19 250 enfants scolarisés sont en situation de handicap et 12 980 ont besoin d'accompagnement, d'après les chiffres du rectorat de Rennes. L’Éducation nationale peine à recruter ces Accompagnants d'élèves en situation de handicap, les AESH. En Bretagne, 279 postes sont actuellement non pourvus, laissant des familles et des enfants dans le désarroi.
Ewen fait partie de ces enfants sans AESH. Il est scolarisé en CP dans une école de Saint-Brieuc. Il a 7 ans. La MDPH a octroyé une AESH au garçon, diagnostiqué autiste.
Mais, elle est en congé maternité, arrêtée depuis la rentrée. Elle n’a jamais été remplacée. À la cantine et sur le temps extrascolaire, la MDPH a indiqué que le petit garçon devait également être aidé, mais il n’y a aucun accompagnement, explique Tony Péricaud, le père d'Ewen. Tony et son ex-compagne sont à bout.
On nous promet des choses et on ne voit rien venir. Tout est difficile depuis qu’il est né. On met tout en place pour qu’il puisse évoluer et on se rend compte que ce n’est pas possible. On n'a aucune solution et on se demande parfois comment on va pouvoir continuer à travailler.
Tony Péricaud, père d'Ewen, 7 ans
Le père de l'enfant est conducteur dans une tour de séchage, il travaille en 3/8. Sa mère est embauchée dans un EHPAD en tant qu'aide à la personne, elle travaille en 2/8.
Les témoignages comme celui du père d'Ewen sont nombreux. Angélique Butel élève seule son fils Côme de 14 ans. Il a la chance d'avoir 24 heures d'accompagnement. Sauf que son AESH est aussi en arrêt maladie. Côme est autiste Asperger, dysorthographique et dyslexique. Sa mère explique l'angoisse de son fils quand il sait qu'il ne sera pas accompagné "il ne dort plus, quand il a des évaluations".
Quand on parle d'inclusion à l'école, c'est un mensonge envers les parents. Nous nous battons tellement. Rien n'est acquis. Quand on fait un dossier à la MDPH, ils nous incitent à noircir le tableau pour espérer un peu d'aide pour nos enfants.
Angélique Butel, mère de Côme 14 ans
Un combat de tous les instants pour les parents
Pour l’UNSA Education, la situation est "catastrophique". Selon les chiffres du syndicat, fin octobre, il manquait 120 équivalents temps plein AESH rien qu'en Ille-et-Vilaine, soit environ 160 personnes. Selon les chiffres du Rectorat de Rennes, l'académie bénéficie d’une dotation de 4 074 postes d’accompagnants d’élèves en situation de handicap. Il y a eu 145 postes supplémentaires ouverts à la rentrée, mais 279 d’entre eux ne sont pas pourvus.
Ce couple installé dans les Côtes d’Armor nous explique au téléphone que leurs deux enfants sont dyslexiques, dysorthographiques et dysgraphiques. Leur fils est en seconde générale, il a le droit à 9h d’aide par semaine.
"C’est insuffisant, explique le père de famille, parfois son AESH vient bénévolement quand il a des contrôles". Quant à leur fille de 12 ans, elle est en cinquième elle a aussi une aide mutualisée car elle ne travaille pas au même rythme que les autres collégiens en raison de ses dys.
Le père nous raconte qu’en 2021 ils ont écrit une lettre à l’Élysée expliquant que lui et sa femme étaient infirmiers à domicile, qu’ils consacraient beaucoup de temps aux autres, notamment pendant le Covid et qu’ils avaient besoin d’une aide pour leurs enfants. En une semaine sa fille a eu une nouvelle AESH. "On passe pour des râleurs et on demande juste le minimum pour que nos enfants réussissent et s’épanouissent".
Les enfants nécessitant un accompagnement en classe sont de plus en plus nombreux
19 250 élèves en situation de handicap (ESH) sont scolarisés dans les établissements scolaires de la Région Bretagne, soit une augmentation de 3% par rapport à la rentrée 2021, selon le Rectorat.
Ils sont 3769 dans le 22, 5894 dans le 29, 5532 dans le 35 et 4055 dans le 56.
