Pêche des oursins en Corse : "une baisse de la ressource dans toute l’île"

Depuis quelques années, la raréfaction des oursins est une problématique récurrente dans l’île. Cet hiver, la situation semble s’être aggravée. De nouvelles mesures pourraient être mises en place prochainement pour sauvegarder et assurer la reproduction de l’espèce. À deux mois de la fin de la saison de pêche, pêcheurs et restaurateurs dressent un premier bilan.

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"J’ai enfin pu manger mes premiers oursins de l’année au resto samedi dernier. Ils étaient loin d’être pleins mais, au moins, je pourrai dire que j’en ai mangé une fois en 2023."

Le constat de ce quarantenaire rencontré sur le port d’Ajaccio lundi dernier résume assez bien la situation actuelle : la saison a beau avoir commencé officiellement depuis le 15 décembre, les oursins se font attendre cet hiver. Les fameuses "zinate" aussi. Car sur les tables des restaurants, les zini et leurs épines sont de plus en plus rares.

"Il y en a beaucoup moins que l’an passé où ils étaient encore moins pleins, explique ce restaurateur de la route des Sanguinaires. Les premiers, je les ai eus il y a trois semaines, mais il n’y en a pas tous les jours. Depuis l’ouverture en décembre, je n’en ai eu que cinq fois."

"Quelque temps que ça dure"

Si leur pêche est ouverte depuis deux mois, les oursins n’ont réellement fait leur - timide - apparition qu'il y a trois semaines. Et pas chez tous les commerçants.

"Je n’en ai pas encore fait cette année, glisse ce restaurateur du centre-ville d’Ajaccio. Je ne veux pas servir des oursins à moitié vides à mes clients. L’an passé non plus, je n’en avais pas commandé."

Une manière de rappeler que la problématique de la raréfaction de l’espèce n’est pas nouvelle, même si elle semble s’être accentuée cette année.

"Ça fait quelque temps que ça dure ici dans le golfe, souligne Jean-Dominique Marras, pêcheur professionnel et deuxième prud’homme d’Ajaccio. Avant, il y en avait de partout. Désormais, c'est différent et leur taille est petite. On a eu la chance qu’il y ait eu deux années de Covid ; il y a donc eu moins de demandes et moins de ventes. C’est ça qui a freiné. Sinon, il n’y en aurait quasiment plus du tout aujourd’hui."

"Ça a commencé par le Cap"

Plus au sud, au pied des falaises de Bonifacio, celui que l’on surnomme aussi le "hérisson de mer" n’est plus aussi visible qu’avant sur les rochers de la grande bleue.

"Depuis quelques années, il y a effectivement une baisse de la ressource sur toute l’île, confirme Maxime Bianchini, président de la commission oursins au comité régional des pêches. Ça a surtout commencé il y a quelques années par le Cap puis s’est descendu sur la Balagne, Ajaccio et Bonifacio. Après, il faut savoir que quand une zone s’appauvrit, ce sont tous les autres endroits qui subissent la demande."

Dans l’Extrême-Sud, Maxime Bianchini et ses confrères avaient déjà constaté une diminution de la ressource "mais ce n’était pas alarmant". "En revanche, cette année, expose le pêcheur bonifacien, dès la reprise de la saison le 15 décembre, nous avons été surpris car il n’y avait pratiquement plus d’oursins, surtout les réglementaires."

En effet, seuls ceux qui mesurent minimum 5 centimètres, sans les épines, peuvent être prélevés pour être vendus.

"En général, explique Maxime Bianchini, un mois après l’ouverture de la saison, ils commençaient à se remplir. Mais là, après deux mois, il y a des zones où ils ne se remplissent toujours pas et d’autres où il n’y en a tout simplement pas."

Réchauffement climatique et surpêche

Comment en est-on arrivé là ? Aléas climatiques, canicule, hivers moins froids, températures de l’eau pas assez basses, surpêche et afflux des plaisanciers font partie des causes avancées par les différents interlocuteurs.

"La surpêche sur l’oursin adulte est la plus grosse problématique, et la plus grosse influence sur les populations naturelles, expliquait la scientifique de la plateforme Stella Mare, Sophie Ternengo, en 2018, sur notre antenne. Il n’y a pas que ça, il y a aussi la destruction des habitats, la pollution. Mais, effectivement, la surpêche reste le problème majeur. D’autant que c’est une ressource pêchée par les professionnels mais aussi par les particuliers."

Pourtant, afin de protéger l’espèce et de préserver sa période de reproduction, plusieurs mesures ont été prises. La pêche de l'oursin est uniquement autorisée du 15 décembre au 15 avril. Si les professionnels ont droit à un quota de 500 douzaines par semaine, les particuliers ne peuvent pas dépasser trois douzaines par personne.

"Pas tous les pêcheurs professionnels n'atteignent le quota, précise Jean-Dominique Marras. Il y en a certains qui font les oursins toute la semaine pour les vendre aux restaurants et d'autres, par exemple, qui ne les font que le week-end. Ici, dans la région, il y a 3-4 pêcheurs qui ne font pas les 500."

En 2020, une licence professionnelle a également été instaurée afin de réguler et encadrer la pêche. "C’était pour éviter que certains pêcheurs ne fassent que les oursins et aussi pour limiter le braconnage", rappelle Maxime Bianchini.

