Remplacements, handicap, abaya : rentrée scolaire tendue dans l'Éducation nationale

Ce lundi 4 septembre, les élèves de France reprennent le chemin de l'école. À l'heure de l'école inclusive et du désenchantement du métier de professeur, France 3 passe en revue les grands enjeux de cette rentrée, avec une partie des concernés.

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Retour à la case devoirs. En Centre-Val de Loire, plus de 440 000 élèves reprennent les chemins de l'école, du collège ou du lycée ce lundi 4 septembre. Une rentrée sous tension, moins de deux mois après la nomination de Gabriel Attal au ministère de l'Éducation nationale, et alors que de nombreux sujets préoccupent professeurs, directeurs et parents.

Lundi 28 août, le nouveau ministre a tenu une conférence de presse, annonçant sa grande vision pour l'École. Avec deux axes principaux : "mettre le paquet sur les savoirs fondamentaux" et "faire bloc" sur les questions de laïcité. En ont résulté plusieurs annonces, dont des heures supplémentaires dédiées à la lecture et à l'écriture en école primaire, et l'interdiction du port de l'abaya dans les établissements scolaires.

De quoi rassurer tout le monde ? France 3 est allé demander aux premiers concernés : quels sont les grands enjeux, pour vous, de cette rentrée scolaire ?

Un prof devant chaque élève ?

C'est peut-être l'urgence qui est revenue le plus souvent dans les paroles recueillies par France 3 : les effectifs de professeurs. "L'année dernière, les derniers réglages ont duré trois semaines après la rentrée, pour trouver tout le monde", se souvient Martine Rico, coordinatrice régionale de la fédération des conseils de parents d'élèves (FCPE) du Centre-Val de Loire. D'autant que "certains élèves ont fini l'année dernière avec des profs en moins, alors commencer l'année sans prof parait peu acceptable".

Inquiétude aussi du côté d'Emmanuel Mercuer, professeur d'électro-technique et co-secrétaire du syndicat FSU en Loir-et-Cher : "Les concours d'enseignant n'ont pas fait le plein, et il y a moins de postes à la clé qu'il y a 20 ans, donc ça risque de se répercuter dans l'académie", redoute-t-il.

Les cinq concours de l'enseignement public du second degré offraient ainsi moins de 13 000 postes pour sa session 2023, contre plus de 20 000 dans les années 1990. Sauf que le nombre de candidats a baissé en même temps que le nombre de places. Et 3 100 postes n'ont pas pu être pourvus cet été à la suite des concours enseignants. "Il faut redonner de l'attractivité au métier, mais c'est du long terme après des années de dévalorisation", soupire Emmanuel Mercier.

Le rectorat affirme de son côté que "tous les services s'affairent" pour que chaque élève ait un professeur face à lui à la rentrée. Et assure qu'il n'y a "pas de situation d'alerte" dans l'académie Orléans-Tours.

Comment assurer les remplacements ?

Le constat est partagé : même si la rentrée se passe sans remous, la situation ne peut que se dégrader au cours de l'année scolaire, la question du remplacement des professeurs absents n'étant toujours pas résolue. "On n'a plus de vivier de remplaçants titulaires, qui existait dans presque toutes les disciplines", regrette Stéphane Bolo-Lumbroso, secrétaire départemental du syndicat des personnels de direction (SDPDEN-UNSA) dans le Loiret.

Lui-même le constate, en tant que principal du lycée pro Paul-Gauguin à Orléans : "Les remplaçants sont moins nombreux, et ils sont très vite en poste, donc on doit prendre des contractuels." Professeure des écoles et co-secrétaire FSU en Loir-et-Cher, Aline Pasnon confirme ce recours de plus en plus fréquent aux contractuels, "ce qui veut aussi dire absence de formation".

Pour assurer les remplacements, et satisfaire la demande syndicale de revalorisation des salaires, le précédent ministre Pap Ndiaye avait proposé un "pacte" : que les professeurs fassent des heures de remplacement du jour au lendemain, heures rémunérées à la carte. "Ils ont réinventé l'étude surveillée, c'est de la grande innovation", raille Emmanuel Mercier, de la FSU 41.

Au-delà du principe même, le pacte a cependant été reçu fraîchement par les syndicats, qui défendent "une revalorisation du salaire pour compenser l'inflation et une revalorisation du point d'indice après 10 ans de gel", explique Emmanuel Mercier. Une rémunération à la carte, pour Jérôme Thébaut, secrétaire départemental SNUDI-FO (directeurs, instituteurs et professeurs des écoles) d'Indre-et-Loire, c'est "travailler plus pour perdre moins", et "une contractualisation de la fonction publique".

Autant dire que l'application du pacte n'a rien d'assurée dans ces prochains mois. Selon Stéphane Bolo-Lumbroso, proviseur, "ça va dépendre des établissements, parfois ça fonctionnera, parfois non, il va falloir convaincre."

Le défi de l'école inclusive

Permettre à chaque enfant d'étudier dans les mêmes conditions, dans les mêmes établissements, voilà l'objectif du principe de l'école inclusive. Oui mais voilà. Selon Martine Rico, coordinatrice régionale de la FCPE, "il n'a pas été rare l'année dernière qu'on dise à des familles de reprendre leur enfant une après-midi ou deux par semaine", à cause d'un manque d'AESH (accompagnants d'élève en situation de handicap).

