Corse : la protection du balbuzard suscite le débat

Dans le secteur de Scandola, l’arrêté préfectoral instaurant une zone de quiétude autour de huit nids de balbuzards jusqu’à fin août divise. Associations de défense de l’environnement et socioprofessionnels ne partagent pas le même avis sur ce texte qui s'appuie sur des conclusions scientifiques émanant de l'Office de l'environnement de la Corse.

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Vendredi 1er juillet, la préfecture maritime de Méditerranée a publié un arrêté instaurant une zone de quiétude aux abords de huit nids de balbuzards pêcheurs entre Cargèse et Calvi. Le texte indique que "la navigation, le mouillage et le stationnement sont interdits dans les huit zones définies.Ces interdictions s’appliquent aux navires et aux engins immatriculés (y compris les véhicules nautiques à moteur) et, lorsqu’ils viennent du large, aux engins non immatriculés." Et ce jusqu’au 31 août.

C’est justement cette date de fin qui suscite quelques remous, notamment chez les socioprofessionnels (bateliers, clubs de plongée…). L’an passé, un arrêté préfectoral similaire avait déjà été instauré entre Cargèse et Calvi. Sans susciter le débat. L'interdiction de navigation ne concernait pas la zone de Punta Palazzu, dans la réserve de Scandola. Ce qui est le cas cette année. De plus, l'arrêté de l'été 2021 allait du 18 juin au 31 juillet. Cette année, la date de fin est prolongée d’un mois. Et elle ne correspond pas non plus à celle inscrite dans la charte Natura 2000 de bonnes pratiques.

Dans ce document, rédigé en 2020 par l’Office de l’environnement de Corse (OEC) en collaboration avec le Parc Naturel Régional de la Corse (PNRC), les services de l’Etat et une cinquantaine de socioprofessionnels du golfe de Porto, la période de quiétude se terminait là aussi le 31 juillet.

"Deux envols tardifs" l’an passé

Si la préfecture maritime a choisi cet été de prolonger ce nouvel arrêté jusqu'à fin août, c’est pour des raisons liées à la reproduction et à la nidification de cette espèce protégée. Pour justifier son choix, elle s’appuie sur les observations d’un pôle scientifique qui fournit ses conclusions à l’Office de l’environnement.

Celles-ci font "ressortir que la période d’envol du nid a usuellement lieu aux mois de juin et juillet, mais que les données de suivi de l’année 2021 mettent en évidence deux envols de balbuzard pêcheur la première semaine d’août 2021". Ces mêmes observations soulignent que "le poussin n’est pas immédiatement autonome à la suite de cet envol puisqu’il reste encore dépendant du nid et des adultes pendant une durée pouvant aller jusqu’à trois à quatre semaines".

Des bateliers "étonnés"

Chez les patrons de bateau de promenade en mer qui avaient ratifié la charte Natura 2000 - et respectaient déjà les zones de quiétude établies par celle-ci -, on se dit  "surpris" par cet arrêté.

"Nous avons été étonnés car il ne correspond pas à ce qui s’était dit lors de la réunion de concertation du 5 avril 2022, explique Eric Cappy, président de l'association des bateliers de Scandola. Cette réunion avait pour objet de préciser les nids qui devaient être placés en zone de quiétude en 2022. En concertation, on avait décidé d’en mettre huit sur toute la façade entre Cargèse et Calvi, et pas seulement sur la réserve de Scandola. Mais les services de l’État ont décidé de ne pas tenir compte de cette réunion. Ils ont voulu prendre un arrêté pour juillet-août."

Le représentant des bateliers indique ne pas avoir été "prévenu" de cette décision : "Le protocole avait été admis par tous, y compris par le préfet maritime. J’ai un courrier dans lequel il nous précise bien que tout sera fait en concertation avec les instances de gouvernance et que les avis de tout le monde seront entendus. Nous, on travaille dans ce cadre-là. Nous sommes allés aux réunions, on a accepté la charte Natura 2000 et là on nous dit que tout cela ne vaut rien."

"Huit nids avec poussins"

Depuis trois saisons, le suivi de la reproduction est assuré par le pôle scientifique "qui travaille de manière indépendante au sein de notre service", précise-t-on du côté de l’Office de l’environnement, chargé du contrôle de la gestion de la réserve de Scandola, elle-même directement gérée par le Parc naturel régional de Corse.

"Scientifiquement, on me dit que jusqu’au début du mois d’août, il est nécessaire de préserver les zones, et je me réfère à ce que disent les scientifiques, explique Guy Armanet, président de l’OEC.

Lors de notre dernière visite de site effectuée le 17 juin, sur les 15 nids avec reproduction certaine, nous avons trouvé huit nids avec des poussins. L’État nous a effectivement demandé où nous en étions de la nidification des balbuzards et du suivi scientifique.Ce sont ses services qui sont dans l’obligation de prendre un arrêté pour définir un périmètre et un zonage qui permettent une quiétude certaine pour les balbuzards."

