Neuf ans après la catastrophe ferroviaire de Brétigny-sur-Orge en Essonne où le déraillement d’un train a causé la mort de sept personnes, la SNCF, SNCF Réseau et un cheminot comparaissent à partir de ce lundi 25 avril devant le tribunal d’Evry pour homicides et blessures involontaires.
Le 12 juillet 2013, un train Intercités qui relie Paris à Limoges s’approche de Brétigny-sur-Orge, dans l’Essonne. Il n’est pas censé s’y arrêter, il y passe juste, à la vitesse de 137 km/h, sous la limite des 150 km/h dans cette zone.
Sauf qu’à 17h11, les voitures de queue déraillent. Deux wagons se couchent sur le ballast, et un autre fauche le quai sur plusieurs dizaines de mètres. Sept personnes sont tuées, 70 sont blessées dont des Loirétains et des Berrichons, et plus de 200 personnes sont impliquées, c’est-à-dire rescapées. Et traumatisées.
Parmi les sept victimes, les parents de Thierry Gomes, qui attendaient sur le quai. Ce dernier, Orléanais, est devenu président de l’association Entraide et Défense des Victimes de la Catastrophe de Brétigny (EDVCB).
Homicides et blessures involontaires
Dès ce lundi 25 avril, il sera au tribunal d’Evry (Essonne) où doit s’ouvrir le procès de cette catastrophe ferroviaire. La SNCF et SNCF Réseau (qui était à l’époque RFF, gestionnaire du réseau ferré, NDLR) seront sur le banc des accusés en tant que personnes morales pour homicides et blessures involontaires.
D’après les magistrats instructeurs, les deux entreprises ont commis des "fautes", "par choix ou inaction ayant conduit à l'absence de renouvellement des pièces d'aiguillage" à l'origine de l'accident. Ils estiment également que des "organes ou représentants" ont été "défaillants dans l'organisation, le contrôle et la réalisation des opérations de maintenance", selon le communiqué du parquet.
A leurs côtés, une seule personne physique sera également jugée, un cheminot à la tête d'une brigade chargée de l'inspection des voies. C'est lui qui avait réalisé la dernière vérification, huit jours avant la catastrophe.
La recherche de la vérité
"On attend les débats, on attend qu’on réponde à toutes les questions qu’on a posées et qui aujourd’hui pour certaines restent sans réponse, on attend qu’on nous explique comment est arrivé cet accident et qu’on en déduise les chaînes de responsabilités", détaille Thierry Gomes qui regrette qu’il n’y ait pas "d’autres personnes à côté de lui [du cheminot] dans le box des accusés".
Car malgré les nombreuses expertises et contre-expertises, tout n’est pas clair pour l’association de victimes à la "recherche de la vérité et des responsables".
Une partie de cette vérité a été connue dès le lendemain de l’accident. Lors d'une conférence de presse, la cause du déraillement est révélée : une éclisse, une sorte d'agrafe métallique qui permet de relier deux rails, s'est désolidarisée et s'est logée au milieu de l’aiguillage. Reste à comprendre pourquoi la pièce a pivoté. C’est là que les versions et les expertises divergent.
Vétusté VS défaut de l'acier
Très rapidement, la SNCF réfute un défaut de maintenance et privilégie le scénario d'une fissuration rapide et imprévisible d’un assemblage qui aurait cédé brutalement, s'appuyant sur des rapports dont les conclusions allaient en ce sens. En face, plusieurs expertises ordonnées par la justice pointent à l'inverse un défaut de maintenance et une vétusté des rails.
Ces expertises seront épluchées lors des audiences, des moments qui s’annoncent éprouvants pour les parties civiles : "Cela va être des débats très factuels, techniques, avec des arguties juridiques qui sont inhérentes au débat et qui nous seront sans doute insupportables par moments", reconnaît Thierry Gomes.
Mais il assure que lui et les autres membres de l’association se sont "préparés à ça", même s’il sait que "l’angoisse et le stress sont toujours présents".
Des écoutes téléphoniques troublantes
Il ne semble pas attendre grand-chose de la SNCF en tout cas, dont l’attitude l’a "profondément scandalisé". "M. Pépy [PDG de l’entreprise au moment de l’accident, NDLR] avait dit que la SNCF était responsable, pas coupable mais responsable, et qu’elle se donnait le devoir de concourir à la recherche de la vérité. Et bien on a vu qu’au cours de l’instruction, c’était tout à fait l’inverse qui se passait, souffle Thierry Gomes. Ça nous choque profondément."
Lors de l’enquête, les juges doutent en effet rapidement de la volonté réelle de la SNCF de coopérer au point qu’ils décident de mettre sur écoute téléphonique deux cadres de l’entreprise.
Si ces écoutes ne montrent pas que la direction incite les personnes auditionnées à mentir, certains conseils sont troublants, comme ne donner aucun document qui ne soit demandé par les enquêteurs, ou ne "pas être pro actif". L’encadrement va même plus loin en voulant supprimer d’une note interne les mots "en très mauvais état".
Des données effacées ?
Autre zone d’ombre : la direction de la SNCF avait porté plainte pour signaler le vol, quelques jours après l'accident, d'un ordinateur et d'un disque dur ayant appartenu… au responsable de la maintenance du site de Brétigny. Ils sont retrouvés quelques semaines plus tard, abîmés : sur l’ordinateur, des éléments sont impossibles à restaurer, et le disque dur est vide.
Contactée, la SNCF a déclaré ne pas vouloir faire de commentaire ni avant ni pendant le procès, qui doit durer huit semaines, comme le rappelle ce tweet.
Thierry Gomes, lui, s’attend d’ores et déjà à une seconde procédure en appel. Ce procès servira-t-il à éclaircir ces zones d’ombres ? D'après lui, il sera en tout cas "une étape importante dans le parcours de la résilience d’une victime".