A l'issue d'une session de l'Assemblée de Corse consacrée à la mafia, une résolution portée par la majorité nationaliste a été adoptée, vendredi 18 novembre. Une seconde avait été présentée par le groupe de droite un Soffiu Novu. Principale différence entre les deux textes : la référence à la "violence politique" comme source des dérives mafieuses.
L'objectif avait été annoncé dès le discours introductif de la présidente de l'Assemblée, Marie-Antoinette Maupertuis, ce vendredi 18 novembre, dans la matinée : adopter une résolution réunissant la signature de l'ensemble des groupes et des représentants de la société civile, à l'issue de cette session extraordinaire consacrée à la mafia.
Si à l'issue de cette session, une résolution, portée par la majorité nationaliste, a été adoptée sans participation du groupe de droite Un Soffiu Novu. Ce dernier avait présenté un second texte qui a été rejeté.
Source de la discorde : la volonté des élus de droite de mentionner dans le texte la condamnation « des dérives caractérisées par des attributs de type mafieux, qui trouvent leurs racines dans les différentes formes de violence, parmi lesquelles la violence politique ». Ce dernier point ne pouvait, bien entendu, recueillir l’assentiment des élus nationalistes.
"On ne naît pas mafieux, on devient mafieux"
C'est Jean-Martin Mondoloni qui a présenté le texte dans l'hémicycle. Selon le co-président du groupe Un Soffiu Novu, la principale contradiction est une analyse de fond : « La violence génère la violence. Et nous on pense qu’on ne peut pas compartimenter, isoler et rendre étanche la violence mafieuse du terreau et des racines dans lesquels elle trouve naissance. On ne naît pas mafieux, on devient mafieux parce qu’on évolue dans un écosystème de violence. Il y a la violence de la précarité, la violence de droit commun, la violence liée à l’injustice. Et, oui, c’est bien ce qui nous distingue : nous disons tranquillement, posément, sereinement, qu’il y a eu une violence historique à laquelle certains ont tourné le dos et il y a des résurgences de violences de caractère politique qui continuent à gangréner la société corse ».
"Les yeux détournés de l'Etat sur un système mafieux"
Un discours qui ne passe pas pour Josépha Giacometti-Piredda, représentante de Corsica Libera dans l'hémicycle. « Je ne peux pas laisser dire ce soir que la violence politique est à la racine de la violence et des dérives mafieuses. C’est factuellement et chronologiquement faux. Je vais aller plus loin : si j’avais souhaité mettre la mienne sur les « considérant », j’aurais pu demander à ce que soient évoqués explicitement ce soir la violence d’Etat, les sollicitations des voyous par les polices parallèles, le SAC, les assassinats, les tentatives d’assassinats reconnues. J’aurais pu demander à ce que soient mis en avant les dérives, le lascia corre volontaire, les yeux détournés de l’Etat sur un système mafieux qui s’est mis en place et qui a prospéré », tacle l'élue.
"Les propos sournois des salons parisiens"
Même son de cloche du côté de Paul-Félix Benedetti, leader de Core in Fronte : "Je ne peux pas accepter qu’on nous oppose la genèse de cette violence crapuleuse dans les racines de notre politique de nationalistes. C’est une construction qui est tendancieuse. Elle rejoint les propos sournois qu’on entend dans les salons parisiens où on dit « plus d’autonomie peut conduire à plus de mafia , parce que plus d’autonomie c’est plus de nationalisme et le nationalisme et la mafia….ils sont dans les mêmes logiques puisqu’ils pratiquent tous la violence et que les violences sont toutes les mêmes ».
L'élu indépendantiste de poursuivre : "Moi, Jean-Martin, je vais prendre une minute pour te lire un texte (…) : « il y a trois sortes de violences. La première, mère de toutes les autres : la violence institutionnelle, celle qui légalise et perpétue les dominations, les oppressions et les exploitations ; celle qui écrase et lamine les hommes dans ses rouages silencieux et bien huilés. La seconde est la violence révolutionnaire, qui naît de la volonté d’abolir la première. La troisième est la violence répressive qui a pour objet d’étouffer la seconde, en se faisant l’auxiliaire et la complice de la première violence, celle qui engendre toutes les autres. Il n’y a pas de pire hypocrisie de n’appeler violence que la seconde, en feignant d’oublier la première qui l’a fait naître et la troisième qui la tue. Aujourd’hui, ce débat il a été apporté par la mort d’un patriote, Maxime Susini, tué par des crapules. Il n’y a pas la place pour de la diffamation et pour une distorsion de l’histoire ».
