14 présidents d'universités, dont celui de l'université d'Orléans, réclament la création d'une allocation universelle d'études, pour juguler la précarité qui touche de plus en plus d'étudiants. Une tribune publiée ce 19 septembre.
Comment contenir l'hémorragie de précarité qui s'abat sur les étudiants en France ? Depuis la crise sanitaire, la question revient régulièrement dans l'actualité, avec des constats à chaque fois un peu plus alarmants. Ainsi, selon l’Observatoire de la vie étudiante (OVE) en 2020, 56% des étudiants rencontraient des difficultés financières, au point de réduire leur alimentation.
Depuis, les chiffres les plus inquiétants tombent en cascade. La Fédération des associations générales étudiantes note que, à la rentrée 2023, les frais de vie courante des étudiants ont augmenté de 8,8% sur un an. À l'université d'Orléans, 42% des étudiants seraient boursiers. "On a quand même près de la moitié des étudiants qui font des études dans un contexte pas favorable", s'indigne le président de l'université, Éric Blond.
"Un choix de société"
Avec treize autres présidents d'établissements de France, il est signataire d'une tribune publiée ce mardi 19 septembre dans Le Monde, appelant à la mise en place d'une "allocation d'études pour tous les étudiants". Pour Éric Blond, il s'agit d'un "choix de société" :
Si on veut mettre le paquet sur les études, il faut les conditions de le faire.
Éric Blond, président de l'université d'Orléans
Car, aujourd'hui, "si on a un tiers d'évaporation en premier cycle universitaire, c'est parce que beaucoup prennent un travail à côté et partent dans le monde du travail sans qualification", assure-t-il.
Marine n'est pas passée loin de tout laisser tomber pour cette raison. Actuelle étudiante en Master 1 à Orléans, elle occupait l'année dernière un job à temps partiel pour payer ses études. "À la fin, on a plus envie de travailler pour ramener de l'argent que d'aller à la fac", se souvient-elle.
Le luxe de la solidarité
Finalement, elle a poursuivi son cursus, mais a dû abandonner son travail, par manque de temps. Alors, ce mercredi 20 septembre, elle est venue faire ses courses chez Esope, une épicerie solidaire pour les étudiants de la métropole d'Orléans, située à La Source. Ici, un panier de denrées alimentaires, fournitures de bureau et produits d'hygiène coûte sept fois moins cher qu'en supermarché. Un luxe, quand les prix des produits alimentaires ont bondi de 13,4% entre juin 2022 et juin 2023.
Marine est venue avec son compagnon, Thibaud, étudiant en master 2. L'année dernière, il rentrait souvent chez ses parents à Tours. "Ils en profitaient pour me préparer des plats pour la semaine, donc j'avais moins de dépenses." Cette année, le couple reste le plus souvent à Orléans. Et "on essaie de ne pas tout leur demander, d'avoir un peu d'indépendance", plaide-t-il. Leur budget a surtout souffert de l'augmentation des prix de l'essence, au point de les obliger à diminuer leurs dépenses alimentaires.
Financée par des dons d'associations comme la Banque alimentaire, des collectes et des subventions publiques, l'épicerie a compté 800 bénéficiaires sur l'année 2022-2023. D'ici décembre, le responsable de l'association, Benoît Delmotte, prévoit d'en accueillir 1 000. Probablement en grande partie pour une question de meilleure notoriété de l'association, qui a fait sa première rentrée en novembre 2022. L'entrée à Esope dépend des ressources et des charges des étudiants qui s'y présentent. L'année dernière, 47 étudiants ont été refusés.
Prise de conscience collective
Esope a pris symboliquement la suite des opérations de l'association O'Sem, qui organisait des distributions de colis alimentaires pendant la crise sanitaire. "Il y a eu une prise de conscience à ce moment-là de la préfecture, de l'université, des associations, des syndicats étudiants, se souvient Benoît Delomotte. Il fallait faire quelque chose de pérenne pour répondre à la précarité alimentaire des étudiants."
L'université aussi tente, comme elle peut, d'accompagner les étudiants. Une convention a ainsi été signée avec des auberges de jeunesse de l'agglomération, pour trouver des solutions d'urgence pour certains. "Cette année, on a beaucoup plus d'étudiants qui se retrouvent sans logement, à la fois par manque de disponibilité et de hausse des prix, les deux étant évidemment liés", note le président de l'université, Éric Blond.
Autant d'indicateurs qui plaident en faveur de l'allocation étudiante défendue par la tribune des présidents d'universités. Éric Blond assume : "Il ne s'agit pas de parler de mise en œuvre, mais de mettre le débat sur la table." Et encourager le pouvoir à s'en saisir ? "On l'espère ! Je ne vois pas comment [le gouvernement] peut dire que la jeunesse est l'avenir et la priorité, et ne rien faire pour qu'elle le soit."
"Juguler la pauvreté étudiante"
Pas sûr cependant que l'appel soit entendu aux sommets de l'État. À commencer par le président lui-même. Dans une récente interview donnée au journaliste Hugo Travers, pour son média Hugo Décrypte, Emmanuel Macron a défendu le bilan de la majorité au pouvoir, notamment la revalorisation des APL et la hausse de 37 euros de toutes les bourses depuis cette rentrée. Interrogé sur plus de mesures pour aider les précaires, le président a surtout insisté sur ce que peuvent faire les universités pour améliorer l'orientation et la professionnalisation.
Des annonces insuffisantes pour les signataires de la tribune du Monde :
Ni les bourses sur critères sociaux […], ni les aides exceptionnelles débloquées fin 2022 par le gouvernement […] ne suffisent à juguler la pauvreté étudiante.
14 présidents d'universitésLe Monde
Pour Éric Blond, une allocation étudiante aurait aussi le mérite de simplifier les démarches. "Aujourd’hui, on a un dispositif de bourses très compliqué, un d'aide sociale, un pour les allocations logements, et on rajoute des aides ponctuelles pour un ordinateur, pour acheter à manger..."
Pour Thibaud et Marine, les avis sont partagés. "On se dit souvent que, si on n’a pas de bourse, alors on n'en a pas besoin, alors que ce n'est pas forcément le cas, plaide-t-elle. Au moins, on serait tous sur un pied d'égalité." Thibaud, de son côté, trouverait "un peu injuste" de mettre tous les étudiants au même niveau, que ce soit les enfants de cadres aisés et de classes populaires. "Certains ont besoin de plus, donc si c'est en plus, c'est bien." Le débat reste ouvert.