"C'est légal, mais ce n'est pas moral" : la Panzetta, la Salciccia, la Bulagna et le Figatellu inclus dans le registre des IGP, une décision controversée au sein de la profession

La commission européenne a approuvé, ce jeudi 27 juillet, l’ajout de ces quatre produits insulaires dans le registre des indications géographiques protégées. Une décision décriée par le syndicat de défense et promotion des charcuteries corse Salameria Corsa, comme par la chambre d'agriculture de Haute-Corse.

"Nous sommes très surpris et très choqués de cet acharnement. Il y a une filière de qualité qui existe en Corse, et c'est elle qui devrait passer en premier." Philippe Vincensini, vice-président du syndicat de défense et de promotion de la charcuterie corse "Salameria Corsa" est bref mais explicite : pour lui comme pour les plus de 100 adhérents du syndicat, l'annonce ne passe pas.

La Commission européenne a ainsi décidé, ce jeudi 27 juillet, d'approuver l'ajout de quatre produits insulaires dans le registre des indications géographiques protégées (IGP), à savoir la Panzetta, la Salciccia, la Bulagna, et le Figatellu. Accompagnés de la dénomination "charcuterie de l'Île de Beauté", ils rejoindront ainsi la liste des 1643 produits agricoles déjà protégés.

Des critères d'apparence et de couleur

Ainsi, décrit la commission dans un communiqué, la "Panzetta Ile de Beauté" est un produit de charcuterie sèche "de forme parallélépipédique dont la couenne est présente. La tranche quasi-rectangulaire laisse apparaître plusieurs couches musculaires entrelardées de couches de gras. Le fumage lui confère une couleur typiquement ambrée qui n'est pas forcément homogène sur tout le produit. La pièce peut être recouverte d'une fleur naturelle de couleur blanchâtre ou verte à gris cendré."

La "Salciccia de l'Ile de Beauté" est un saucisson "de forme plus ou moins cylindrique dont la tranche laisse apparaître une farce composée de grains issus du gros hachage de viandes et de gras. Le fumage lui confère une couleur typiquement ambrée à brune qui n'est pas forcément homogène sur tout le produit. Le boyau naturel peut être recouvert d'une fleur naturelle de couleur blanchâtre ou verte à gris cendré."

La "Bulagna de l'Ile de Beauté" est un produit de charcuterie sèche "en forme de triangle, de trapèze ou de goutte d'eau, dont la tranche est quasiment rectangulaire et laisse apparaître plusieurs couches musculaires persillées de gras. La totalité de la couenne est présente. Le fumage lui confère une couleur typiquement ambrée qui n'est pas forcément homogène sur tout le produit. Une fleur naturelle de couleur blanchâtre ou verte à gris cendré peut apparaître."

Enfin, le "Figatellu de l'Ile de Beauté" est une saucisse de foie crue à cuire "en forme de « U » sous boyau naturel. La tranche laisse apparaître une farce gros grains issus du gros hachage de la viande, du gras et du foie de porc. Le fumage lui confère une couleur typiquement ambrée à brune qui n'est pas forcément homogène."

Une reconnaissance IGP censée permettre aux consommateurs de "choisir en toute confiance et de distinguer des produits de qualité tout en aidant les producteurs à mieux commercialiser leurs produits", détaille la Commission européenne sur son site internet.

La question de l'origine géographique des porcs

Problème, selon Joseph Colombani, président de la chambre d'agriculture de Haute-Corse, c'est tout l'inverse qui risque justement de se produire. Et pour cause, défend-il : le cahier des charges de l'indication géographique protégée ne tient à ce jour pas compte de l'origine géographique du cochon. 

En 2013, la filière insulaire avait bien proposé un système de classification des produits, rappelle Joseph Colombani, à l'occasion des assises de l'élevage. Trois niveaux avaient alors été distingués : l'AOP, en premier lieu, "basé sur le produit issu de la race corse, le porcu nustrale", l'IGP, ensuite, "c’est-à-dire un porc qui n'est pas forcément issu de la race corse, mais correspondant à une conduite de cheptel identique au produit de race corse", et enfin "un troisième segment, qui correspondait à un produit ne venant ni de race corse, ni de l'élevage traditionnel, et qui serait une marque en tant que telle".

