Après la décision de la cour d'appel de Paris, qui avait annulé la semi-liberté probatoire accordée en première instance, le militant nationaliste, condamné à la perpétuité, a décidé de se pourvoir en cassation. En Corse, les nationalistes veulent mobiliser pour mettre la pression sur Paris.
"La décision est judiciaire, certes. Mais elle repose sur des critères politiques. Et nous avons décidé de nous pourvoir en cassation". Maître Eric Barbolosi, l'avocat de Pierre Alessandri, est très remonté après la décision de la chambre d'application des peines de cour d'appel de Paris de refuser un aménagement de peine à son client.
Un aménagement de peine qui avait pourtant été validé par le tribunal d'application des peines antiterroriste, le 21 juillet dernier. A la suite de leur décision, Pierre Alessandri devait être placé, en semi-liberté, au centre pénitentiaire de Borgo,dès le 20 août dernier.
De prime abord, c'était une victoire de taille. Mais, du côté de la défense du militant nationaliste, on se gardait bien de tout triomphalisme. Sans surprise, le parquet national antiterroriste avait en effet formé un appel suspensif. Ce qui signifiait que le 20 août, Pierre Alessandri restait dans sa cellule de Poissy, dans les Yvelines, en attendant la décision de la cour d'appel. Et comme il y a deux ans, en janvier 2020, la décision s'est avérée négative.
La libération de Pierre Alessandri est toujours susceptible de causer un trouble grave à l'ordre public.
Jeudi 7 octobre, la cour a rejeté le transfèrement en Corse et la demande de semi-liberté au détenu de 62 ans. Selon la cour, la durée de la peine "sous la forme de la détention ordinaire s'avère encore nécessaire".
Deux lectures judiciaires diamétralement opposées
A la lecture de l'arrêt, ce refus repose sur trois arguments principaux.
- La cour reconnaît "un certain nombre d'efforts" en terme de "réadaptation sociale" à Pierre Alessandri. Mais, pour elle, ce dernier, "semble omettre la dimension hors norme des agissements criminels de nature terroriste particulièrement violents".
- Ce maintien de la détention ordinaire serait donc "proportionné au regard de l'extrême gravité et de la nature des infractions commises, que le temps ne peut pas émousser prématurément, de leur contexte et de leurs conséquences".
- La libération de Pierre Alessandri serait enfin "susceptible de causer un trouble grave à l'ordre public, qui ne peut être envisagé sous le seul prisme de la région Corse, mais qui doit aussi être apprécié au regard des actions violentes de nature terroriste perpétrées encore à ce jour pour d'autres causes sur le territoire français". A ce titre, pour la cour d'appel de Paris, "la fonction d'exemplarité reste essentielle". (Rappelons également que Pierre Alessandri, comme Alain Ferrandi, sont encore sous le statut de DSP (détenu particulièrement surveillé), ce qui ne fait rien pour aider au rapprochement...)
"La libération aujourd'hui de Pierre Alessandri ne troublera pas davantage (la situation politique en Corse) que celle des autres personnes condamnées dans cette affaire, puis libérées".
La différence entre la décision du TAPAT l'été dernier et celle de la cour d'appel a de quoi interpeller. C'est peu de dire que les deux lectures du dossier sont diamétralement opposées.
Le 27 juillet 2021, en première instance, le tribunal estimait que s'il est "incontestable que monsieur Alessandri peut représenter malgré lui un symbole politique pour certains au regard de son appartenance au "commando" de trois individus ayant tiré à bout portant sur la personne de Claude Erignac, il ne peut se voir refuser un aménagement de peine en raison de cette hypothèse qui lui est extérieure, dès lors qu'il a, à titre personnel, évolué, critiqué son acte et profondément remis en question la nature du combat qu'il a mené en considération des conséquences irréversibles produites". Selon le tribunal d'application des peines, "la libération aujourd'hui de Pierre Alessandri ne troublera pas davantage (la situation politique en Corse) que celle des autres personnes condamnées dans cette affaire, puis libérées".
La conclusion du jugement, à ce titre, était éloquente : "monsieur alessandri est loin d'une récit autocentré, et au regard du temps passé en détention, de son évolution manifeste concernant les faits, de l'indemnisation effective des parties civile depuis plusieurs années, de l'impossibilité concrète dans laquelle il se trouve d'améliorer encore un parcours salué tant par le service pénitentiaire d'insertion et de probation que par l'administration pénitentiaire - soit par tous ceux que le côtoient au quotidien - (...), du risque de récidive considéré comme largement amoindri par l'équipe du CNE, voire inexistant par l'expert psychiatre en dernier lieu désigné, et l'absence de trouble public compte-tenu du temps écoulé et de l'évolution de la société Corse, et du projet sérieux qu'il présente, le tribunal de l'application des peines fait droit à la demande de l'intéressé".
