69% sur 50 mètres ou plus. Le taux de nage serait particulièrement élevé chez les 15-24 ans (95% disent savoir nager). C'est chez les plus jeunes que le problème se pose. Si le nombre de noyades est en baisse ces dernières années, les enfants sont surreprésentés. En moyenne, 14% des victimes sont des enfants de moins de 6 ans, alors qu'ils ne représentent que 6% de la population française.
Le 26 juillet, une fillette de 5 ans est morte noyée à la base de loisirs de l'Île Charlemagne, à Orléans. Par manque de maîtres-nageurs, la base n'a d'ailleurs pas pu rouvrir pendant plusieurs jours après les faits.
Comment réenchanter le métier
Pour la fédération des MNS, pas de doute, "il y a une baisse du niveau" des jeunes Français en natation. Ce qui entraînerait un cercle vicieux, avec moins de vocations éveillées à devenir maîtres-nageurs, et donc un déficit qui pourrait s'amplifier encore à l'avenir.
Redorer le blason de la profession semble désormais complexe, sans solution miracle, tant les problématiques sont nombreuses. "La formation est assez chère, avec aucune assurance d'avoir un métier", regrette Yves Decroix, maître-nageur saisonnier à Saint-Doulchard, près de Bourges, et bûcheron à l'année. Lui a été formé en 1982, et est devenu éducateur sportif au bout de 10 ans. Au-delà, l'évolution de carrière reste sommaire. Et puis "c'est très mal payé par rapport à notre responsabilité" :
Effectivement, je suis assis sur ma chaise pour surveiller la baignade, je n'ai pas une tronçonneuse dans les mains. Mais s'il y a un problème...
Yves Decroix, maître-nageur saisonnier à Saint-Doulchard
"La responsabilité pénale de la surveillance est énorme, et les gens sont très procéduriers maintenant, avec une plainte au moindre pépin, abonde Jean-Pierre Gomez. Le MNS n'est pas rémunéré au niveau des risques."
"La profession n'est pas attrayante pour les jeunes." Parvenir, à nouveau, à faire encadrer la natation scolaire par des MNS, "c'est un premier pas, une solution à long terme", plaide Axel Lamotte, responsable communication de la FFMNS. La fédération assure "sensibiliser les politiques" depuis des années. Mais peine à trouver une réponse satisfaisante au sommet de l'État.