Les pluies de cet hiver ont été insuffisantes pour recharger les sols, épuisés par la sécheresse de l'été 2022. Pire, ce 21 février marque le 32e jour sans pluie en France. Entre économies d'eau et changement de paradigme complet, les agriculteurs espèrent passer entre les gouttes.
Semaines sans vraie pluie : quatre. Depuis le 21 janvier, il n'a presque plus plu en France, et le cumul quotidien des précipitations n'a plus dépassé le millimètre. En pleine saison traditionnellement réservée au remplissage des rivières, barrages et nappes phréatiques, la situation a de quoi inquiéter.
Ainsi, la majorité des nappes du Centre-Val de Loire affichent des niveau bas, voire très bas. Même la très résiliente nappe de Beauce est à un niveau modérément bas, selon le site Info Sécheresse, qui agrège dans une carte interactive des données gouvernementales.
En pleine sécheresse de l'été 2022, c'est cette même nappe de Beauce qui avait sauvé l'agriculture beauceronne. Pascal Chateigner, agriculteur à Villamblain, dans le Loiret, doit irriguer 130 hectares de cultures diverses, blé tendre, blé dur, maïs et colza principalement. Cet été 2022, il a pu bénéficier de 100% de son coefficient d'irrigation (ce qu'il a le droit de pomper dans la nappe sur une saison). Alors même que, ailleurs en Centre-Val de Loire, les cultures mouraient de manque d'eau face aux diverses restrictions décidées par les préfectures face à l'assèchement des autres nappes.
Résister à la chaleur et au manque d'eau
Pourtant, l'irrigant redoute déjà un nouvel épisode de chaleur et de sécheresse en 2023, cette fois-ci avec plus de dégâts pour ses cultures. "Compte tenu du niveau d'eau de la nappe, on risque de ne pouvoir prendre que 60% de notre volume d'eau habituel", présage-t-il. En prévision, Pascal Chateigner a remplacé cette années sur plusieurs hectares le maïs par du tournesol. Une plante qui résiste bien mieux à la chaleur, et au manque d'eau.
Car, alarmés par les sécheresses successives et l'intensification du réchauffement climatiques, certains agriculteurs se mettent à réfléchir à l'avenir de leurs cultures dans une Beauce qui, en 2050, ressemblera plus à la Provence qu'à la Picardie. "On essaie de faire évoluer les pratiques de l'agriculteur à long terme", assure Christophe Beaujouan.
Au sein de la chambre d'agriculture de Loir-et-Cher, dominée par la FNSEA, il est conseiller environnement et énergie. Sa mission : scénariser l'agriculture de 2050, c'est-à-dire une agriculture qui "trouve des alternatives face à l'accroissement du déficit hydrique", et qui "a divisé par deux ses émissions de gaz à effet de serre". Le secteur est ainsi responsable de 21% des émissions de gaz à effet de serre françaises, selon le ministère.
Christophe Beuajouan aide ainsi les exploitants du Centre-Val de Loire à envisager de changer profondément leurs habitudes, notamment en trouvant une alternative au sacrosaint maïs. Céréale rentable, avec une multitude d'usages possibles… mais très demandeuse en eau. "On pourrait transformer en sorgho, ou trouver d'autres variétés de maïs." "Il faut faire confiance à la science, c'est ce qui nous aidera", lance Pascal Chateigner, pour qui "il ne faut pas encore jeter le maïs".
Faire confiance à la science
Car, ces dernières années, les espoirs de nombreux agriculteurs se portaient sur des études scientifiques qui promettaient une nouvelle variété de maïs, plus résistante à la chaleur, demandant moins d'eau. Des variétés dont on attend encore les performances miraculeuses. "On aurait pu croire qu'il y aurait un déclic avec la sécheresse de 2022, mais il n'y en a eu aucun. Les agriculteurs qui ont accès à l'eau continuent d'attendre d'être sauvés par la science", fustige Laurent Beaubois.
Lui est porte-parole régional de la Confédération paysanne en Centre-Val de Loire. À l'opposé de la FNSEA, la "Conf" milite contre le productivisme, et pour une agriculture locale qui nourrit avant tout ses environs. Et pour un meilleur partage de la ressource en eau. "Il faut des réserves collinaires, pour stocker l'eau qui coule en trop", assure Laurent Beaubois.
Ces réserves collinaires sont à ne pas confondre avec les bassines qui font l'actualité depuis quelques années. "Des réserves de substitution", corrige Thierry Bordin, chargé de mission "Eau et autonomie protéique" à la chambre d'agriculture du Centre-Val de Loire. Pour lui, ces réserves -qui ne dépendent pas complètement de l'eau de pluie mais pompent dans les rivières et les nappes l'hiver pour thésauriser l'eau en vue de l'été- sont une nécessité : "Il faudra passer le mois d'août où il ne pleut pas. Il pleuvra toujours autant, mais à d'autres moments de l'année."
Gagner des millimètres
Question économie d'eau, Thierry Bordin s'y connaît. Il est notamment chargé de l'animation de l'outil d'aide à la décision (OAD) de la chambre d'agriculture, un site internet qui permet à chaque agriculteur de visualiser les besoins d'eau en temps réel de ses parcelles grâce à une modélisation numérique. Tout y est renseigné : le type de culture, de sol, et la pluviométrie des dernières semaines. L'outil permet même d'irriguer différemment selon la zone de la parcelle.
Pascal Chateigner en est un fervent utilisateur. "Pour du maïs, ça permet d'économiser un ou deux passages d'irrigation" en cumulé. Sur une plante qui peut nécessiter sept passages par saison, l'économie est loin d'être substantielle. "En mobilisant tout ce qu'on sait faire, OAD et technologie d'arrosage, on peut économiser 30% d'eau pour un rendement équivalent", défend Thierry Bordin.
Sauf que, économies ou pas, changement de système complet ou pas, il faudra toujours de l'eau, ne serait-ce qu'un peu. D'où la nécessité des bassines selon lui.
Pour la Confédération paysanne, les bassines sont le symbole de "l'accaparement de la ressource en eau par quelques agriculteurs, pendant que les copains autour crèvent la gueule ouverte". Laurent Beaubois, le porte-parole régional, en profite pour ironiser : "Dans le Poitou, ils sont en train de se rendre compte qu'ils ne peuvent même pas toutes les remplir !" En janvier, le préfet de la Vienne avait en effet reconnu qu'il n'y aurait pas assez d'eau pour les 30 récentes bassines du département.
Changement de paradigme
Laurent Beaubois, lui-même éleveur dans les environs de Gien, a remplacé une grande partie de ses hectares de maïs par de l'herbe pour nourrir ses bêtes. "J'ai moins de rendement, mais je n'ai pas besoin d'arroser." Et il a déjà une réserve collinaire. Comme une preuve que la philosophie de la "Conf" peut fonctionner, du moins pour une agriculture qui nourrit localement. À contre-courant de la philosophie "nourricière" (comme dirait le ministre Marc Fesneau) portée par la FNSEA.
Reste qu'un changement de paradigme complet sera bientôt nécessaire pour que l'agriculture française survive à des sécheresses plus fréquentes, plus longues et plus chaudes, tout en rejetant moins de gaz à effet de serre. FNSEA et Confédération paysanne ont toutes deux leurs méthodes. Presque irréconciliables.