Une palourde invasive venue d'Asie pullule dans la Loire et les experts n'ont aucune piste pour la combattre

La corbicule a colonisé les lits des rivières françaises depuis plusieurs décennies. En filtrant le phytoplancton, elle a drastiquement modifié le fragile équilibre de la biodiversité de la Loire.

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Les eaux de la Loire sont-elles devenues trop transparentes ? Apparue il y a une cinquantaine d'années en France, la corbicule, appelée aussi palourde asiatique, a colonisé le fleuve royal au point d'en modifier subtilement l'écosystème. Et il n'y a déjà plus rien à faire.

Entre les bancs de sable, près de Vouvray en Indre-et-Loire, Damien Buzance remonte un petit bras de Loire, protégé par ses cuissardes en caoutchouc, avant de plonger sa main dans le lit du fleuve. Le chargé de mission de la fédération départementale de pêche en tire une poignée de gravier. Très vite, il élimine le sable pour ne garder que cinq ou six petits coquillages de couleur jaune crème : "C'est un petit mollusque bivalve, qui est arrivé sur le bassin de la Loire à la fin des années 1970" en s'accrochant aux coques des bateaux. "Depuis les années 2000, on le retrouve sur le cours principal de la Loire et ses affluents", comme l'Indre, le Cher ou la Creuse, raconte-t-il. 

300 palourdes au mètre carré

Discrète, la palourde asiatique n'a que peu d'impact sur les activités humaines. Elle peut toutefois gêner le fonctionnement des centrales nucléaires, nombreuses en Centre-Val de Loire, en colonisant et perturbant leurs circuits de refroidissement. Originaire d'Asie du sud-est, où elle est consommée comme un fruit de mer, la Corbicula fluminea s'est installée sans faire de vagues dans de nombreuses rivières de France, d'Europe et d'Amérique du Nord. 

Selon David Brunet, chargé de mission milieu aquatique à l'agence de l'eau Loire-Bretagne, la Loire lui offre un habitat particulièrement accueillant. Le dernier grand fleuve sauvage d'Europe dispose encore d'écoulements "assez naturels" et un lit sableux avec du gravier pour s'enfouir tranquillement. Un environnement propice, d'autant que le coquillage hermaphrodite se reproduit à grande vitesse : 70 000 larves par an. Le bivalve se plait tellement dans le fleuve royal que les densités atteignent 50 à 300 individus au mètre carré.

De quoi faire une razzia sur le phytoplancton dont elle se nourrit. "La corbicule élimine le phytoplancton, les matières en suspension, ce qui favorise la clarté et permet une photosynthèse plus efficace. Les rayons de lumière du soleil atteignent le fond de la Loire", explique David Brunet.

Ce changement de la qualité de l'eau n'est pas sans conséquence. L'éclaircissement des eaux, qui est aussi un effet des investissements dans les stations d'épuration depuis plusieurs décennies, a été bénéfique pour le développement de la végétation aquatique. Ces herbiers "n'étaient pas présents dans les années 1980", assure Damien Buzance, et constituent un habitat pour de nombreuses espèces de poissons.

Une lutte "totalement impossible"

Mais c'est l'énorme capacité de filtrage du mollusque asiatique qui "soulève aujourd'hui des interrogations". L'espèce "est amenée à filtrer l'eau de manière tellement importante que la disponibilité en phytoplancton, qui est la base de la chaîne alimentaire, est trop limitante pour le développement de certaines espèces de petits poissons", détaille-t-il.

Or, ces gardons, spirlins et autres chevesnes constituent aussi la proie des carnassiers comme le brochet. "Ca perturbe la chaîne alimentaire. Forcément, s'il y a moins de phytoplancton, il y aura moins d'espèces qui vont se retrouver dans le lit de la Loire, regrette David Brunet. C'est une espèce invasive et toutes les espèces invasives vont perturber les écosystèmes, donc il n'y a pas d'effet positif."

Reste que la lutte contre la petite palourde, qui n'a pas de prédateur efficace à proprement parler sur la Loire, est "totalement impossible", selon les experts. Les écosystèmes devront donc trouver un équilibre. C'est déjà le cas pour la corbicule, dont la population baisse. Le réchauffement climatique, et les aléas qu'il engendre, pourrait avoir son influence, mais le mollusque semble victime de sa propre gourmandise : il manque sans doute du phytoplancton pour nourrir tout le monde.

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