Ainsi, au 4 octobre, sur 12 726 élèves bénéficiant d’une notification d’un besoin d’accompagnement dans l’académie de Rennes, 11 156 étaient effectivement accompagnés. 1 835 élèves en situation de handicap restaient sans aucun accompagnement.
C'est une catastrophe pour ces enfants qui ont besoin d'accompagnement et pour leur famille, qui ne peuvent pas les scolariser. C'est aussi difficile pour les AESH en poste, qui se trouvent en porte-à-faux et qui doivent s'occuper de plusieurs enfants. Les enseignants aussi souffrent, la gestion de la classe et des apprentissages est difficile. C'est aussi compliqué pour les autres enfants de la classe.
Philippe Le Roy - Secrétaire UNSA - Ille-et-Vilaine
Emmanuel Ethis, le recteur de l'académie l'avait alors assuré en septembre dernier, : "ce n’est qu’une question de temps. Les recrutements sont en cours pour que chaque élève, en ayant besoin, soit accompagné d’un AESH".
Des recrutements en cours, selon le rectorat
Mais seules trois offres pour des postes d’AESH en Bretagne figurent actuellement sur le site de Pôle Emploi, aucune dans le Morbihan, aucune dans le Finistère, contre 7 dans les Pays-de-La-Loire, 16 en Nouvelle-Aquitaine ou 1 en Normandie...
A 860 € par mois pour des CDD de 24 heures d’accompagnement hebdomadaires, les candidats ne se bousculent pas, encore moins en campagne où les frais d’essence pour se rendre dans les établissements amputent le salaire. D'autant que souvent les AESH interviennent dans 2 voire 3 écoles différentes. Autre problématique soulignée : le manque de formation de ces accompagnants contraints souvent de se former eux-mêmes sur le terrain.
Nadine le Gall a été AESH dans un lycée de Quimper pendant trois ans. Son contrat à durée déterminée s’est terminé le 31 août 2022. Elle a souhaité ne pas le renouveler, sauf que depuis septembre, elle n'avait pas prévu de ne pas pouvoir toucher d'allocation-chômage. Son employeur a coché la case "rupture de contrat à l’initiative du salarié". Elle dénonce cette situation et a fait appel à un avocat. La CGT éducation du Finistere confirme que Nadine n’est pas la seule AESH dans ce cas.
Toutes les AESH qui quittent leur travail en fin de contrat, se retrouvent dans le cas d’une personne qui a rompu son contrat à son initiative et sont privés d'allocation-chômage.
Marie Dagnaud, secrétaire générale CGT éducation du Finistère
Des places manquantes dans les établissements spécialisés
Ces dernières années, beaucoup de places en structures adaptées ont aussi été supprimées, si bien que certains élèves qui souffrent souvent de troubles du comportement importants sont scolarisés dans des classes ordinaires.
Pour l'Unsa en Ille-et-Vilaine, les élèves qui relèvent de structures spécialisées, mais sont scolarisés en milieu ordinaire faute de places en établissements d'accueil étaient 400 en septembre 2021, dans le département, ils seraient plus de 800 actuellement. 175 élèves de structures spécialisées attendent une place dans des instituts pour adultes dans le département.
La situation dans l’académie de Rennes n’est pas unique en France
Dans un rapport publié fin août, la Défenseure des droits, Claire Hédon, a épinglé l’État à ce sujet : "Bien que leur nombre ait progressé de 35 % en 2021, pour atteindre 125 000, la profession [d'AESH] manque de considération, de reconnaissance et se précarise", dénonce le rapport. Il déplore aussi "le nombre grandissant d'enfants dont les besoins sont très largement non ou mal couverts". Des parents se disent "épuisés par des appels quasi hebdomadaires de l'école" parce qu'il "serait préférable qu'ils gardent leur enfant à la maison".
La Défenseure des droits précise également que "l'accompagnement humain n'est pas la seule réponse à l'inclusion. C'est le système global qui doit être repensé". Or, parmi les freins de l'école inclusive, le manque d'infrastructures accessibles, l'absence de formation spécialisée des enseignants, l'inadaptation des programmes scolaires et des salles de classe pèsent aussi dans la balance.