"L'expression d'une révolte"
Pour Jean-Christophe Angelini, président du groupe PNC, l'analyse de la droite est également erronée. "J’ai bâti modestement mon parcours de vie sur l’idée que le combat national devait être exclusivement dédié à l’action publique et démocratique, rappelle l'élu. Pour autant la violence politique a muté. Parler de violence politique comme on a pu en parler dans les années 80 ou 90, c’est à mon avis, pas juste. La violence politique qui était clandestine et structurée elle est aujourd’hui ponctuelle et spontanée. Lorsque l’on parle de violence, moi je parlerais, comme certains l’ont fait, de l’expression d’une révolte".
"Une erreur scientifique, politique et un anachronisme"
Dernier à prendre la parole, le président de l'Exécutif Gilles Simeoni a fait part de son "sentiment de déception et d’incompréhension" vis-à-vis de la position de la droite. "Je crois qu’à ce moment-là de notre histoire collective, avec ce qui s’est passé depuis 40 ans, avec ce qu’il s’est passé depuis trois ans, il était préférable de faire le choix de la convergence et de l’unanimité que celui de la différentiation. Je le pense très sincèrement, estime-t-il. Je pense au moment de la vie collective de la Corse où nous sommes, réintroduire dans ce texte, la violence politique comme un facteur qui contribue aujourd’hui à la dérive mafieuse est une erreur scientifique, politique et un anachronisme. (…) je ne comprends pas et je suis déçu de cette position que je respecte".
"Le prétexte de la violence politique ne tient pas"
De leur côté, les deux collectifs antimafia demandeurs de la tenue de cette session spéciale de l’Assemblée de Corse sur la mafia se disent satisfaits. Néanmoins, ils regrettent l’absence d’unanimité. "Le prétexte de la violence politique ne tient pas parce qu’il n’y a plus d’organisation clandestine qui affirme un combat contre le système. Si on fait référence à des violences qui ont lieu lors de manifestation, c’est des formes de révoltes, que l’on analyse comme on veut. Je ne comprends pas. Est-ce que c’est l’histoire de se recroqueviller en espérant que tous les rabougris de la Corse se retrouvent autour de ça, je ne sais pas. Il y avait une telle volonté d’avoir un message unanime contre la mafia, qu’ils partagent en plus", estime Léo Battesti, porte-parole du collectif Maffia no, a vita iè. "Il est regrettable qu’il y ait eu deux motions, mais c’est un fait démocratique. Un Soffiu novu a le droit d’avoir une perception, une analyse, il n’y a rien de dramatique. On est venu ici pour arracher une résolution, deux ont été présentées tant mieux", complète Jean-Toussaint Plasenzotti, porte-parole du collectif Massimu Susini.
Pour les deux organisations, le vote d'une résolution reste un grand pas de franchi. Elle est très satisfaisante, car elle mentionne à cinq reprises au moins les dérives mafieuses. "Il n’y a pas le mot mafia, c’est une question de temps, il faudra bien qu’un jour ce mot soit utilisé pour qu’on puisse l’utiliser dans le code pénal. Mais c’est un grand pas qui a été fait incontestablement. Collectivement, les personnes qui sont venues ici, avaient envie de déboucher sur quelque chose. Tout le monde a fait un effort de manière intelligente, on démontre que l’on est capable de se parler en Corse même sur des sujets qui sont extrêmement délicats. C’est de bon augure pour l’avenir. C’est un début. On n’est pas venu ici avec de grandes ambitions, mais pour que l’Assemblée de Corse reconnaisse le fait mafieux. C’est fait", reprend Jean-Toussaint Plasenzotti.
"Cette petite déception est à relativiser car il y a un avant et un après cette résolution pour la Corse. Il y aura une meilleure organisation de tout le monde à partir de synergie, de l’intelligence collective que nous sommes en train de créer, pour voir des propositions adaptées à ce fléau. C’est aussi dire que c’est un problème grave et il faut que l’on s’en empare en Corse, on peut aussi avoir valeur d’exemple pour d’autres", souligne Léo Battesti.