Le procès de Bruno Garcia-Cruciani, accusé de l'assassinat de son ex-compagne Julie Douib en 2019, s'ouvre ce jeudi à Bastia. Une affaire hautement symbolique, à l'origine des mesures du Grenelle sur les violences conjugales et d'une libération de la parole en Corse.
Le martyre de Julie Douib dépasse largement les frontières de la Corse. La mort de cette jeune mère de famille de 34 ans a marqué l'Hexagone, devenant un emblème du combat contre les violences faites aux femmes.
Le procès de son ex-compagnon, Bruno Garcia-Cruciani, s'ouvre ce jeudi aux Assises de la Haute-Corse, à Bastia. Âgé de 44 ans, il est accusé de l'assassinat de son ex-compagne le 3 mars 2019 à L'Île-Rousse.
Le procès devra notamment faire la lumière sur la préméditation de l'accusé. Bruno Garcia-Cruciani a affirmé devant les enquêteurs que son acte n'était pas prémidité mais l'accusation assure le contraire.
L'enquête prouve qu'il a mené "une traque" de son ex-compagne et fait des recherches Internet comme "peine pour homicide avec arme" et "partir vivre en Thaïlande".
"Moi aussi, je vais bientôt rejoindre ton beau-frère à Borgo", aurait-il aussi déclaré à une connaissance la veille des faits.
L'avocate des deux fils du couple, Me Francesca Seatelli, attend "que ces enfants aient enfin la place qu’ils méritent dans cette procédure et qu’ils soient enfin entendus en tant que victimes", a-t-elle déclaré à l’AFP.
"Il m'a tuée"
Le 3 mars 2019, Julie Douib est retrouvée sur son balcon par une de ses voisines de la résidence de la Mer, à l'Île-Rousse, en Balagne.
Cette dernière, alertée par des bruits suspects, est entrée dans l'appartement dont la porte était ouverte. "Elle m’a simplement dit, "il m’a tuée"", confie-t-elle alors à l'AFP. Julie Douib a reçu deux balles de calibre 9 mm au thorax par arme à feu. Elle est déclarée morte peu avant midi.
Une demi-heure plus tôt, son ex-compagnon, Bruno Garcia-Cruciani, se présente à la brigade de gendarmerie de l'Île-Rousse. Il avoue le meurtre avant d'être placé en détention provisoire à la maison d'arrêt de Borgo.
Julie Douib, créatrice de bijoux, a vécu treize ans avec son ex-compagnon. Ils ont donné naissance à deux garçons en 2008 et 2011 avant que leurs relations se dégradent et aboutissent à une séparation en 2018.
Des proches de Julie Douib prennent la parole et affirment qu'elle se sentait en danger, qu'elle avait alerté les services de justice et de gendarmerie.
Un féminicide devenu symbole
La mort de Julie Douib constitue le 30e féminicide sur les 146 survenus en France au cours de l'année 2019. Quelques jours après sa disparition, 3.000 personnes venues de toute la Corse se sont rassemblées à l'Île-Rousse pour une marche silencieuse en son hommage et contre les violences conjugales.
Le père de Julie, Julien Douib, avait alors exprimé son incompréhension : "Il y a eu beaucoup de plaintes. Tout le système était au courant. Moi-même, j’ai porté cinq ou six fois plainte. Ma fille a porté cinq ou six fois plainte avec justificatifs de coups, certificat médical, lettres de témoignages".
"Je ne comprends pas comment on a pu en arriver là. Je ne comprends pas qu’on n’ait pas pu la protéger, qu’on n’ait pas pu faire quelque chose pour éviter ce meurtre. Je ne comprends pas comment on a pu autant fermer les yeux sur cette histoire."
Au moment des faits, la procureure de l'époque, Caroline Tharot, avait déclaré à Corse-Matin qu'il n'y avait eu "aucun manquement de la part des services de gendarmerie et de la justice".
L'affaire, très médiatisée, a entraîné l'organisation du Grenelle des violences conjugales le 3 septembre 2019, débouchant sur 46 mesures dont le déploiement des bracelets anti-rapprochement.
En décembre de la même année, le premier contrat local contre les violences sexistes et sexuelles a été signé avec la communauté de communes de L'Île Rousse - Balagne. Un appartement est depuis disponible pour l’accueil des femmes et enfants victimes.
#Iwascorsica, collages féminicides, bancs rouges
La parole des femmes en Corse a également pris du terrain depuis la mort de Julie Douib. Le 21 juin 2020, le mouvement #IwasCorsica effectue sa première marche à Bastia. Lancé comme un cri de ralliement sur les réseaux sociaux dans le monde, le hashtag #Iwas trouve écho en Corse, sous lequel de nombreuses victimes d'agressions sexuelles partagent leur histoire.
Les organisatrices se sont ensuite rassemblées sous un collectif nommé "Zitelle in Zerga". En parallèle, le mouvement "Collages Féminicides" s'exporte en Corse et la parole des femmes s'affiche sur les murs des villes en Corse.
La mort de Julie Douib est également à l'origine des bancs rouges, en hommage aux victimes de féminicides. Un banc en mémoire de Savannah Torrenti, autre jeune victime de féminicide en 2016, a notamment été inauguré en mai dernier, à Luri.
Un autre banc rouge a été installé à Ajaccio, en novembre 2017.
La commune de Luri s'est depuis engagée avec les associations Savannah et Femmes solidaires. La maire Anne-Laure Santucci a obtenu la création d'un Observatoire régional des violences faites aux femmes, rapporte Mediapart.
Des violences en hausse
En Corse, les violences conjugales sont en hausse après les confinements successifs. En Corse-du-Sud, la vice-procureure générale constate une augmentation de 10 à 15% des faits rapportés à la justice en 2020 par rapport à 2019.
"Le cas de Julie Douib, un féminicide qui a eu lieu en 2019 et dont le procès va s'ouvrir en juin, démontre que la Corse est toujours concernée par ces problèmes", nous confiait le procureur général Jean-Jacques Fagni en mars dernier.
Le 30 octobre 2020, Laetitia Attanasio, 38 ans, a été abattue par son compagnon à Valle-d'Alesani, en Haute-Corse.