Michel a 42 ans. Cadre dans la restauration, il raconte avoir été victime d'une agression homophobe, fin septembre 2023, dans le centre-ville. Une embuscade pour laquelle trois jeunes hommes sont jugés le 2 octobre devant le tribunal pour enfants d'Ajaccio.
"Je savais que ça pouvait arriver. Et c'est peut-être présomptueux de ma part, mais j'étais persuadé que ça ne m'arrivait pas à moi." C'était il y a un an, jour pour jour, mais Michel*, 42 ans, originaire du continent mais résidant depuis plusieurs années à Ajaccio, s'en souvient presque comme si c'était hier.
Le 30 septembre 2023, ce cadre de la restauration qui ne fait pas mystère de son homosexualité se connecte sur un site de rencontre connu "pour des rendez-vous futiles, d'ordre sexuel". Nous sommes un vendredi, la soirée est déjà bien avancée, et la conversation s'engage avec un profil qui lui propose très rapidement de se donner rendez-vous sur le parking d'une résidence du centre-ville, à proximité de son logement.
"Je me suis dit, vas-y, et si jamais ça ne colle pas, tu rentres chez toi. Tu habites tout près, pas d'inquiétudes." Arrivé sur les lieux, Michel indique y retrouver un jeune homme, "un peu plus jeune que ce qu'il prétendait sur le site", mais qui n'éveille pas chez lui, à ce moment-là, des soupçons.
Les deux hommes se mettent en marche, supposément en direction de l'appartement du plus jeune. "Je sens à un moment donné qu'il prend un peu plus de recul, qu'il laisse une distance entre nous. Et puis d'un coup, il me pousse violemment dans le dos en criant "C'est bon les gars, allez-y". Deux autres hommes surgissent de je ne sais pas où, me sautent dessus, et commencent à me rouer de coups en me traitant de PD, tapette, tous les noms d'oiseaux avec lesquels on peut qualifier les homosexuels".
"Je hurle très fort : Arrêtez, lâchez-moi"
Seul contre trois, le quadragénaire explique se défendre, et même réussir à leur tenir tête. "Je hurle très fort : "Arrêtez, lâchez-moi", et j'arrive à un chopper un que je mords aux doigts. Un autre me fait tomber à terre, je fais une balayette, je me relève, et là, ils finissent par détaler, peut-être parce qu'ils ont eu peur du répondant." Enragé, Michel les poursuit sur quelques dizaines de mètres, avant d'abandonner la course, "épuisé" par ce qu'il vient de vivre.
"À ce moment-là, je pense à la casquette que je portais en arrivant et que je n'ai plus, et je me dis que je ne peux pas la laisser là. Alors je reviens sur les lieux de l'agression, je prends une casquette que j'y trouve, je la mets sur ma tête, et je me rends compte que ce n'est en réalité pas la mienne, mais celle d'un de mes agresseurs. Je trouve aussi un masque en tissu à côté. Je me dis que ça peut-être utile, et je remporte les deux chez moi."
S'ensuit un samedi dans un état "de nerf, de colère, de rage". Puis vient la décision de porter plainte, le dimanche. Une démarche qui lui permet de comprendre qu'il ne serait pas le seul à avoir subi pareille embuscade. "Le fonctionnaire de police qui me reçoit m'informe qu'au même endroit, selon le même mode opératoire, une semaine plus tôt, il est arrivé la même chose. Et là, je prends conscience de la nécessité d'aller porter plainte, que je n'ai pas fait ça pour rien, et qu'on est peut-être extrêmement nombreux à avoir vécu ça pendant l'été."
"Je n'ai jamais caché mon homosexualité, mais ici, j'ai le sentiment qu'il faut le faire"
Les jours passent, et Michel, sans nouvelles de l'enquête et de son avancée, tente de tourner la page. En vain. Si les marques physiques des coups portés se sont complètement effacées, les répercussions sur sa santé mentale et sa qualité de vie, elles, l'affectent durablement. "Je suis un garçon habituellement social et enthousiaste, mais depuis cette histoire, je me ferme, j'ai du mal à dormir, je ne sors plus. Quand je suis hors de chez moi, j'ai l'impression qu'on me suit. Je vois un psychologue, je fume comme un pompier, je ne fais que grossir..."
"En fait, ça ne va plus", résume le quadragénaire, la voix rendue chevrotante par l'émotion. En larmes, il poursuit : "J'ai de la chance parce que je suis un garçon costaud, parce que mes parents m'ont élevé en me disant de n'avoir peur de rien, et parce que j'ai une famille qui me soutient depuis toujours, à qui je n'ai jamais caché mon homosexualité. Je ne l'ai jamais caché à personne. Mais ici, j'ai le sentiment qu'il faut le faire."
Je n'ai jamais caché à personne mon homosexualité. Mais ici, j'ai le sentiment qu'il faut le faire.
Fin août dernier, Michel reçoit l'appel tant attendu - et presque inespéré - des enquêteurs. "On me dit que je suis attendu au tribunal. Qu'on a trouvé trois garçons qui sont suspects dans mon affaire, pour qui les preuves concordent." Grâce à l'exploitation des images de vidéosurveillance de la résidence, les forces de l'ordre sont ainsi parvenues à identifier trois lycéens d'Ajaccio, interpellés puis confondus par l'ADN retrouvé sur la fameuse casquette récupérée le soir des faits.
Plutôt qu'un soulagement, le quadragénaire se sent alors "suffoquer". "Je n'arrivais plus à parler. Tous les souvenirs sont remontés d'un coup." Épuisé physiquement et mentalement, Michel s'y résout : la Corse, c'est définitivement fini pour lui.
"Je ne peux pas être qui je suis à 100 % en restant ici"
Une décision qu'il prend le cœur lourd : lui qui n'avait jamais auparavant, assure-t-il, rencontré le moindre souci sur l'île, quitte un poste "que j'aime, avec une équipe que j'aime, et des patrons formidables". "Mais je ne peux pas être qui je suis à 100 % en restant ici", soupire Michel. "Cette agression me fait me dire que je n'ai pas le droit d'être qui je suis [en Corse], sinon on va me taper. Dans ce cas-là, je préfère m'en aller."
Cette agression me fait me dire que je n'ai pas le droit d'être qui je suis, sinon on va me taper.
Pas question pour autant que son départ s'effectue dans le silence. "Je fais partie des gens qui vont manifester pour défendre les droits de tout un chacun et je partirais comme ça, une main devant, une main derrière, sans rien dire ?" Il hoche la tête de désapprobation.
"C'est pour cela que j'ai tenu à témoigner. Même si cela me fait un peu peur." Peur des répercussions, peur qu'on lui fasse payer son refus de l'omerta. Mais déterminé à obtenir justice, pour lui, et pour tous les autres qui ont déjà vécu pareille situation, ou qui risqueraient d'y être à leur tour un jour confrontés.
Alors Michel sera présent pour témoigner au procès - pour lequel un autre homme qui se dit victime du même type d'embuscade se présente également en tant que partie civile -, ce 2 octobre, devant le tribunal pour enfants d'Ajaccio. Face à lui, les trois jeunes mineurs accusés d'agressions homophobes contestent les faits, leurs avocats n'ont pas souhaité faire de commentaire.
*Le prénom a été modifié