Les falaises de Bonifacio pourraient-elles s'effondrer ? Une enquête est actuellement menée pour déterminer le risque d'éboulement de la falaise. La première étude laissait paraître un risque probable sans péril imminent. En l'attente, deux bâtisses ont été placées sous arrêté d'interdiction d'habiter, et la sécurisation autour de ces sites hyperfréquentés a démarré.
Dans les rues de Bonifacio, les machines défilent, et les travaux se poursuivent. Commencés en mars dans la haute ville, ceux-ci devraient être achevés d'ici cet été.
C'était une injonction préfectorale : il s'agit de sécuriser la place du marché, en la reculant de cinq mètres. Une place frappée d'une interdiction d'accès depuis juin 2022, pour laquelle une certaine tolérance était néanmoins jusqu'alors pratiquée, alors que deux millions de touristes viennent ici tous les ans pour photographier les falaises de Pertusatu.
"On a mis en place avec l'Etat les travaux nécessaires pour qu'on puisse recevoir des touristes en sécurité", indique Jean-Charles Orsucci, le maire de la ville.
"Nous avons dû sacrifier le jeu de pétanque qui existait depuis des dizaines d'années, et nous avons fait un parapet en béton derrière lequel les touristes vont devoir se tenir parce que le reste de la place a été considéré comme à risque de s'effondrer à n'importe quel moment, et le devoir de la mairie comme de l'Etat, c'est de protéger les citoyens."
Interdiction d'habiter
Une protection qui, pour Marie-Pierre Portafax, s'est soldée en une évacuation de son domicile avec interdiction d'habiter. Voilà maintenant 14 mois que cette dernière a été chassée de chez elle. En cause : sous la place qui porte le nom de ses ancêtres, une faille a été repérée, et le risque d'éboulement est élevé. Une décision qu'elle déplore néanmoins.
"Je suis face à un arbitraire administratif, regrette-t-elle. Le sous-préfet a pris dans la précipitation de son départ des arrêtés d'interdiction qui n'étaient pas justifiés par les recommandations du géologue."
En l'absence de péril imminent, le rapport dudit géologue ne recommande effectivement pas d'évacuation, mais plutôt de continuer les études comme pour toute la haute ville, de mener des diagnostics sur les structures des maisons et de n'autoriser ni extension ni nouvelle construction.
Partagée entre l'incompréhension et la colère, Marie-Pierre Portafax invite à observer l'intérieur de son domicile : "Je constate qu'il n'y a pas de fissure dans mon appartement, lance-t-elle. Je veux deux choses : qu'on me dresse le bilan sur les mesures de protection qui figurent dans le rapport des géologues, et je veux la consolidation de la falaise."
L'habitante prend l'exemple de Villerville, dans le Calvados : "C'est une petite ville de 590 habitants, dont le maire a reçu en 2003 une Marianne d'or du développement durable pour son action en matière de consolidation."
Vers une saisie du conseil d'Etat
Marie-Pierre Portafax n'est pas la seule interdite d'habitation : à Bonifacio, deux autres propriétaires se trouvent également dans le même cas. Fin février, ces derniers se sont présentés devant le tribunal administratif en référé, pour contester l'interprétation faite par le sous-préfet du rapport du géologue. Leur requête a été rejetée.
"Nous allons saisir le conseil d'Etat contre cette décision, affirme Aurélien Drach, héritier de la maison de Marie-José Nat, et l'un des propriétaires visés par cet arrêté. Le sujet est de faire respecter le droit français et de faire en sorte que soit nous soyons expropriés en bonne et due forme, et donc indemnisés, et qu'une procédure soit enfin ouverte par la préfecture ou la commune. Ou le deuxième cas, qu'on annule cet arrêté."
Jean-Charles Orsucci l'assure : les trois propriétaires seront expropriés avec indemnisation par le fond Barnier, une fois que les domaines auront évalué leurs biens. Les deux bâtisses sont exposées à ce risque élevé mais ne connaîtront pas le même sort.
"Pour la maison de Marie-José Nat, en hommage à cette dernière, j'ai obtenu de l'Etat qu'on puisse nous laisser l'ouvrir quatre ou cinq fois dans l'année, par exemple le jour de sa naissance, de son décès, pour les journées du patrimoine, et que la mairie prenne à endosser un coût de fonctionnement dans ce cadre, détaille le maire de Bonifacio. En revanche, pour la seconde maison, au moment où je parle, la piste privilégiée est la démolition, parce que récupérer un patrimoine bâti inutilisable pour la commune, c'est uniquement une contrainte financière supplémentaire."
Le reportage de Marie-France Giuliani, Jacques Paul Stefani, Antoine Bernardini et Fabien Bernardini :
"Un risque, il y en a toujours, mais comme de partout"
Édifiés depuis le 12ème siècle, 30 immeubles sont accrochés à la falaise. Certains sont en surplomb de 15 mètres et des failles sont parfois visibles. L'été prochain, les géologues rendront leurs conclusions, ils ont évalué la stabilité de la falaise et des immeubles de la vieille ville jusqu'à l'escalier d'Aragon. Comme Alexandre Tournayre, habitant de la haute ville, la plupart des Bonifaciens n'ont rien changé à leurs habitudes.
"De mémoire d'homme et d'écriture, il n'y a jamais eu d'éboulements, explique-t-il. Un risque, il y en a toujours, mais comme de partout. Donc personne ne s'inquiète réellement."
Reste que Marie-Pierre Portafax et ses deux voisins n'ont d'autre choix que de quitter les lieux, et de vendre leur bien à la commune. À l’inverse, depuis le rapport des géologues de 2021, 8 appartements voisins, rue Doria ou rue des Pachas, ont été vendus, sans que le risque d'éboulement n'entrave les transactions ou n'influe sur le prix du marché.