Comme dans cette école maternelle de Rennes, le modèle d’école inclusive montre ses limites. Enfants handicapés sans accompagnants, enseignants débordés, parents désespérés : la situation est critique. Les AESH, les accompagnants des enfants handicapés, dénoncent des conditions indignes. Un projet de loi ambitieux pour leur statut a été balayé par la censure.
Au cœur de Rennes, dans une petite école maternelle, l’idée même d’inclusion scolaire semble s’écrouler. Ce lieu, qui devrait être un refuge pour les enfants, est devenu le théâtre d’une tension permanente. Sur les treize enfants en situation de handicap accueillis, seuls trois bénéficient d’un accompagnement à plein temps par des AESH (Accompagnants des Élèves en Situation de Handicap). Six autres sont laissés sans aide personnalisée, alors même qu’ils présentent des troubles autistiques ou du comportement, nécessitant une attention constante.
Ces élèves, souvent atteints de troubles du spectre autistique, de TDAH ou de déficiences motrices, ont besoin d’une attention constante. "On parle d’écoles inclusives, mais on n’y met pas les moyens", déplore un parent d’élèves. L’État, garant de cette inclusion, paraît avoir déserté le sujet. Ces enfants, âgés de 3 à 5 ans, se retrouvent sans accompagnement adapté. Leur sécurité, mais aussi celle des autres élèves, est compromise.
Des enseignants craquent, "ils se sentent maltraitants malgré eux"
Avec deux ou trois enfants concernés par classe de moyenne et grande section, les enseignants sont débordés. "Certains craquent. Ils se sentent maltraitants malgré eux", confie une représentante des parents d’élèves. Cette pression constante a conduit l’une des enseignantes à être arrêtée pour épuisement professionnel.
"Quand un enfant en crise quitte la classe en hurlant, l'enseignant doit le suivre et laisser les autres. Cela provoque un déchirement au quotidien" souffle un parent d'élève sur un groupe d'échange en ligne.
Une inclusion qui vire au chaos
Dans cette école, le quotidien est devenu un véritable casse-tête. Les enseignants, faute d’accompagnement suffisant, doivent jongler entre leurs missions pédagogiques et la gestion d’enfants aux besoins spécifiques. Mais ils ne sont ni formés, ni rémunérés pour cela. Résultat : les classes deviennent le théâtre de crises régulières.
"Les autres élèves subissent aussi", s’indigne un parent. "Les enseignants, très dévoués à leurs missions, n’ont plus le temps de s’occuper d’eux correctement". L’ambiance est lourde, les frustrations montent. Parents et enseignants partagent un sentiment d’abandon face à l’inaction des autorités académiques.
Malgré la multiplication des notifications émanant de la Maison Départementale des Personnes Handicapées (MDPH), les moyens ne suivent pas. "On se heurte à un mur", résume une représentante des parents. Une pétition a été lancée. Le courrier d’un avocat a été envoyé pour alerter le rectorat. Les parents envisagent même des actions plus visibles pour faire entendre leur colère.
Lire : Plus de 1 800 élèves ne sont pas accompagnés en Bretagne, faute de professionnels
Une urgence qui reflète une crise nationale
L’école inclusive, promue depuis 2004 comme un pilier du système éducatif français, vacille face à des moyens dérisoires. À Rennes, l’exemple de cette école maternelle met en lumière un problème qui se répète partout en France : le manque criant d’AESH.
Ces accompagnants, pourtant essentiels, travaillent dans des conditions précaires. Ce constat accablant dépasse le simple cadre local. "Les droits des enfants handicapés sont bafoués. Ces enfants ont besoin de stabilité, de repères, mais ils sont abandonnés", martèle Sandy Guyomard, responsable de l’association AESH en Lumière, basée dans les Côtes-d'Armor.
Les Accompagnants d'Élèves en Situation de Handicap (AESH) font face à des conditions de travail intolérables : contrats précaires, salaires insuffisants, absence de reconnaissance. À plein temps, un AESH gagne environ 900 euros par mois.
"On parle d’école inclusive, mais on refuse d’y investir", dénonce Corentin Le Fur, député engagé dans ce combat. La Maison Départementale des Personnes Handicapées (MDPH) multiplie pourtant les notifications pour un accompagnement, mais les moyens ne suivent pas. Les enseignants, débordés, doivent souvent compenser.
Une proposition de loi pour sauver l’inclusion scolaire
Face à cette urgence, Corentin Le Fur a porté une proposition de loi ambitieuse. Son objectif : revaloriser les salaires, offrir des contrats stables et intégrer les AESH au statut de fonctionnaire. "Sans ces professionnels, l’inclusion est un mirage", martèle le député.
Avec ma collègue @MLepvraud nous avons organisé l’audition d’un collectif #AESH à l'Assemblée nationale.
— Corentin Le Fur (@LeFurCorentin) October 9, 2024
Notre initiative transpartisane doit déboucher sur un texte pour mieux reconnaître et rémunérer les AESH, et faire évoluer leur statut et leurs conditions de travail. pic.twitter.com/El3pYqHayL
Ce texte bénéficie d’un soutien inédit : dix groupes parlementaires sur douze se sont ralliés à ce projet transpartisan. "C’est un cas rare, mais cela montre l’urgence et l’importance de la situation", souligne-t-il.
"Il ne s’agit pas seulement de reconnaître leur travail, mais de permettre à nos enfants d’avoir le soutien qu’ils méritent."
Un combat retardé, mais pas abandonné
Malheureusement, la dissolution du gouvernement et la motion de censure ont repoussé l’examen de son texte. "Tout est suspendu. Mais je ne lâcherai rien, c’est une priorité absolue", martèle Corentin Le Fur.
Ce retard ne décourage pas le député breton, qui continue de mobiliser ses collègues et d’écouter les témoignages des AESH et des familles. "Leur colère, leur détresse, mais aussi leur espoir me poussent à me battre". Avec le retour des discussions budgétaires en début d’année 2025, il espère enfin faire adopter son projet.
Une association et une chanson pour garder espoir
Les membres de l’association AESH en Lumière ne baissent pas les bras. Créée pour rendre visible un métier dans l’ombre, l’organisation multiplie les actions concrètes, comme leur audition à l'Assemblée nationale en octobre dernier.
Partie des Côtes-d'Armor, l'association est désormais présente partout en France et trouve un écho sur les réseaux sociaux. Une chanson, écrite par des militants, circule et fait vibrer les cœurs. "Nous voulons toucher les consciences et rappeler que derrière chaque AESH, il y a des vies suspendues à un fil", explique Nadège Marquer, l’auxiliaire de Lamballe (Côtes-d'Armor) qui a composé le morceau.
Des soutiens de poids
Cette lutte ne passe pas inaperçue. Des figures emblématiques comme l’actrice Lucie Lucas, l’humoriste Booder et l’acteur Samuel Le Bihan ont prêté leur voix à ce combat. Lucie Lucas, marraine de l’association AESH en Lumière, s’est exprimée avec émotion : "On doit tous être solidaire. Les conditions de travail des AESH sont maltraitantes pour ces professionnels, pour les enfants, pour les parents d'élèves. Il est temps de les valoriser comme ils le méritent."
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Ces soutiens médiatiques donnent un élan supplémentaire à une cause qui dépasse les clivages politiques et sociaux. Pour les militants en faveur des AESH, ces célébrités incarnent une lueur d’espoir.