Deux arrêtés préfectoraux pris cet été autorisent les derniers centres d’enfouissement toujours en fonction à augmenter leur tonnage annuel maximal. Viggianello 2 pourra enfouir 90.000 tonnes de déchets résiduels en 2022. Prunelli di Fiumorbu 70.000. Objectif : éviter une "grave atteinte à la salubrité publique".
C’est officiel depuis un mois : la capacité annuelle d’enfouissement de Viggianello 2 a été augmentée. Du 1er aout au 31 décembre prochain, le centre d’enfouissement, de tri et de valorisation des déchets exploité par la SAS Lanfranchi Environnement est réquisitionné pour traiter 90.000 tonnes de "déchets non dangereux" provenant des communes de Corse-du-Sud. Jusqu’à présent, le site était autorisé à stocker 58.000 tonnes par an de déchets résiduels (ordures ménagères et tout venant).
Cette extension de 32.000 tonnes se base sur des estimations émanant du Syvadec et de la SAS Lanfranchi Environnement. Selon les deux entités - l’une publique, l’autre privée -, le Pumonti "doit produire en 2022 90.000 tonnes de déchets ménagers et assimilés ultimes", indique l’arrêté préfectoral.
Décidée par le préfet de Corse, Amaury de Saint-Quentin, cette augmentation de tonnage fait suite à un courrier du Syvadec daté du 10 mars dernier. Le syndicat informait alors la préfecture que "la capacité administrative" du centre d’enfouissement "ne permettra pas de traiter en 2022 les déchets produits par les communes de la Corse-du-Sud, adhérentes au Syvadec, et qu’il est nécessaire d’envisager une extension de la capacité de traitement".
Par conséquent, les services de la préfecture ont jugé bon "d’anticiper afin d’éviter une grave atteinte à la salubrité publique". Évoquant une "situation prévisible de paralysie à très court terme du service de ramassage et de traitement des ordures ménagères de la Corse-du-Sud", le préfet a considéré la réquisition du centre communément appelé Viggianello 2 comme "indispensable". "L’aspect prévisible de la situation [l’] impose" est-il écrit dans le texte qui précise que le centre d’enfouissement "dispose d’une capacité physique exploitable suffisante pour réceptionner 90.000 tonnes de déchets".
Contacté, Alexandre Lanfranchi, propriétaire du centre d’enfouissement de Viggianello, n’a pas répondu à nos sollicitations.
Entre habitude et inquiétude
Dans la commune du Valinco, si l’arrêté "n’étonne pas", il suscite néanmoins "l’inquiétude" de plusieurs élus locaux. "Cela fait 7 ans qu’on subit des réquisitions de la part du préfet sous prétexte d’insalubrité publique, explique Jean Pereney, conseiller municipal de Viggianello. On transfère donc l’insalubrité sur Viggianello, ce à quoi nous sommes malheureusement habitués maintenant."
Si l’élu se dit préoccupé par les conséquences en matière de pollution, notamment sur "l’eau du Rizzanese", il l’est surtout par la capacité de stockage du centre. "Sur Viggianello 1 (fermé en juillet 2021, ndlr), on a déjà entassé 750.000 tonnes. Concernant Viggianello 2, nous étions partis sur l’idée de 58.000 tonnes par an et là, on se rend compte que ça va pratiquement doubler. Finalement, on se dit que ce sera la même chose l’année prochaine, puis dans 2 ou 3 ans parce qu’aucune solution ne sera trouvée. Et dans 5 ans, ce site sera à nouveau saturé. Et qu’est-ce qu’on va nous dire ? Qu’il faut faire Viggianello 3 ou un dôme ? Voilà notre inquiétude. Ce qui me désespère, c’est que cette réquisition a été demandée par le Syvadec qui n’a rien d’autre à proposer que cette solution."
Contactée, la direction du Syvadec n’a pas souhaité s’exprimer sur le sujet.
150.000 tonnes déchets résiduels
Validé en novembre 2019 par la préfète de Corse de l’époque, Josiane Chevalier, l’Ecopôle de Viggianello 2 est entré en fonction en avril 2021. La date d’exploitation du site avait dû être anticipée de deux mois, pour répondre aux besoins de traitement des déchets. Dans la foulée, le centre de Viggianello 1, propriété du Syvadec, avait quant à lui fermé ses portes le 7 juillet 2021.
