À l'école primaire Hay à Reichstett, à proximité de Strasbourg, les enfants d'une classe de CP sont sans institutrice depuis trois semaines. Parents et enfants n'en peuvent plus, tandis que la direction académique du département déplore la situation, mais assure qu'elle n'a rien d'exceptionnel.
Un enseignant devant chaque élève. La promesse de l'ancien ministre de l'Éducation nationale Gabriel Attal, faite avant la rentrée 2023, ne sera pas tenue cette année encore. Chaque jour dans toute la France, des enseignants viennent à manquer et l'Alsace ne fait pas exception à la règle en cette mi-décembre 2024.
Au sein de l'école élémentaire Hay, à Reichstett, petite commune située à proximité de Strasbourg, cela fait déjà trois semaines qu'une classe de CP bilingue franco-allemand n'a plus d'institutrice. L'enseignante titulaire est en arrêt maladie depuis le 21 novembre et jusqu'aux vacances de Noël.
Malgré les demandes pressantes de la directrice et institutrice Laetitia Helf auprès de l'académie de Strasbourg, rien ne semble bouger. "C'est quand même une situation tragique en France en 2024", se plaint la mère d'un élève concerné.
En attendant de trouver un remplaçant, la directrice et l'équipe d'instituteurs ont récupéré les élèves esseulés dans leurs neuf autres classes. Résultat : une trentaine d'enfants à gérer, et mêlant plus de trois niveaux différents. Une solution loin d'être idéale et prévue pour être temporaire.
"C'est de la maltraitance"
"Quand je vois les jeunes enseignants partir en classe avec une trentaine d'enfants chacun, j'ai envie de pleurer tous les matins. Ça me touche particulièrement... On les épuise à la tâche, on ne se rend pas compte que c'est de la maltraitance !", s'insurge Kara Yurtseven, la maman d'un élève de la classe qui se retrouve sans institutrice. Elle affirme aussi que la situation fatigue les enfants, sortant de classe agités et irritables.
Cette mère au foyer a la possibilité de garder son fils, qui a pris peur de l'école ces derniers temps. Être mélangé avec "des grands" l'effraie. Elle le garde à la maison et essaie de lui faire cours, "mais je n'arrive pas à bien capter son attention, je ne sais pas enseigner", avoue-t-elle, désemparée.
Que fait-on de notre projet commun en tant que société ? L'éducation est à la base de tout, si elle vacille il n'est pas étonnant que tout s'effondre par la suite
Kara Yurtseven
Mère d'un élève de CP
Alors, la mère de famille prend de son temps pour alerter sur la situation à Reichstett. Elle multiplie les appels à l'aide au maire et au rectorat, mais ne reçoit pas de réponse ou se voit même rétorquer par ce dernier qu'elle "peut toujours inscrire [s]es enfants dans le privé".
"J'ai trouvé ces propos profondément honteux et choquants. Sous prétexte que j'aurai l'argent nécessaire, je peux épargner mon enfant, mais et les autres ? Et puis, même dans le privé, il y a des problèmes", s'agace Kara Yurtseven, qui refuse de changer son enfant d'école.
"Que fait-on de notre projet commun en tant que société ? L'éducation est à la base de tout, si elle vacille il n'est pas étonnant que tout s'effondre par la suite".
Une centaine d'absences chaque jour
De son côté, Nicolas Feld-Grooten, le directeur académique des services de l'éducation nationale (Dasen) du Bas-Rhin, affirme n'avoir pas connaissance du courrier envoyé par les parents de l'école Hay. Mais il assure qu'il apporterait une réponse s'il recevait une demande.
"Je comprends tout à fait l'exaspération des parents, mais nous restons mobilisés chaque jour pour trouver des solutions", indique-t-il par téléphone. Pour le directeur académique, la situation n'a rien d'exceptionnel, bien qu'il évoque des tensions de remplacements dans le secteur de Reichstett.
On peut toujours mieux faire c'est sûr, et on travaille chaque année à augmenter le nombre de remplaçants titulaires
Nicolas Feld-GrootenDasen du Bas-Rhin
"Nous sommes dans un contexte de tension relative dû au pic hivernal, mais ce n'est pas une situation particulière. On peut toujours mieux faire, c'est sûr, et on travaille chaque année à augmenter le nombre de remplaçants titulaires", révèle Nicolas Feld-Grooten.
Il doit trouver une centaine de remplaçants chaque jour dans le seul département du Bas-Rhin –des titulaires bien plus que des contractuels, précise-t-il –, sur les 5 600 enseignants du premier degré (allant de la première année de maternelle au CM2). C'est un peu moins que la moyenne nationale d'absence, située autour de 9%.
Le remplaçant malade à son tour
"Il y a parfois des effets de collisions", ajoute le directeur académique. D'autres cas en Alsace inquiètent les parents. À la suite d’un arrêt maladie, une classe de primaire de l’école La Clé des 3 Champs de Furdenheim s’est, elle aussi, retrouvée sans enseignant pendant trois semaines.
Comble de la situation : le remplaçant trouvé pour la classe est tombé malade à son tour... Un "enchaînement de circonstances malheureuses" pour Nicolas Feld-Grooten.
Ce vendredi 13 décembre, l'équipe pédagogique de l'école élémentaire Hay pourra souffler un peu. Une personne a été trouvée pour la journée pour faire classe aux petits élèves, apprenant tout juste à lire et écrire. 24 heures de répit seulement, car rien ne dit à ce jour qu'elle pourra rester jusqu'aux congés de Noël.