Depuis 2017, le nombre d'AESH a bondi de 42%, pour arriver à 136 000 à cette rentrée 2023. Mais le nombre d'enfants en situation de handicap en établissement scolaire a lui aussi augmenté, de 34% depuis 2017. Résultat : 23% des enfants concernés n'ont "aucune heure de scolarisation" par semaine, 28% entre 0 et 6 heures, 22% entre 6 et 12 heures.

Trois enfants sur quatre ont donc moins de 12 heures de cours par semaine, alors que 24 heures sont dispensées en primaire et 26 au collège. La statistique a été dévoilée il y a une semaine par l'Unapei, réseau d'associations dans le secteur du handicap intellectuel, sur un échantillon de 2 103 enfants accompagné par ses antennes.

Dès lors, "est-ce qu'on a les moyens d'embaucher et surtout de former des AESH", s'interroge Martine Rico. Pour Jérôme Thébaut, de SNUDI-FO 37, "l'école inclusive est en train de s'effondrer". Ainsi, selon lui, 1 200 élèves seraient en attente d'une place en structure spécialisée, rien qu'en Indre-et-Loire. Tandis que ceux "inclus de force" dans des classes non spécialisées "se retrouvent en souffrance". Avec, en plus, "une dégradation des conditions de travail" des enseignants sans AESH, qui doivent "passer du temps à éviter l'accident plutôt qu'à enseigner".

Selon les chiffres transmis par le rectorat, le nombre d'AESH s'élève à 3 479 en cette rentrée, soit 76 de plus que l'année précédente (une augmentation de 2,2%). Il y avait 2 340 AESH à la rentrée 2019.

"Faire bloc" pour la laïcité

C'était l'annonce choc de la rentrée : l'interdiction à l'école de l'abaya, cette robe longue traditionnelle des pays du Maghreb et du Golfe, et qui sera désormais considérée comme un signe d'appartenance religieuse. Une décision "courageuse" du ministre Attal, selon Stéphane Bolo-Lumbroso, du syndicat des personnels de direction, et proviseur à Orléans.

Car, auparavant, il revenait aux directeurs de déterminer si le port d'une abaya par une élève relevait, ou non, de l'intention religieuse. "On était seuls en première ligne", estime-t-il, louant la "clarté" de la décision. Il attend désormais la mise en place, "des écrits, d'une circulaire", de cette interdiction. "On parle de tenue, c'est la marche la plus compliquée."

Du côté des syndicats enseignants, on reste perplexe face à l'annonce de Gabriel Attal. "On manque de moyens partout, c'est fou de voir qu'on parle de la façon de s'habiller des élèves", fustige Jérôme Thébaut de Force ouvrière 37. "C'est du détournement d'attention, une façon de cacher les vrais sujets", abonde Emmanuel Mercier de la FSU 41.

Et autres urgences

  • Aline Pasnon, de la FSU 41, confirme constater la baisse des effectifs par classe dans le premier degré, mais redoute "l'arrivée d'un pic d'élèves par classe" au collège et au lycée. "Les professeurs travaillent avec des classes assez chargées, à moyens constants, avec toutes les complexités que ça peut avoir dans l'enseignement."
  • Sur la question des savoirs fondamentaux, la professeure des écoles fustige la déconnexion des gouvernants. "À chaque rentrée, le ministre croit avoir réinventé l'eau chaude..." Car Gabriel Attal a promis deux heures de lecture chaque jour en CP, et une production d'un texte écrit chaque semaine en CM2. "On a déjà 10 heures de français par semaine et de la lecture dans toutes les disciplines, affirme Aline Pasnon. Mais du coup, pour le ministre, on fait quoi actuellement en CM2 ? On colle des gommettes ?" Elle encourage Gabriel Attal à "venir dans les classes, pour voir que le travail qu'il demande est déjà fait".
  • Martine Rico, de la FCPE, n'est pas avare en sujets qui la préoccupent. Comme la prise en charge du harcèlement scolaire. "Est-ce qu'on aura assez de référents ? Est-ce qu'on aura l'écoute, la bienveillance nécessaire ? Est-ce qu'on pourra faire le lien avec les familles, prendre en charge les victimes, mais aussi les agresseurs ? Parce que l'exclusion n'est pas une solution, ça change leur comportement, ça les abîme. Tu as mal au pied, donc je te coupe le pied !" Du côté de l'académie, on explique qu'il y aura bien, "a priori", un référent harcèlement par établissement.
  • À peu près toutes les personnes que France 3 a interrogées se satisfont de l'annonce du report des épreuves de spécialités du bac de mars à juin. "Certains savaient qu'ils avaient le bac tout de suite, et on assistait à un désengagement des élèves, tant côté assiduité qu'attention en classe", note Stéphane Bolo-Lumbroso. Prochaine étape : revenir purement et simplement sur toute la réforme Blanquer, plaide Emmanuel Mercier. Soit "supprimer le contrôle continu au bac, et revenir à un lycée en série".

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