Depuis l’an dernier, les ordures ménagères produites par les 323 communes de l’île (sur 360) adhérentes du Syvadec sont stockées par département : celles du Pumonti sont désormais uniquement enfouies à Viggianello 2, celles du Cismonte à Prunelli di Fiumorbu, sur un centre technique également privé. Conséquence : une baisse de 15% du coût de transport à l’échelle régionale selon le Syvadec.
La production de déchets, elle, ne diminue pas, comme le mentionnait fin juin la synthèse annuelle de l’Observatoire des déchets ménagers de Corse concernant 2021. "À l’exception de l’année 2020, marquée par la situation sanitaire et le recul de l’activité touristique, la production globale de déchets est en augmentation constante depuis 2017, indiquait alors Don Georges Gianni, président du Syvadec. Cette évolution est due à l’importante croissance démographique régionale (plus de 1 % en moyenne par an contre une moyenne nationale de 0,4 %) ainsi qu’à la hausse de l’activité touristique."
Selon le site internet du Syvadec, 150.000 tonnes de déchets résiduels sont produites en moyenne chaque année depuis 2018 par les communes de l’île adhérentes du syndicat. L’an dernier, 80.119 tonnes d’ordures ménagères ont été recensées par le Syvadec en Corse-du-Sud. Cette année, fin mai, la production dépassait les 25.000 tonnes.
À noter que ces chiffres concernent uniquement les déchets résiduels des communes adhérentes du syndicat mixte public. Les ordures de quelques villages, notamment certains de l’intercommunalité de la Pieve de l’Ornano, sont directement traitées par l’Ecopôle de Viggianello. S’il est difficile de chiffrer exactement leur tonnage, celui-ci représenterait cependant une portion congrue par rapport aux déchets relevant du Syvadec, le syndicat couvrant 93% de la population de l’île.
Prunelli également réquisitionné
La Haute-Corse non plus n’est pas épargnée par la sempiternelle et épineuse question de l’enfouissement des déchets. Le fait de les traiter par département n’a pas diminué la capacité de stockage du centre de Prunelli di Fiumorbu. Au contraire. Comme à Viggianello, la Société de Traitement des Ordures Ménagères (STOC) de Prunelli a elle aussi été réquisitionnée par arrêté préfectoral. Depuis le 20 juillet dernier, sa capacité d’enfouissement est passée de 40.000 à 70.000 tonnes jusqu’au 31 décembre prochain. L’an passé, déjà, le préfet de Haute-Corse avait pris la même décision.
Ce phénomène est aussi la résultante de la fermeture de centres qui n’ont pas été remplacés. En sept ans, deux ont cessé leur activité : Tallone en 2015 puis Vico en 2017. Si des projets de création ont été évoqués ailleurs en Corse, aucun n’a pour l’instant vu le jour. Ce qui pourrait conduire les services de l’État à renouveler fréquemment ce type d’arrêté. D’où l’inquiétude des élus de Viggianello quant au dépassement de la capacité maximum d’enfouissement du site. À l’origine, celle-ci ne devait pas excéder 580.000 tonnes sur 10 ans. "Ce faisant, elle sera atteinte bien avant les 10 années prévues, font-ils remarquer dans un communiqué daté du 13 juillet. Que se passera-t-il alors ?"
"C’est beaucoup plus facile de dire "allons à Viggianello"."
Jean Pereney, élu de Viggianello
Pour le conseiller municipal Jean Pereney, les présidents des intercommunalités "doivent prendre leurs responsabilités car ils ont voté à l’unanimité pour que les déchets aillent sur Viggianello". Et l’élu d’ajouter : "La solution pourrait venir des centres de proximité. Si on faisait 5 centres, on éliminerait même le transport des déchets. On a essayé de faire ça, on a fait plusieurs réunions (avec les autres communes) mais à chaque fois on entend "pas chez nous". C’est toujours la même solution. C’est beaucoup plus facile de dire "allons à Viggianello". À ce jour, c’est la seule solution qui a été trouvée."
Ci-dessous, le reportage réalisé par nos équipes :
Sujet : Florence Antomarchi, Jacques Paul-Stefani et Frédéric Guichard.
Intervenant : Jean Pereney (Conseiller municipal de Viggianello).