Pape en Corse : qu'est-ce que la "religiosité populaire", thème du colloque du 15 décembre cher au souverain pontife ?

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Le pape François se rendra à Ajaccio le 15 décembre prochain, dans le cadre d'un colloque organisé par le diocèse de Corse sur "La religiosité populaire en Méditerrranée". Un thème auquel le souverain pontife est particulièrement sensible, et qui trouve une illustration prégnante dans l'île, au point que certains observateurs n'hésitent pas à parler d'une "laïcité à la Corse".

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Le "système immunitaire de l’Eglise". C’est ainsi que le pape François a défini la piété populaire lors d’une visite en Sicile, en 2018. Une notion chère au souverain pontife, régulièrement mise en avant dans ses discours et écrits.

Comme dans sa quatrième lettre encyclique publiée le 24 octobre dernier. "Je demande que personne ne se moque des expressions de ferveur croyante du peuple saint et fidèle de Dieu qui, dans sa piété populaire, cherche à consoler le Christ", a enjoint le Saint-Père, dans un texte en partie consacré à la réhabilitation de la piété populaire. Un temps déconsidérée, elle doit s’affirmer, selon le pape François, comme une forme de théologie à part entière. 

Rien d’étonnant donc à ce que le souverain pontife ait choisi de se rendre au congrès organisé par le diocèse de Corse sur "La religiosité populaire en Méditerranée" le 15 décembre prochain.

D'autant que le thème est parfaitement ancré dans la réalité insulaire. "Ici, le peuple sort souvent dans la rue, donc le sacré est manifesté aussi dans l’espace public, indiquait le 22 novembre dernier le Cardinal Bustillo, à l’origine de l’invitation du pape à Ajaccio. Il n’y a pas de polémique, il n’y a pas de conflit, il n’y a pas de problème, au contraire. On perpétue les traditions de nos ancêtres, ça, c’est positif. Le pape a apprécié cet aspect."

La Corse, terre de religiosité populaire 

Comment se manifeste cette religiosité populaire dans l’île ?

"À l’évidence, la Corse se distingue par une religiosité populaire profondément enracinée dans le quotidien de ses habitants", affirme Anghjulina Antonetti. Chercheuse à l’université de Corte et spécialiste du sujet, elle interviendra lors du colloque organisé par le diocèse de Corse. 

"Cette religiosité dépasse les croyances individuelles pour s’inscrire dans un cadre plus vaste, où les pratiques religieuses jouent un rôle central dans la structuration de l'identité culturelle collective, ajoute-t-elle. Les processions, pèlerinages, et autres manifestations de dévotion sont des expressions de foi collective et aussi des marqueurs identitaires qui cimentent la cohésion sociale de la communauté insulaire."

La présence de la religion dans la culture insulaire s'illustre également par la place des confréries. Ces dernières "agissent comme un véritable trait d'union entre l'espace religieux et l'espace public, incarnant cette fonction grâce à leur structure et leurs pratiques", analyse la chercheuse. 

Par ailleurs, si la fréquentation des messes tend à diminuer, les moments forts du calendrier chrétien continuent, eux, à mobiliser. "Les fêtes patronales, Pâques, Noël, la Toussaint et les pèlerinages restent des rendez-vous incontournables pour la communauté corse, où l’on constate l’omniprésence des religiosités populaires, qui, en tant qu'expressions collectives de la foi, engagent les laïcs bien au-delà de la simple observance", souligne Anghjulina Antonetti.

Laïcité "à la Corse" ?

Cette étroite imbrication entre religieux et culturel en Corse, bien plus prononcée que dans d’autres territoires, s'éloigne du modèle français de laïcité stricte.

"La forte implication des laïcs et l’ampleur des fêtes religieuses éminentes font partie intégrante de l’identité culturelle insulaire, ce qui rend difficile une séparation nette entre sphères religieuse et civile, indique la spécialiste. Cette symbiose entre culture et religion entraîne une forme de laïcité singulière, où les expressions de la foi collective s’inscrivent naturellement dans la vie publique, brouillant parfois les lignes entre les deux."

Dans ce contexte, peut-on aller jusqu’à parler d’une laïcité à la Corse ? Anghjulina Antonetti répond par l’affirmative. "La spécificité du modèle corse de laïcité, façonné par une religiosité populaire inextricablement lié au quotidien de la communauté, démontre qu'il est possible de concilier identité culturelle et diversité religieuse dans un cadre laïque inclusif. La dimension culturelle du religieux apparaît comme la garante essentielle de l’équilibre laïque."

"Laïcité apaisée"

Une analyse partagée par Serena Talamoni. Chercheuse en histoire contemporaine, elle participera elle aussi au colloque du 15 décembre. L’objet de son intervention : le sacré dans l’espace politique corse.

"En étudiant les discours des élus, ce qui apparaît de façon notable, c’est la présence du sacré à la fois religieux, comme la figure de dieu, mais aussi la sacralisation de figures identitaires, par exemple la sacralisation et la personnification de la Corse. Dans les discours et les pratiques, on note un syncrétisme entre les figures religieuses et identitaires, ce qui montre que la religion fait partie de l’identité corse", résume-t-elle.

Selon la chercheuse, la présence visible des politiques insulaires lors de festivités religieuses met en lumière le lien particulier existant entre les mondes sacré et civique en Corse.

"Le fait que les élus participent à ces cérémonies religieuses, qu’on les y attend, la bénédiction des bâtiments publics, l’appropriation du discours, cela montre que la laïcité est différente de la laïcité française qui se coupe du religieux. On peut la définir comme une laïcité apaisée qui ne cherche pas à éjecter le fait religieux. Il y a une façon de vivre ensemble qui est naturelle et qui n’est pas excluante. C’est une laïcité apaisée, proche du modèle italien, l’île ayant été influencée par les Lumières italiennes." 

Le 13 octobre 2023, sur le plateau de notre émission L’Ochjata, le cardinal Bustillo lui-même évoquait le modèle insulaire dans des termes similaires. "Je suis convaincu que la laïcité à la Corse est une laïcité intelligente. Pour moi, c’est un modèle, parce que cette laïcité est une laïcité : je n’évacue pas le mot, c’est une vraie laïcité", estimait-il, réfutant tout mélange des genres : "Je ne me permettrai jamais de dire à un élu ce qu’il doit faire et inversement. On respecte la responsabilité et la mission de chacun mais dans un contexte comme le nôtre, il est responsable de pouvoir parler."

Le 15 décembre prochain, de nombreux élus se trouveront certainement parmi les quelque 100 000 spectateurs attendus à Ajaccio. L'occasion, sans doute, de renforcer plus encore les liens entre les sphères politique et religieuse dans l'île.

Les précisions de Pierre Nicolas :

durée de la vidéo : 00h02mn55s
Intervenants : Père Chrétien Kpodzro ; Angelina Antonetti, Professeur de langue et culture corse, doctorante ; Serena Talamoni, Docteur en histoire et philosophie. ©P. NICOLAS / FTV
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