"Pas assez tôt" pour U Levante

Depuis quelques jours, la durée du processus de nidification du rapace suscite le débat. Chez les socioprofessionnels, plusieurs voix s’élèvent pour dire qu'il est en nidification du 15 mars au 30 juin, "voire jusqu’au 10-15 juillet selon certains cas".

"Nous autres socioprofessionnels ne sommes pas contre un arrêté, souligne Eric Cappy. On considère juste qu’il n’est pas adapté à la situation. On a fait des propositions dans ce sens. On a expliqué que l’arrêté pourrait préciser la notion de nid occupé. Si on précise cela, à ce moment-là, la date importe peu. Il faut que le texte corresponde à la réalité de terrain."

Du côté d’U Levante, on ne voit pas les choses de la même façon. Pour l’association de défense de l’environnement, "l’arrêté préfectoral aurait dû être pris avant, au plus tard le 1er avril", estime Michelle Salotti.

La représentante de l’association ajoute : "Seules des zones de quiétude prises par arrêté peuvent entraîner des verbalisations tandis que la charte ne le permet pas et ne sert donc pratiquement à rien. Les balbuzards sont en reproduction depuis début mars. Tout dérangement de la reproduction entraîne la plupart du temps l’abandon des nids et la non-reproduction. L’arrêté doit être pris dès le début de la reproduction, dès que l’on sait que les nids sont occupés et que les pontes ont commencé afin que la reproduction soit assurée. Le comportement des balbuzards est inné, réflexe. Dès qu’il y a un dérangement, ils s’envolent et ne protègent plus les œufs, ni leurs petits."

Reproduction et émancipation

Trop longue pour les uns, trop courte pour les autres. Si la durée de l’arrêté suscite autant de discussions, c’est aussi parce que la reproduction de cet oiseau emblématique de Scandola est difficile à dater avec une "précision fixe".

"Ce genre d’espèces a une période de reproduction qui s’étend au-delà de la nidification au sens strict, explique Olivier Duriez, chercheur au centre d’écologie fonctionnelle et évolutive et conseiller scientifique du plan national d’action du balbuzard. Quand le poussin s’envole, il y a une période d’émancipation post-envol qui peut durer plusieurs semaines pendant lesquelles le poussin est capable de voler mais n’est pas encore capable de s’alimenter. Il revient donc dans les alentours du nid pour se faire nourrir par ses parents. C’est donc pour cela que l’on a besoin de protéger la nidification au-delà de la date d’envol. En général, elle se situe fin juin jusqu’à mi-juillet. Néanmoins, la reproduction en tant que telle n’est pas terminée avant mi-août voire fin août. Il y a de la latitude car les balbuzards, comme d’autres animaux, ne pondent pas à une date super fixe. Certains oiseaux marins sont calés sur une date fixe mais les grands rapaces se situent eux sur une période plus large."

Selon l’ornithologue, d’autres facteurs peuvent altérer la date de ponte des œufs et ainsi décaler la phase de reproduction. "Si un échec intervient au début de la reproduction, pendant l’absence d’incubation quand il y a les œufs, les oiseaux peuvent pondre de nouveau, ce qui retarde encore tout le processus, note Olivier Duriez. S’ils refont une ponte un mois après les autres, l’envol se fera aussi un mois après. C’est pour cela que l’on recommande une période très longue car c’est une espèce qui se reproduit lentement."

Un débat dans le débat

La publication de cet arrêté du préfet maritime met en évidence des divergences de points de vue au sujet du balbuzard pêcheur et de sa protection.

"Il y a plusieurs aspects à concilier, souligne Guy Armanet. Il y a l’aspect scientifique et le suivi de l’Office de l’environnement et du Parc Naturel au sujet des balbuzards. Il y a aussi évidemment la partie bateliers. Puis le préfet maritime qui prend ces arrêtés-là et qui permet de mieux réglementer les choses. La difficulté de l’exercice est de trouver le point d’équilibre entre les uns et les autres, et d’essayer de dire aux gens que plus on préservera ce que l’on a à préserver plus tout le monde va en profiter. »

Plus largement, ce débat alimente celui sur la surfréquentation touristique des sites patrimoniaux. Début juin, l’Assemblée de Corse a adopté un rapport visant à gérer les flux de visiteurs dans trois espaces naturels : cet été, Bavella, la Restonica et l’archipel des Lavezzi sont soumis à des mesures de régulation et à des quotas.

"C’est très positif que des actions soient enfin mises en place mais il est vraiment plus urgent d’agir sur d’autres sites", avait alors réagi dans l'hémicycle Serena Battestini, élue de Core in Fronte.

Certainement une manière de rappeler que la réserve de Scandola et ses plus de 150.000 visiteurs par an n'étaient alors pas concernés par ces mesures de régulation votées par les élus. Jusqu'à ce que cet arrêté préfectoral entre en vigueur et relance le débat sur la protection et la reproduction du balbuzard.

 

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