Poissy plutôt que Borgo
Il n'est guère étonnant, à la vue de ses deux décisions rendues à moins de trois mois d'écart, et motivées par des conclusions diamétralement opposées, que maître Barbolosi s'en prenne avec virulence aux arguments avancés par la cour d'appel. "Ces critères, d'ordre politique, ne peuvent pas être des critères d'appréciation, ou non, d'une libération conditionnelle". L'avocat va plus loin : "Ils tendraient à rendre la peine de Pierre Alessandri incompressible, c'est-à-dire une peine à vie. Et c'est tout simplement proscrit par la convention européenne des droits de l'Homme".
Le conseil de celui qui a été condamné à perpétuité en 2003 l'assure, "le Pierre Alessandri d'aujourd'hui n'est plus le même. C'est cela qu'il faudrait prendre en compte. Le temps écoulé, et son évolution psychologique, psychique. Sans négliger les possibilités de réinsertion, de resocialisation..."
S'il était rentré en Corse, Pierre Alessandri aurait travaillé, durant la journée, dans une entreprise de Ponte-Leccia, équipé d'un bracelet électronique, avant de rejoindre la prison de Borgo, le soir venu. Un régime probatoire à une libération conditionnelle à compter du 20 août 2023... La décision de la cour d'appel rend cette option caduque, et le contraint à rester dans sa cellule de Poissy.
"On est tous abattus, conclut maître Barbolosi. Mais le pire, c'est pour sa famille, qui a déjà été lourdement éprouvée par le passé. C'est elle qui est touchée au premier chef. Si Pierre Alessandri est éprouvé par cette nouvelle décision, c'est plus pour les siens que pour lui-même".
Un front commun, ou presque
Il n'aura pas échappé à grand monde que, dans sa décision, la cour d'appel prend soin de rappeler que "les questions de transfèrement des condamnés dans les établissements pénitentiaires relèvent de la compétence de la seule administration pénitentiaire". En clair, le pouvoir en place.
Pour Gilles Simeoni, tout ce qui a été fait jusque-là, en Corse, pour soutenir la demande de rapprochement, et mettre la pression sur Paris, n'a pas eu l'effet escompté. Ce n'est pas une raison pour renoncer, bien au contraire. Celui qui a été l'avocat d'Yvan Colonna l'affirme :"il faut trouver des moyens nouveaux, plus efficaces, pour se mobiliser. Nous devons dire ensemble de façon solennelle et plus forte que le moment du rapprochement est venu, en attendant celui de la libération, qui est proche. C'est une demande qui est portée par la société corse toute entière".
Reste à savoir de quelle manière. Gilles Simeoni va tenir une réunion cette semaine avec Marie-Antoinette Maupertuis, la présidente de l'Assemblée de Corse, et les présidents de groupe pour décider de la conduite à adopter dans les prochains jours. Laurent Marcangeli, leader de l'opposition, a fait connaître sa position. "Nous sommes en faveur d'une application stricte du droit. Il ne doit pas y avoir de différence entre les détenus". Pour autant, il n'est pas prêt à signer un blanc-seing au président de l'exécutif : "je n'ai pas la culture de la manifestation. Si demain il devait y avoir un appel à manifester, je ne m'y rendrais pas. Je n'ai pas vocation à aller dans la rue".
A gauche, on se garde bien de faire connaître sa position, pour l'instant.
Core in Fronte demande, une réunion d'urgence comme l'exécutif. Sur twitter, le mouvement estime que "le sort de Pierre Alessandri met en relief le choix d'une Cour d'Appel de Paris subordonnée au pouvoir politique". Jean-Christophe Angelini parle pour sa part de discrédit de la justice, qui "confirme jusqu'à l'absurde la vengeance d'état". Pour lui, "l'heure est au refus de l'arbitraire et à la mobilisation".
Paris ou ses relais corsisants du Cour Grandval.
Du côté de Corsica Libera, on exige évidemment le rapprochement de Pierre Alessandri et "de l'ensemble des prisonniers politiques". Mais contrairement aux autres composantes de la famille nationaliste, on prend soin de préciser que cela ne se fera pas à la manière de Gilles Simeoni. Peu importe ce qu'il préconisera. Sur les réseaux sociaux, les indépendantistes qualifient leurs anciens alliés nationalistes de "relais corsisants" du gouvernement.
Si nous voulons que les choses changent, pour Petru, pour l'ensemble des prisonniers politiques, nous devons impérativement nous organiser et lutter quotidiennement sur le terrain sans rien attendre des promesses de Paris ou de ses relais corsisants du cours Grandval. https://t.co/NuPZ29YTrF
— CORSICA LIBERA (@CORSICA_LIBERA) October 7, 2021
Voilà pour le passage en revue des positions adoptées par les uns et les autres. Ne reste plus qu'à attendre de savoir à quoi aboutira la réunion de cette semaine, à l'assemblée de Corse.