Alors que le second procès autour de l'assassinat de Samuel Paty vient de démarrer à Paris, nous donnons la parole à des enseignantes. Elles nous racontent les difficultés de parler de laïcité depuis la mort du professeur d'histoire-géographie en 2020.
Est-ce un tabou ou simplement le hasard ? Mais dans la salle des professeurs du Lycée Duhamel du Monceau de Pithiviers (Loiret), on ne parle pas du procès qui vient de s’ouvrir devant la cour d’assises spéciale de Paris. Depuis lundi, huit personnes sont jugées pour avoir contribué à la campagne de haine ayant conduit à l'assassinat de Samuel Paty.
Le 16 octobre 2020, il est tué par Abdoullakh Anzorov à la sortie de son collège, à Conflans-Sainte-Honorine (Yvelines). Conclusion tragique de la cabale dont a été victime le professeur d'histoire-géographie de 47 ans après avoir fait cours en utilisant les caricatures de Mahomet publiées dans Charlie Hebdo.
Mickaëlle Paty n’aurait jamais imaginé qu’elle se rendrait un jour au tribunal pour défendre la mémoire de son frère, Samuel, assassiné par un terroriste en 2020, dont le procès s’est ouvert lundi 4 novembre.
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Quand arrive le moment de parler de l’histoire des religions, l’exercice peut devenir difficile pour l’enseignant. "Que ce soit de la part des élèves musulmans, quand on aborde le christianisme. Mais aussi de la part d'élèves catholiques lorsqu'on fait l'islam en cours de 5e par exemple", précise Florence Ferrand, professeure d’histoire-géographie à Pithiviers. Elle est également secrétaire départementale de l’UNSA Éducation.
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Et les atteintes à la laïcité ne se passent pas que dans les cours d’histoire-géo. "J'ai l’exemple d'une collègue en cours de Français. Elle parlait d'un texte d'Olympe de Gouges par rapport à la religion catholique. Il y a une remise en cause de la part d'une élève", raconte Florence Ferrand. Elle pense aussi à cette famille qui a refusé que leur fille assiste au cours de natation, en EPS.
Prudence de la part des enseignants
Florence Ferrand dit ne pas avoir changer sa façon d’enseigner. Mais autour d’elle, nombreux sont ses collègues qui, désormais, s’auto-censurent. Le mot revient souvent. "Il y a des sujets qu’ils n’abordent pas ou qu’ils éludent", résume Florence Ferrand, qui également référente laïcité dans son établissement. "Avant, ils utilisaient pas mal de caricatures, comme les dessins de Charlie Hebdo. Maintenant tout document qui pourrait prêter à mauvaise interprétation, qui sont considérés comme sensibles, sont mis de côté".
Au-delà de la seule matière histoire-géographie, ce sont bien les rapports entre les enseignants et les élèves et leurs familles qui ont changé. "Les collègues sont dans une forme de prudence. Ils surveillent leurs propos", assurent Sylvie Lesné, secrétaire départementale du SNES-FSU 45. Avec la mort de Samuel Paty en 2020, puis celle de Dominique Bernard en 2023,"il y a une sorte de tabou qui a été levé. On sait que, en tant qu'éducateur, on est en ligne de mire. On n’est pas du tout considéré et respecté comme une autorité. Ce qui fait qu’il faut vraiment que l’on soit prudent", ajoute-t-elle.
Former l'ensemble des professeurs à parler de laïcité
Avant d’aborder les questions sensibles avec les élèves, il faut faire preuve d’un surcroit de pédagogie. "Quand j'étais en collège, j'arrivais sur les thèmes de l'Islam ou de la place de l'Église. Je disais toujours que ma vision, c'était du point de vue de l’historien et non pas de la religion. À partir du moment où on avait bien les balises, je n’ai jamais eu de souci particulier", explique Florence Ferrand, de l’UNSA Éducation.
Dans son lycée Duhamel du Monceau à Pithiviers, la journée du 9 décembre est consacrée, depuis 2023, à un travail sur la laïcité et le vivre ensemble. "Le proviseur a pris la décision de bloquer deux heures dans l'emploi du temps de chacune des classes pour faire réfléchir à ces thèmes. Il y a ensuite une petite production qui est affichée dans le hall de l'établissement. C’est une façon de montrer que ce sont des valeurs que l'on veut transmettre à nos élèves : le vivre ensemble, le respect des autres, le respect de tout type de différence, qu’elles soient religieuses ou autres".
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En 2021, le ministère de l’Éducation Nationale a lancé son Plan National de Formation sur la Laïcité. Mais les enseignants ne suivent pas tous le cursus. Faute de temps mais aussi d’intérêt. "Beaucoup considèrent que parler de la laïcité, c'est propre aux profs d'histoire-géographie, de philo ou de lettres. Ils pensent qu’eux, en tant que profs de langue ou de sciences, ils n’ont pas à le faire. D’où la volonté de banaliser les deux heures lors la journée du 9 décembre. Tout le monde doit mettre sa pierre à l’édifice", conclut Florence Ferrand.