Une segmentation qui avait l'avantage "de clarifier un peu tout ce maquis de sigles, et simplifier les choses pour le consommateur, qui savait à quoi s'attendre précisément pour tel produit selon qu'il soit AOP, IGP, ou autre."

Le système n'a finalement pas été retenu par l'INAO, l'institut national de l'origine et de la qualité, en charge du dispositif français des signes officiels d'identification de la qualité et de l'origine, regrette-t-il. "Les industriels ont rebondi sur la notion d'IGP, en mettant dans leur cahier des charges à peu près tout et n'importe quoi qui soit d'origine porcine", et donc, également de la viande venue d'ailleurs, continue Joseph Colombani. 

"Dans IGP, il y a bien le nom géographique, souffle-t-il. Et j'estime donc qu'il y a tromperie pour le consommateur."

Joseph Colombani, président de la chambre d'agriculture de Haute-Corse

De quoi "semer la zizanie entre ces trois niveaux que nous voulions distinguer, et qui avaient leur place à leur manière en Corse." Résultat, déplore le président de la chambre départementale d'agriculture, il n'est pas forcément nécessaire d'avoir élevé les porcs en Corse, de façon traditionnelle, pour pouvoir faire reconnaître ses produits au sein de l'IGP. "Pourtant, dans IGP, il y a bien le nom géographique, souffle-t-il. Et j'estime donc qu'il y a tromperie pour le consommateur. Même si c'est légal, ce n'est pas moral."

La crainte de conséquences directes sur l'élevage local

En 2018, L'INAO avait déjà attribué l'IGP "charcuterie de l'île de beauté" à 7 produits de salaison transformés en Corse. Le syndicat Salameria Corsa et la chambre d'agriculture régionale avaient déjà - indépendamment - vivement critiqué la décision, sans pouvoir s'y opposer.

"On ne comprend pas cet acharnement de l'Etat français et de l'Europe, soupire Philippe Vincensini. Nous, nous défendons des AOP, une race, un savoir-faire, en plus de défendre des emplois".

"L'IGP, pour moi, ce sont les fermiers qui doivent la construire, et non pas des industriels qui ouvrent leur IGP à des fermiers", insiste de son côté Joseph Colombani.

"Je m'insurge contre le fait que les choses ne sont pas claires pour un consommateur lambda, et les risques et conséquences que cela pourrait avoir sur l'élevage local."

Joseph Colombani, président de la chambre d'agriculture de Haute-Corse

En Corse, dénombre-t-il, on enregistre plus de 400 fermiers pour moins de dix groupes industriels. "Je ne suis pas contre les industriels. Mais je m'insurge contre le fait que les choses ne sont pas claires pour un consommateur lambda, et les risques et conséquences que cela pourrait avoir sur l'élevage local."

Le président de la chambre d'agriculture de Haute-Corse indique la tenue prochaine d'une réunion entre tous les producteurs corses et locaux pour voir "ce qu'ils veulent faire". Mais il reconnaît ne disposer que d'un pouvoir d'action restreint au sein de la chambre d'agriculture régionale. "Il faut désormais voir vis-à-vis des politiques, de l'ODARC, de la Collectivité de Corse. Il n'y a qu'eux qui peuvent s'opposer à la puissance des industriels."

"Ce n'est pas la vision de l'agriculture que nous défendons"

Interrogé ce vendredi 28 juillet à ce sujet, le président de l'ODARC, Dominique Livrelli, se dit sur "la même longueur d'onde" que le syndicat Salameria Corsa et la chambre d'agriculture régionale. La mise en place de ces IGP, s'il faudra "sûrement faire avec", "ce n'est pas la vision de l'agriculture que nous défendons", regrette-t-il. "La nôtre est basée sur des produits fermiers, des AOP, à base de race corse, de porcs produits sur l'île".

Dominique Livrelli se veut en revanche plus rassurant : lui estime que ce nouveau label n'aura "pas trop d'incidence sur la commercialisation pour l'ensemble des producteurs insulaires".

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