Repeupler les fonds marins 

Il y a quelques années, le laboratoire Stella Mare a également lancé un programme d’élevage d’oursins. Objectif : le réintroduire en mer et repeupler les fonds marins pour préserver l’espèce mais aussi pour perpétuer la pêche.

"Ça fait 2 ou 3 ans qu’on travaille avec Stella Mare, souligne Xavier d’Orazio, premier prud’homme des pêcheurs d’Ajaccio. Le laboratoire va réensemencer. Avec la prud’homie d’Ajaccio, on a d’ailleurs indiqué des endroits et des zones."

Malgré ces mesures et les prouesses techniques du laboratoire, les stocks ne cessent de diminuer. Et ont du mal à se reconstituer, sachant qu’il faut minimum 3 ans pour qu'un oursin atteigne l’âge adulte et puisse se reproduire.

"On pourrait fermer certaines zones et en ouvrir d’autres, avec un roulement. Mais si on en ferme une, ceux qui vont continuer à faire les oursins vont se rabattre sur d’autres zones qui vont être pillées."

Jean-Dominique Marras

Pêcheur professionnel ajaccien

Chez les pêcheurs, qui ont été parmi les premiers à tirer la sonnette d’alarme, on tente aussi de trouver des solutions.

"C’est un sujet complexe, expose Jean-Dominique Marras, qui pêche depuis près de 30 ans. On pourrait fermer certaines zones et en ouvrir d’autres, avec un roulement. Mais si on en ferme une, ceux qui vont continuer à faire les oursins vont se rabattre sur d’autres zones qui vont être pillées. Et une fois que c’est pillé, ça ne revient plus."

Parmi les autres solutions envisagées, il y a celle de réduire la période de pêche.

"On avait fait une consultation générale entre pêcheurs professionnels pour la raccourcir dès l’année prochaine, explique Maxime Bianchini, le président régional de la commission oursins. On commencerait le 15 janvier et on passerait ainsi de 4 à 3 mois. Le problème, c’est que nous ne nous étions pas encore aperçus qu’il n’y avait pas d’oursins cette année. Du coup, on va peut-être demander la fermeture de la pêche pendant trois ans. On va faire une consultation et, dans un premier temps, entamer les démarches avec les pêcheurs professionnels. Toutes les prud’homies de Corse y sont favorables." 

Récemment, un dispositif similaire expérimental a été mis en place par les services de l'État et le parc marin du Cap Corse et de l’Agriate. Depuis le 9 novembre, dans ce secteur, il est interdit de prélever des oursins dans quatre zones dites de jachère pour une durée de trois ans. En dehors de celles-ci, la pêche de l'espèce reste autorisée partout en Corse.

"Pour les jeunes"

Le 25 février prochain, la problématique de la pêche de l’oursin figurera à l’ordre du jour de la réunion du comité régional des pêches.

"Si cette interdiction est décidée, ce ne sera pas une fermeture définitive illimitée, tempère Jean-Dominique Marras. Il ne faut pas fermer puis rouvrir ensuite d’un coup n’importe comment ; il faudra reprendre avec des règles strictes, des zones et des périodes définies. Sinon, ça ne servira pas à grand-chose."

"Et comme c’est nous, les pêcheurs, qui demandons cette fermeture de 3 ans, nous n’aurons droit à aucune aide, indemnisation ou subvention, insiste Xavier d’Orazio. Nous ne faisons donc pas ça pour prendre de l’argent. Nous faisons surtout ça pour les jeunes qui arrivent dans le métier. C’est vrai qu’ils auront un manque à gagner pendant 3 ou 4 ans, mais ils y gagneront après."

"Pas le choix"

Un manque à gagner côté pêcheurs mais aussi côté restaurateurs. Chez ces derniers, certains estiment également que la mesure est "nécessaire et inévitable".

"Je pense que nous sommes malheureusement obligés d’en passer par là, confie un patron d’établissement ajaccien. Même si je perds de gros week-end car les oursins constituent un véritable produit d’appel, on n’a pas le choix. Il faut arrêter leur pêche pendant quelque temps, ou alors d’abord l’interdire aux plaisanciers, puis aux restaurateurs avant de l’interdire pendant 3 ans."

Si elle venait à être adoptée, cette mesure ne rentrerait certainement pas en vigueur l’an prochain. "Il va falloir faire des études scientifiques, une enquête publique, puis que la préfecture prenne un arrêté, explique Jean-Dominique Marras. Ça va probablement prendre un peu de temps."

En attendant, si l’hiver 2023 vient relancer le débat autour de la sauvegarde de l’oursin en Corse, la situation actuelle ne constitue pas une première pour Maxime Bianchini.

Le pêcheur bonifacien garde en mémoire un épisode quasi similaire. À une nuance près.

"En 2006, avec la canicule et les fortes chaleurs, on avait eu une très, très mauvaise saison. Mais ce n’était que par rapport à la qualité, pas par rapport à la ressource. Les oursins avaient été vides presque toute la saison."

Reste à savoir s’il en sera de même cette année jusqu’au 15 avril, date de la fermeture de la pêche du "hérisson de mer".

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